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Album

09 mai 2019 - ZSK

Kriegsmaschine

Apocalypticists

LabelNo Solace
styleBlack Metal orthodoxe
formatAlbum
paysPologne
sortieoctobre 2018
La note de
ZSK
7.5/10


ZSK

"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."

Dans un monde où il faut absolument se faire voir pour véritablement percer, on assiste à une surenchère d’informations constante en termes de musique. Les diverses news et le teasing permanent qui va avec se multiplient si bien qu’il devient difficile et de faire un tri et de tout retenir, des dates de sortie de disques aux extraits déjà dévoilés. Bien sûr, que ça soit par le biais des réseaux sociaux ou des webzines choisis, on peut se faire sa propre sélection et éviter d’être submergé. Mais quand on suit masse de groupes au gré de ses découvertes, coups de cœur ou tout simplement groupes fétiches depuis bien des années, la quantité d’informations reçue demeure importante. Tel groupe sortira son album tel jour, tel groupe balance la pochette de son prochain méfait, tel groupe poste son deuxième single sur YouTube… etc etc. La course à la promo n’échappe pas au Metal non plus. Pourtant, de par son côté parfois plus underground voire misanthropique, le Metal extrême peut facilement échapper à ce schéma. On pensera par exemple à Funeral Mist qui avait dévoilé les premières infos de Hekatomb une semaine à peine avant sa sortie. Mais plus tard dans l’année 2018, un groupe a fait encore « mieux », même s’il n’est pas le premier à avoir procédé de la sorte. Nous sommes le 21 octobre 2018 (un dimanche en plus !) et, par le biais des réseaux sociaux, le groupe polonais Kriegsmaschine nous dévoile l’identité de son 3ème album, Apocalypticists, et ajoute qu’il sort… immédiatement. Une nouvelle accompagnée bien sûr de l’album en écoute intégrale par le biais des plateformes habituelles. Une énorme surprise surtout que le groupe en question n’était pas spécialement attendu. On savait que Mgła, le groupe principal de M. qui officie dans Kriegsmaschine, travaillait sur un nouvel album mais rien ne nous indiquait que « l’autre » groupe allait sortir quelque chose sous peu même si Enemy Of Man remonte à 2014. Mgła a d’ailleurs subtilement annoncé sur ses réseaux que « les rumeurs qui disaient qu’un nouvel album allait sortir bientôt sont vraies… mais ce n’est pas un album de Mgła ». C’est donc un peu secoués et hébétés qu’en ce dimanche d’octobre, nous avons eu le droit d’un coup d’un seul au nouvel album de Kriegsmaschine, arrivé entre nos oreilles sans crier gare, donc sans aucun teasing et aucune promo en amont, même pour les zines. Une sortie surprise incongrue et amusante de prime abord, mais on va vite redevenir sérieux et bien analyser la chose comme il se doit, car dans le cas de Kriegsmaschine, nous n’avons pas affaire à n’importe qui…

On a affaire au groupe qui a sorti en 2014 l’immense, le monumental, le cultissime Enemy Of Man. Un album incroyable qui s’est posé très vite dans mon esprit comme le meilleur album de Black-Metal orthodoxe, voire un des meilleurs albums de Black-Metal tout court, et l’un des albums de Metal de la décennie. Le disque ultime d’un Black-Metal noir et tribal, occulte et rituel, mais consistant et efficace, prenant et impressionnant. Le duo formé par un M. tout aussi inspiré que dans Mgła et un Darkside au jeu de batterie possédé et foisonnant (alors qu’il ne s’était pas spécialement distingué dans ses anciens groupes, MasseMord, Thy Disease, Crionics, Darzamat et d’autres) avait livré une bombe intemporelle, messe noire définitive qui a fait date. Du formidable et irrésistible "None Shall See Redemption" au lancinant "Enemy of Man" en passant par le très tribal "Asceticism and Passion", l’épique "Farewell to Grace" ou le percutant "To Ashen Heavens", cet album était une tuerie absolue, balayant les débuts sur le plus ténébreux Altered States Of Divinity (2005). Alors quand Kriegsmaschine annonce son retour de manière aussi furtive et impromptue, on frémit. Tous les schémas et bilans de l’année, alors que sa fin approchait, peuvent se retrouver bousculés en un instant. Apocalypticists se dévoile et se découvre alors dans des conditions bizarres, sur YouTube alors qu’on revient de la sortie du week-end. Pas le temps d’installer les candélabres, de dessiner le pentacle au sol et de sortir la bure à capuche, il faut se farcir l’album oklm, on ne peut attendre la tombée de la nuit, 4 ans après Enemy Of Man. Cette sortie était donc quelque peu bizarre et bancale dès le début, un mauvais pressentiment ou un bad karma était de mise, presque comme si finalement cette sortie surprise était une façon de publier en toute discrétion un successeur pas forcément digne à Enemy Of Man. Car oui, Apocalypticists ne va pas rééditer l’exploit qui semblait impossible, faire mieux que son prédécesseur voire le dépasser, gageure ultime. Il va falloir prendre Apocalypticists pour ce qu’il est, sachant que finalement la sortie surprise apportera au moins un point positif : il n’y a pas eu d’effervescence et de grande attente en amont donc la déception sera un peu atténuée…

