Interviews Retour
lundi 10 décembre 2018

Dehn Sora - Tyrant Fest 2018

Dehn Sora

Nostalmaniac

Le Max de l'ombre. 29 ans. Rédacteur en chef de Horns Up (2015-2020) / Fondateur de Heavy / Thrash Nostalmania (2013)

Musicien, graphiste et photographe, Dehn Sora est un artiste à part entière qui a développé un univers visuel fascinant, torturé et hors du temps à travers de nombreuses collaborations notamment avec la Church of Ra mais également de nombreuses formations hexagonales comme Blut Aus Nord ou Sektarism plus récemment. Tout aussi fascinant, son univers musical s'imprègne d'un goût particulier de l'expérimentation et de la noirceur avec Treha Sektori bien sûr et Throane, son projet Black Metal, qui a sorti un excellent deuxième opus « Plus une main à mordre » l'an dernier. Nous étions donc impatients de pouvoir nous entretenir avec l'homme et l'artiste. Humble et très accessible, il a répondu à nos questions...
 

Nostalmaniac : Salut Dehn Sora ! Pour commencer cet entretien, c’est important pour toi de participer à ce genre de festival avec une identité forte ?

Dehn Sora : Oui, complètement. J’aime beaucoup le principe de festival où tout est un peu lié. Toutes les expressions sont liées. Même en tant que spectateur, je trouve ça très intéressant de pouvoir se promener et de découvrir des choses différentes : conférences, expo, concerts, etc. Différents types de concerts aussi avec l’auditorium. Il y a un principe d’événement assez complet. Aller voir un concert dans un espace confiné, c’est cool évidemment mais je suis de plus en plus intéressé par viser des choses différentes. Que ce soit la démarche ou le lieu en fait et je suis très fier d’avoir été invité ici. Ça correspond à des choses que j’aimerais bien développer personnellement. J’aimerais en fait être un peu plus impliqué dans ce genre d’événement et je pense aussi à l’Homme Sauvage (ndr : festival dans les Pyrénées qui a accueilli cette année Hexvessel, Arktau Eos mais aussi Throane) qui propose une expérience, plus qu’un simple festival.
 

Nostalmaniac : J’ai l’impression que ça se développe de plus en plus ce genre de festival qui essaye de s’articuler autour d’un univers et d’une identité.  Justement avec des artistes comme toi qui ont aussi un éventail de choses à proposer…

En plus, je trouve que ça fait des expériences très différentes au-delà du concert. Tu es englobé dans quelque chose, tu participes à une expérience. 
 

S.A.D.E : On n’a malheureusement pas pu assister à tes concerts mais on avait pu interviewer l’organisateur en amont qui nous avait parlé d’un show un peu particulier, ça consistait en quoi ?

C’était surtout par rapport à l’apport des vidéos. On nous avait présenté la chose comme un ciné-concert mais il fallait quand même axer la chose sur la vidéo. J’ai joué devant une projection, il y avait un peu de lumière. Ça restait assez sobre dans la présentation, je pense, mais le lieu est déjà particulier en soi. Jouer dans cette situation, c’était différent. J’ai travaillé les vidéos en fonction du concert. C’était la particularité du show.
 

S.A.D.E : Je t’avais vu aux Voûtes à Paris et justement est-ce que vraiment tu cherches des lieux un peu particuliers comme ça ?

