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« Le conditionnel est insuffisant, lorsque l'on vit au présent. »
A.B
Le conditionnel…l’espoir…l’hypothèse…l’hypothétique avenir d’une existence incapable de vivre dans un présent assez consistant pour ne pas se rabattre sur un futur meilleur.
Dans une vie en ruines, le conditionnel réside dans une utopie en devenir, mais également dans une mélancolie d’un passé inoublié, d’une blessure toujours ouverte, stigmate interne empêchant à un présent parfois convenable de l’être à nos yeux.
Lorsque souffrance rime avec passé, déchéance avec présent et utopie avec futur, la musique peut se faire effroyablement noire et désespérée, l’ultime expression d’un être en proie à des démons si forts que les extérioriser en devient un catharsis indispensable à sa santé mentale. C’est dans une mémoire fragile et maladive que les noms de Neurosis, d’Isis, de The End ou de Cult Of Luna, voir Porcupine Tree abreuveront nos pensées à l’écoute d’un jeune groupe regroupant autant cette sensation de finitude psychologique que les maigres espoirs de lumière qui transparaissent à travers des lignes mélodiques hallucinantes de sensibilité. Un jeune groupe…At The Soundawn…
…transalpins par le sang, ils livrent un second opus résonnant comme un coup de maitre dans le domaine étriqué et si exigeant du postcore, en se livrant artistiquement corps et âme dans un disque dévoilant une richesse et un malaise constant.
"Shifting" n’est pas à proprement parler expérimental, il est vivant. Il rampe, sommeille, aboie parfois, déchire les sens et presse l’esprit. Dans une forme empruntant autant à la musique core et saturée qu’à l’ambiant peignant de longues étendues désertiques et angoissantes, At The Soundawn dessine une vision musicale ne cachant pas non plus une forte attirance pour le jazz et les sonorités de cuivres.
"Mudra In Acceptance And Regret" : un premier morceau qui suffit à plonger l’auditeur dans une torpeur sans précédent, dans une hypnose malsaine et un état second faisant ressurgir une noirceur interne intense. Le chant écorché, hurlé, presque vomi de ses entrailles de Luca De Stefano est une force à elle seule. Dans son approche viscérale, mais parfois fantomatique, comme en témoigne les nombreux effets de distorsion dans son chant, il dépeint une existence de souffrance et de haine complètement renvoyée vers soi et le monde entier…une haine universelle…une haine transposée sur des arpèges planants mais emplis de tensions, de malaise, prêts à exploser à n’importe quel instant. C’est alors que les cuivres font leurs apparitions, la basse prend une teinte plus charnelle, vivante, émotionnelle, le chant se fait clair, susurré ou chanté tandis qu’un saxophone hanté et nostalgique évoque des souvenirs que l’on devine porteur d’un bonheur désormais disparu.
"Shifting" est un univers à lui seul, un monde qui s’étale devant nos yeux pour devenir nous, pour s’incruster et prendre le moule de notre propre existence. Les appels narcotiques introduisant le sublime "Caofedian", atmosphère ambiante et légère mais tant chargée de tension latente, évoquent le songe d’un esprit en quête de réconfort. Les riffs, encore sous forme de nappes, prennent progressivement le contrôle du morceau jusqu’à alors sublimer par la voix sublime de Luca, parfois très proche de celle de Aaron Wolff (The End). Néanmoins, l’atmosphère y reste ici feutrée, belle, mélancolique, incroyablement clair et presque groovy par l’introduction très présente d’un saxophone rappelant le très récent travail utilisé sur le "After" de Ihsahn. Puis la haine…le déchirement…la souffrance…la douleur et les hurlements…les pleurs peut-être…une voix hurlée absolument stupéfiante car naturelle et pourtant habitée par une aura sans commune mesure.
Tout un monde avant-gardiste, un espace personnel et terriblement émotionnel s’ouvre devant At The Soundawn qui, s’il évoque dans la démarche de prestigieux groupes, n’en reste pas moins poignant et parfois plus viscéral que ses ainés. La longue montée en puissance de "Black Waves", presque-instrumental de huit minutes, à la structure passant de l’ambiant pur, glauque et distant à des plans très technique de batterie, témoigne d’une richesse sans limite, et d’une émotion si prenante…tout autant que le génial "7th Moon" qui semblerait sortir d’un disque de The Dillinger Escape Plan moins technique mais encore plus torturé. Le chant hurlé, imposant, presque dogmatique, impose une vision noire que les riffs incroyablement épais assoient encore plus. Une foule d’arrangements grandiloquents, fou furieux, à l’instar d’un cirque de l’horreur (toujours cette mixture jazz) ajoutent à cette composition pour en faire un chef d’œuvre mystique (ce final prenant presque la forme d’un rituel).
Et lorsque la douleur semble être révolue sur "Hadès", toujours présente mais acceptée, condensée, laissant place à la mélancolie et le spleen, à une certaine rationalisation de sa situation ; "Prometheus Bring Us The Fire", final de dix minutes, détruit tout ce qui restait du naufrage émotionnel dans lequel vous étiez tombé.
Sorte de quête initiatique terminale, l’émotion que l’on ressent entre le clair désabusé et les hurlements de désarroi, soutenu par une base rythmique très mathcore en constant mouvement (cette partition de batterie à pleurer de beauté) et toujours très technique, emmenée par un Enrico Calvano impérial derrière ses futs. De plus en plus lourde, rapide et dissonante, le spectre musical ainsi que sa densité s’intensifient tout au long de cette longue composition, à la sensibilité touchant parfois au sublime (dont un pont évoquant énormément le "Oblivion" de 30 Seconds To Mars).
Plus qu’un album, c’est un pan de notre vie, à chacun différente, que nous fais revivre "Shifting". Une expérience douloureuse que ces sept morceaux ouvrent de nouveau pour nous faire prendre conscience de sa dureté et de sa douleur. Un album fort, puissant et dur…mais si pur et essentiel. Probablement le meilleur album sortie dans le genre depuis l’exceptionnel "Elementary" de The End paru voilà plus de trois ans…"Shifting" est comme une thérapie…il s’octroie une partie de vous-même…pour ne plus jamais vous quitter par la suite. Plus qu’un album…
« Je m'effraie de ce qui me sert d'âme. Ma folie me conduit à m'adresser à mes "propres " mots, à les rabaisser et les salir dans un Art des plus parfaits, dans l'horreur la plus perfide »
A.B
1. Mudra: In Acceptance and Regret
2. 7th Moon
3. Caofedian
4. Drifting Lights
5. Black Waves
6. Hades
7. Prometheus Bring Us the Fire