Déception : tel un Maurice Fischer sur le point de s’éteindre, le mot est lâché. Mais il sera difficile à confirmer tant Enemy Of Man est au-dessus de tout, et tout ceci sera finalement de l’ordre du relatif. Apocalypticists va donc surtout essayer de continuer et compléter la discographie de Kriegsmaschine, presque sans prétention finalement. De toute manière, les changements sont minimes, même si Destroyer (ex-Hate) n’est plus de la partie. M. livre à nouveau ses compos entre riffs noirs appuyés et nombreux arpèges occultes, tandis que Darkside continue à distiller ses patterns très percussifs et rituels. Le talent Black-Metal si particulier du premier (y compris ses vocaux rocailleux) et le jeu inspiré et unique du second sont toujours les attractions principales de Kriegsmaschine. L’ensemble est toujours résolument occulte et sombre, et va d’ailleurs encore plus appuyer cet effet de messe noire, plus orthodoxe que jamais. Plutôt que les assauts metalliques des "None Shall See Redemption", "Lies of the Fathers" ou "To Ashen Heavens", Apocalypticists va donc appuyer le côté le plus introspectif et lancinant de Kriegsmaschine, dans la lignée de "Enemy of Man" ou bien sûr "Asceticism and Passion", en moins singulier et tribal toutefois. Apocalypticists n’en est pas moins dur, sur la forme il l’est même plus que Enemy Of Man, retrouvant un son plus terreux et abrasif, ce qui fait que ce troisième album se place en réalité, dans le fond et dans la forme, pile entre Altered States Of Divinity et Enemy Of Man. Un beau chaînon manquant, qui nous fait même questionner sur le fait que, sous couvert d’un album surprise, ne se cache pas un disque composé entre 2005 et 2014 qui serait resté dans les cartons et finalisé ces derniers temps… mais soit. Ce qui ressort d’Apocalypticists, c’est l’aspect résolument sombre de l’ensemble, qui ne laisse place à aucun sourire (on a pas envie de rigoler sur un "The Pallid Scourge" par exemple) et livre au final un album très monolithique, lancinant de bout en bout. Cela contraste un peu avec la furie et les variations d’un Enemy Of Man, mais encore une fois, on va devoir s’en contenter… Apocalypticists va devoir jouer sur ses qualités propres, mais il est sûr qu’à chaque moment, on va se remémorer les géniales compos de son prédécesseur et la classe noire qui s’en dégageait.

Apocalypticists n’en est pas moins un album de Black-Metal orthodoxe particulièrement pesant et prenant, usant avec intelligence des codes du genre, en commençant par les nombreux arpèges qui sonnent à chaque instant comme une ode au Malin. Ça commence d’ailleurs dès les premiers instants de "Residual Blight", où l’ambiance occulte se pose immédiatement, et tournoie pendant plus de 7 minutes au son de ces riffs plus boueux, rappelant aussi le dernier méfait d’Ascension. M. est un maître de cérémonie de premier choix et derrière, Darkside nous livre un catalogue d’incantations rythmiques et percussives. La recette d’Apocalypticists est posée et la messe noire va durer une cinquantaine de minutes (c’est plus qu’Enemy Of Man). Il n’y a finalement pas beaucoup de soubresauts vraiment marquants dans ce récital, Kriegsmaschine se contenant ici d’aligner les compos lancinantes et occultes jusqu’à l’épuisement des colonnes de cire qui l’entourent. "The Pallid Scourge" est un sacré concentré de noirceur et de sonorités toutes plus occultes les unes que les autres, "Lost in Liminal" est plus aéré mais demeure classique malgré de beaux moments. La deuxième moitié de l’album tente de varier un tantinet le propos, avec un morceau-titre encore plus lourd et même plus dissonant, parsemé de quelques vocaux plus originaux. Suivra alors la plus longue pièce de l’album, "The Other Death", particulièrement ténébreuse avec quelques moments plus intenses et plus possédés que jamais (et des vocaux qui se lâchent), avant un final qui propose quelques trémolos enlevés et une conclusion dans un ensemble de spoken-words incantatoires (on entendra même du français), peut-être le moment le plus marquant d’un album-surprise… sans surprise. Qui se clôture donc sur un "On the Essence of Transformation" avec un dernier étalage de compos occultes, sans véritable panache même si on se laisse emporter facilement par cette noirceur somme toute satanico-orthodoxe. On ne peut pas reprocher au groupe de ne pas être inspiré ou quoi que ce soit, Apocalypticists est il est vrai assez linéaire mais l’effet est recherché avec ce BM 666% orthodoxe très rituel. Tranchant avec le complet et bouillonnant Enemy Of Man, Apocalypticists est « différent » et, le vrai problème au final, est qu’il rentre dans le rang. Dans le bon rang certes car en termes de Black-Metal orthodoxe, c’est de la grande qualité, et Kriegsmaschine semble savoir mieux que quiconque faire l’office noir. Mais il était sûr qu’il y aurait un avant et un après Enemy Of Man et donc voilà, c’est l’après. Il est difficile de passer après un chef-d’œuvre et je n’ai pas envie de comparer plus que de raison Apocalypticists à son illustre prédécesseur. Pour un album sorti par surprise sur un coin de table, Apocalypticists provoque un tas de sentiments. Entre très bon album de BM orthodoxe et successeur d’un véritable monument, ce troisième disque de Kriegsmaschine oscille constamment et c’est une sensation très spéciale. Je ne sais quoi en conclure vraiment, tout dépend de ce qu’on en attendait, quand et comment. Ce n’est pas une déception mais un peu quand même, et le contexte de la sortie bouscule aussi le jugement. Bref… On en revient au premier abord que l’on pouvait avoir à sa sortie surprise en octobre dernier, finalement : soit c’est du niveau d’Enemy Of Man, et sinon, ben tant pis, on ne l’attendait pas comme ça, donc ce n’est pas bien grave. Eh bien, ma foi, tant pis…

 

Tracklist de Apocalypticists :

1. Residual Blight (7:21)
2. The Pallid Scourge (7:50)
3. Lost in Liminal (7:19)
4. Apocalypticists (7:14)
5. The Other Death (11:21)
6. On the Essence of Transformation (9:09)

 

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