Idéalement, j’aimerais beaucoup le faire plus souvent et les Voûtes c’est un bon exemple car le lieu a beaucoup participé à notre énergie. Tu réponds en quelque sorte au lieu. Il n’y a pas la sensation « salle de concert » ou « club » où tu arrives, tu décharges ton matos, tu fais ta balance, t’attends, tu joues. Non ! On a été impliqué même dans l’installation car du coup c’est un lieu qui n'a pas une grande installation et on a ramené notre matériel. Il y avait une vraie implication du début à la fin de la journée qui était intéressante pour moi. Au-delà même du lieu, il y a beaucoup de force et d’énergie qui créent déjà une ambiance. C’est aussi le souci que j’ai avec Throane qui fait que je suis très insatisfait du rendu live pour le moment. Aucune critique pour mes acolytes, qu’on se comprenne bien, mais c’est un projet qui est très personnel, très intime. Le fait de recréer une ambiance, le lieu peut y participer plus qu’on le pense pour recréer des sensations, des sentiments. Ça ne se fait pas sur commande. Le lieu a un rôle vraiment important. C’est pareil pour mon autre projet Treha Sektori et j’ai eu la chance de faire beaucoup de concerts dans des lieux un peu étranges, que ce soit des églises, des forêts, etc. J’ai même fait quelques concerts illégaux aussi donc je n’ai pas pu communiquer dessus évidemment mais j’en ai fait encore un récemment et j’aimerais pouvoir poster des photos car c’était tellement fou comme lieu. Le concert peut être assez faible niveau sonore et l’installation pas optimale, mais encore une fois le lieu est vraiment important. Ici justement c’est intéressant comme configuration. C’était un peu étrange pour nous au début mais il y a quelque chose qui se crée avec un état d’esprit qui doit être adapté. Il faut que tu puisses te plonger dans ce qui t’entoures pour donner le meilleur. 
 

Nostalmaniac : Tu étais en tournée avec Dirge et Ovtrenoir dernièrement, tu en es satisfait ?

Pour être tout à fait honnête : non. Je suis assez amer de la tournée. Pas à cause des orgas ou des salles mais il y a une date où je me suis dit « c’est pas bon ! ». Je ne sais pas l’expliquer autrement. Je pense que Throane n’est pas vraiment adapté pour une tournée en fait. Ça m’a un peu sauté aux yeux. 
 

Nostalmaniac : On peut revenir là-dessus justement, tu disais être assez insatisfait du rendu live. C’est une musique tellement froide, torturée et industrielle par certains aspects, ça doit être très difficile de retranscrire ça en live…

Oui bien sûr. Après, la démarche que j’avais au départ, c’était de le faire au moins une fois en live pour le vivre vraiment. C’était l’idée que j’en avais. Je me suis entouré de gens proches car je sais qu’ils peuvent comprendre au maximum ce que j’ai pu ressentir au moment de l’écriture, l’état d’esprit qu’il peut y avoir derrière. Un des guitaristes est le fils du mec qui est sur la pochette du premier album. Je trouve que ça a du sens aussi de l’avoir sur scène car ça recrée quelque chose. Forcément il ne peut pas être dans le même état d’esprit que moi mais il peut le porter aussi car il est connecté par ces liens là. Je ne voulais pas faire sensiblement la même chose que sur disque car dans tous les cas, c’est une façon de faire différente. J’avais envie d’un rendu plus cru, plus hardcore d’une certaine manière. Habituellement sur scène je suis seul, caché par beaucoup de choses et ça me correspond bien car je suis plutôt timide. Ça me cache et je suis concentré dans mon élément. Avec Throane, il y a plus une question de libération, d’être plus libre de mes mouvements. Pour le dire très simplement : pouvoir gueuler un bon coup ! Sur scène ça s’est ressenti avec peut-être le bagage post-hardcore qu’il peut y avoir dans Throane, c’est beaucoup ressorti. Je suis plus dans cet attitude-là et je suis déjà ressorti d’un concert la tête en sang. C’est l’état d’esprit que je recherchais mais visuellement, et au niveau du son, le coté plus brut et hardcore peut se ressentir. Là où j’ai du mal à me sentir satisfait c’est que je pense que j’ai voulu faire trop de dates et que mon idée de base était de faire quelque chose de très conceptuel, très visuel. Ce que j’ai entrepris de reprendre depuis le début car les vidéos c’est une chose mais je le fais déjà avec Treha Sektori et j’avais envie de développer autre chose. Pour tout te dire, la toute première idée de live c’était d’avoir 30 personnes sur scène qui ne bougent pas et qu’ils se mettent à hurler à la fin avec tout le lineup caché dedans. J’avais l’idée : un show, un univers visuel complètement différent. Je pense qu’à la rigueur la tournée était salvatrice pour moi car je sais ce que je ne veux plus. Je sais que je veux développer différemment chaque concert. On a la chance d’avoir été invités au Roadburn, aux Pays-Bas en avril 2019, donc on va bosser sur quelque chose qui va être joué seulement là-bas et qui ne sera plus jamais joué après. 


 

Nostalmaniac : Jouer au Roadburn, tu vois ça comme un accomplissement ou juste une étape ?

Je suis très fier car c’est le festival dans lequel j’ai toujours rêvé de jouer mais je ne le vois pas comme un accomplissement parce que je n’ai pas envie de dire c’est ce tout que je voulais faire puis j’arrête. Ce n’est pas mon état d’esprit. Je me dis que si ce concert doit être le dernier, il faut que ce soit quelque chose, aussi bien pour nous que pour le public bien sûr mais surtout quelque chose d’un peu ultime dans le sens où il est hors de question de sortir de scène en étant déçu. De moi-même je parle. 


S.A.D.E : Dans pas mal de titres de morceaux, il y a un rapport avec la chute, l’échec, la défaite, etc. C’est une crainte permanente, ne pas être à la hauteur ? 

Oui, on peut dire ça. 90 % du temps je ne suis jamais satisfait. C’est devenu un peu une façon de vivre aussi, du coup c’est une façon de travailler mais j’ai pas de rapport défaitiste face à l’échec. C’est quelque chose que je ressens souvent mais qui ne me plie pas non plus dans le sens où j’ai eu la sensation de beaucoup me casser la gueule ces dernières années. En même temps je reste très fier d’avoir voulu prendre les risques, d’avoir essayé. Je suis plutôt partisan du « fallait le faire car il y avait le besoin même si c’est pas aussi satisfaisant que prévu mais… aucun regret ! ».  
 

Nostalmaniac : L’expérience reste…

Exactement, l’expérience c’est hyper important. Je suis d’avis de tenter des choses, de se casser la gueule en permanence. J’ai pas vraiment de souci avec ça puis je suis quelqu’un de très nerveux, angoissé. Les concerts me donnent énormément le trac mais j’ai besoin de le faire. Et quand j’ai besoin de le faire, quitte à en chier pendant deux semaines et à ressortir complètement dégoûté du truc, au moins je sais que j’ai voulu le faire, je l’ai tenté et puis voilà, je me dis « qu’est-ce qu’on fait après pour que ce soit mieux ? ». 
 

S.A.D.E : On a parlé de la partie live mais j’aimerais te parler aussi de la partie studio. Comment tu as réussi à forger ce son complètement unique. J’ai jamais rien entendu de vraiment pareil. Un peu éthéré, vaporeux et en même temps hyper puissant, hyper dense...

Il y a deux étapes. La première c’est que j’ai tout enregistré chez moi. Je suis vraiment le pire technicien de la planète. Vraiment, c’est infernal. D’ailleurs, la preuve c’est que je fais faire le mix et le mastering par Sam (ndr : Vaney) qui joue dans Cortez. Les parties de batterie je les fais à la boîte à rythme puis c’est le batteur de Cortez qui les reprend. Il faut savoir qu’il les reprend avec toutes mes erreurs, ce que je trouve assez formidable de sa part, d’avoir respecté au maximum toutes mes bourdes parce qu’il pense que ça sert à rien de rendre le truc plus carré tu vois. De toute façon c’est comme ça que je le voulais et il respecte ça. Après, Sam travaille beaucoup sur le son du mix, que tout soit bien équilibré, etc. Honnêtement je ne sais pas comment je fais. Je n’ai pas de recette particulière mais les albums de Throane sont enregistrés dans la plus pure urgence à chaque fois. Je n’ai pas vraiment retravaillé derrière et c’est pour ça qu’il y a plein d’erreurs dans les deux albums mais c’est des erreurs que je peux défendre car c’est comme ça que je le voyais, c’est comme ça que j’avais besoin de le ressentir et donc ça ressort comme ça. 

 


 

S.A.D.E : Sur la pochette de « Plus une main à mordre », c’est ta mère qui sert de modèle. Une femme tondue. A quel moment t’est venue l’idée d’impliquer ta mère dans ce projet ?

Pour refaire l’historique et car ça explique pourquoi elle est sur cet album, ça ne devait pas être ma mère mais je voulais que ce soit une femme et au moment où je voulais faire la pochette, ma mère a eu un énorme problème de santé qui l’a beaucoup bloquée, qui a eu des incidences aussi bien sur son physique que sur son moral. De voir sa mère chuter, c’est particulier et je ne savais pas comment l’aider en fait. Un jour, je parlais avec elle et elle me demandait ce que je foutais avec mes projets. Je lui ai expliqué que je voulais faire une pochette pour un disque et que je ne trouvais pas de modèle. J’avais déjà demandé à quelques personnes mais j’ai eu des refus car l’idée les dérangeait. Eh bien, elle m’a regardée un peu spontanément en me disant « Je le fais ! Vas-y ». Ma mère qui déteste être prise en photo, qui est une femme très forte mais qui n’aime pas du tout être mise en avant. Elle est sortie d’une opération et la semaine qui a suivi je l’ai prise en photo. C’est la première fois que je l’ai vue aussi fière d’elle. Du coup, j’ai trouvé que ça valait le coup de ne pas trop réfléchir et de valider la pochette en travaillant sur les contrastes. Je pense que ça restera aussi l’idée du projet au niveau des visuels. C’était pareil pour le premier album où j’ai un lien avec la personne qui est dessus. C’est quelqu’un qui a beaucoup de colère en lui mais qui intériorise beaucoup. De le voir ne serait-ce que torse nu devant moi, ça a du être une épreuve pour lui. Il y a mille choses comme ça et finalement c’est un projet solitaire mais si j’ai des connexions avec certaines personnes, elles arrivent à se retrouver là-dedans. C’est l’objectif aussi un peu d’avoir ça. Pour le troisième j’ai déjà une idée et je sais ce qu’il risque de se passer…

 


 

Nostalmaniac : Donc là tu travailles déjà sur un troisième opus…

Oui, j’en ai même déjà jeté un à la poubelle ! Il est écrit et je vais juste essayer de faire les choses différemment ce coup-ci. Peut-être ne pas enregistrer chez moi cette fois et me confronter à autre chose pour ne pas répéter toujours les mêmes choses. En tout cas, les plans sont en train d’être faits. Ça va être un peu différent…
 

Nostalmaniac : Pour revenir à « Plus une main à mordre », j’imagine que la collaboration avec Colin d’Amenra s’est faite naturellement…

Oui, puis pareil, ça s’est fait au bon moment…
 

Nostalmaniac : Tu imaginais le résultat comme ça ?

Alors, je voulais qu’il chante en clair complètement et c’est la seule chose que je lui avais dit car je trouvais ça intéressant mais l’idée c’était aussi de le laisser faire ce qu’il ressent car je ne veux pas lui mettre de barrière, mais c’était le bon timing surtout. On en avait parlé plusieurs fois en fait et je ne dis pas qu’on s’incruste sur les projets des uns des autres mais là pour Throane ça lui tenait bien à cœur parce que je sais que le premier il l’avait bien aimé, alors qu’il n'est pas un grand amateur de Black Metal au sens large. Il m’avait dit un truc qui m’a apporté du sens c’est que Throane quand tu le prononces avec un certain dialecte flamand, ça veut dire larmes. Je ne le savais pas du tout. Tout ça tombe bien. Il m’a dit que sur le prochain il viendrait gueuler un coup et ça s’est fait. J’ai pas spécialement écrit pour lui. Je lui ai laissé un passage que je pensais lui correspondre et ça lui a plu…
 

S.A.D.E : J’ai une question mais qui n’a peut-être pas vraiment de réponse. Pourquoi avoir choisi le français comme langue pour t’exprimer outre la facilité  ?

C’est la spontanéité du truc. Je me suis pas vraiment posé de question à ce niveau-là. J’ai commencé à écrire des textes de façon très automatique. Mes textes c’est des bouts de cahier de réflexions que j’ai réorganisés en reprenant des passages. Comme c’est des choses que j’ai écrites en français il était hors de question de traduire ça. Après je pense que personne ne comprend un traître mot de ce que je dis quand je chante car je n’articule absolument pas et que c’est noyé dans plein de choses. L’idée n’est pas de comprendre les paroles mais plutôt l’intention derrière. 


Nostalmaniac : On peut parler de ton autre facette, intiment liée, c’est celle de graphiste. A la conférence, tu disais qu’une collaboration artistique pour toi c’était plus qu’une simple association mais une expérience physique. Tu peux développer ça ?

Les exemples que j’ai en tête c’est quand je travaille avec Treha Sektori en fait, aussi bien les vidéos que les visuels. Je me mets physiquement au service du visuel. Ce qui m’a toujours poussé là dedans c’est que finalement c’est des choses où on revient dans un sale état. C’est même parfois très dangereux. J’avais fait un visuel avec William Lacalmontie pour marquer le coup de ma tournée au Japon et on a tourné dans un endroit où on s’est fait bloquer par de l’eau, puis après il y a une chute de pierres, on a dû escalader... Bref, c’était une journée « d’enfer physique » mais en rentrant à la maison c’est une forme de libération. Je suis content de rentrer et de travailler sur ces choses là en étant épuisé, un peu ensanglanté. J’aime vraiment m’impliquer à fond dans ce que je fais et du coup c’est très symbolique en fait. C’est ce que j’aime le plus. Là je ne vais pas citer de nom car je n’ai pas encore le droit mais j’ai beaucoup travaillé pour un projet qui m’a pris beaucoup de temps sur une technique que je ne maîtrisais pas vraiment avant. Depuis le mois de septembre, j’y ai passé toutes mes nuits. Là actuellement, je suis très fatigué car en journée je travaille dans une agence. La journée je fais du visuel mais pour des choses moins… Metal. Ca me fait marrer de le dire mais j’ai bossé pour PNL ! C’est assez inattendu je sais mais j’ai bossé pour PNL (sourire). Sinon, cumuler ce travail qui a été un travail d’implication dès le départ dans le processus créatif. C’est à dire que j’ai travaillé sur la base des paroles. Je n’ai pas entendu une seconde de musique, ils ne m’ont donné aucune indication mais ils voulaient voir. Par chance, j’ai trouvé la direction qui leur convenait et l’énorme gratification pour moi c’est que du coup j’ai été impliqué dans le processus créatif depuis 6 mois. C’est le genre d’expérience que j’ai envie de vivre à fond.  Le groupe veut que je le guide de ce point de vue là mais je dois comprendre ce qu’ils veulent. Le seul moyen c’était d’être impliqué dès le départ. Hors de mes projets, ça a été l’une de mes meilleures expériences même si c’est loin d’être fini, j’ai encore énormément de boulot là-dessus. Physiquement, je l’ai ressenti aussi. J’ai passé mes nuits là-dessus sans m’en rendre compte. Bien que j’ai toujours des facilités à ne pas beaucoup dormir, là je commence à le ressentir. En même temps je ne le ressens pas spontanément. Je me rends compte que je suis en train de m’abîmer car je ne dors pas ou je dors dans des conditions de merde, etc. De l’autre côté, je souhaite ça car j’ai toujours imaginé faire les choses dans la douleur. A titre d’exemple, mon briefing à mes acolytes dans Throane c’est qu’il est hors de question qu’on parle d’amusement et de prendre du plaisir.  Ce qui est un peu contradictoire aussi car de fait je fais de la scène, ça te procure un certain plaisir, une certaine adrénaline. Pour un peu enfoncer le clou dans cet état d’esprit, c’est de leur dire qu’il est hors de question que quelqu’un me dise « j’ai pris du plaisir », c’est aussi pour essayer de motiver mes troupes dans la bonne direction mais c’est vraiment ce que je pense. Je ne conçois pas de faire les choses facilement. Il y a une grosse part d’auto-flagellation. Je ne sais pas d’où ça vient, ni à cause de quoi mais je considère que ça se fait comme ça. 

 


 

Nostalmaniac : Quel est ton ressenti par rapport aux réactions sur ton art visuel, les interprétations… 

Honnêtement, je n’y prête pas trop attention mais c’est plus les groupes qui reçoivent les retours. J’ai qu’un exemple en tête où je savais d’avance que la réaction allait être mauvaise. Je suis allé dans le sens du groupe et je l’assume parce que j’ai beaucoup travaillé dessus mais je ne valide pas cette pochette, ça m’est déjà arrivé quelques fois. Le groupe a plus subi les débats autour de la qualité de leur pochette. Finalement les visuels pour les groupes, c’est plus les groupes qui prennent les réactions pour eux. 
 

Nostalmaniac : Mais ça t’intéresse de savoir comment les gens peuvent interpréter tes visuels ?

Oui, oui je suis assez curieux de comment les gens le ressentent. Après si quelqu’un me dit que c’est de la merde, tant pis, mais je suis toujours curieux de savoir pourquoi ce serait de la merde. Par chance, quand des gens me font des critiques négatives, elles sont assez intéressantes parce qu’on se rend compte qu’on a pas ressenti la chose de la même façon. C’est une question de perception et tu ne peux pas taper juste à tous les coups. C’est plus intéressant de savoir comment les gens le ressentent que regarder les avis. Et les avis je ne les recherche pas spontanément. Internet étant Internet tu as vite tendance à t’en prendre plein la gueule sans comprendre pourquoi. Je n’ai pas eu trop d’attaques et ça n’a jamais été trop agressif. Je n’ai même jamais eu de polémique pour être honnête…
 

Nostalmaniac : J’ai appris à la conférence que « 777 - Cosmosophy » de Blut Aus Nord a été retravaillé par rapport à ton visuel. C’est fou…

C’est la petite gratification quand j’avais reçu le mail. J'étais comme « T’es sûr de ton coup ? Mais vas-y ! ».  Avec Blut Aus Nord j’ai aussi 8 ou 9 projets terminés qui traînent et qui ne sortiront peut-être jamais. Là il va sortir un side project (Yeruselem), je l’ai fait il y a deux ans. Au départ je devais faire autre chose mais finalement on a retravaillé sur la pochette parce que la première pochette que j’ai faite sera pour un autre album. C’est un espèce de mic-mac avec lui tout le temps en fonction de son inspiration et de ce qu’il ressent.  Des fois ça peut être un peu frustrant car t’as passé beaucoup de temps sur des choses et t’as envie que ce soit un peu acté, validé. T’as envie aussi de pouvoir passer à autre chose d’une certaine façon. Et en fait non, il le retient. « Pas maintenant, je vais prendre ça et tu vas retravailler ça ». Il fonctionne beaucoup comme ça . Pour le « Cosmosophy », c’est vraiment une fierté. J’avais travaillé dessus avec Metastazis. Quand on a envoyé le premier jet il a mis quelques jours à répondre pour dire « Je veux ça mais ça correspond pas à ce que j’étais en train de faire donc je vais tout refaire ». L’album est sorti avec six mois de retard je crois et il a fait quelque chose de beaucoup plus lumineux et diversifié. C’est enrichissant ce genre de collaboration car t’es pas que dans la commande au final. 

 


 

Nostalmaniac : Ce que tu ne fais pas vraiment…

Oui et non. Des fois je fais des commandes pour des amis car ils savent ce qu’ils veulent. Je pense à Amenra. Quand on travaille ensemble, ils sont assez clairs sur ce qu’ils veulent. On fait un petit ping-pong et l’objectif dans une collaboration c’est que ça soit le mieux pour l’autre partie quitte à ce que tu te dises « C’est pas assez bien, je vais continuer à bosser » ou « Je le sentais pas comme ça, on va peut-être faire autre chose ». T’es toujours un peu dans la recherche c’est ça qui est intéressant. Après c’est d’avoir le visuel le plus impactant ou les choses les plus fortes pour le groupe avec qui tu travailles...
 

Nostalmaniac : D’ailleurs, on peut parler plus largement de la Church of Ra.  Comment vois-tu l’évolution du collectif ? J’ai vu quatre fois Amenra cette année dans des salles de plus en plus grandes et face à des publics pas toujours très concernés. L’intérêt a vraiment explosé et ça rejaillit forcément sur tout le collectif… 

Je ne les remercierai jamais assez car c’est en quelque sorte mon meilleur label. C’est eux qui m’ont beaucoup poussé, notamment à faire des concerts. Je n'étais pas suffisamment confiant en moi pour faire des concerts solo. On a fait des concerts avec Sembler Deah et ils m’ont poussé à continuer. J’étais sceptique puis un jour ils ont joué à Paris et ils m’ont dit « tu joues ! ». Ça a été super pour moi car on m’a proposé d’autres dates, ça a pris un peu plus. Après pour revenir à Amenra, je suis très fier pour eux et leur dernier album leur a fait passer un cap alors que justement on avait pas mal de débats où ils se demandaient « Finalement on est arrivé à un niveau assez haut dans notre truc, comment on pourrait grossir un peu plus ? ». Ils ne savaient pas vraiment ce qui pourrait les pousser un peu plus et finalement leur album a parlé pour eux. Ils ont eu plus de visibilité et ça a appuyé la notoriété qu’ils avaient acquise ces dernières années. Ca leur a donné aussi un public un peu plus large sans qu’on se l’explique mais je pense que c’est bien dans le sens où ils ont envie de faire de belles dates. J’en parlais un peu avec leur batteur qui me disait « Je reste bloqué sur quand on faisait des tournées avec 10 personnes et finalement c’était y a pas si longtemps que ça ». « T’arrivais dans les salles, t’avais rien pour faire faire ta balance ». Aussi car on parlait du fait que je n'étais pas vraiment satisfait du rendu live de Throane, j’aurais voulu faire quelque chose de beaucoup plus fort, etc. Il me disait aussi que des fois tu fais tout ce que tu peux et ça merde. Il arrivait dans des salles où il y avait 10 personnes, les mecs leur crachaient à la gueule. Maintenant les mecs sont convaincus. C’est ça qui est bien. Tu n'oublies jamais qu’il y a 4-5 ans t’étais devant 10 personnes et maintenant tu arrives dans une salle t’as ton écran énorme pour faire tes vidéos, t’as du bon matos, etc. Je suis plutôt content pour eux car j’ai jamais entendu de discours du genre « On veut devenir gros, on veut devenir un gros groupe ». Plus ça a monté pour eux, plus ils en profitaient en se disant « comment on améliore notre truc ? ». C’est ça qui est intéressant, en plus d’être une leçon. T’as des moyens à disposition, autant en profiter. Je trouve ça positif pour eux après je pense que vis-à-vis des autres groupes Church of Ra y'a des groupes qui ont réussi dans l’ombre d’Amenra, je pense à Oathbreaker même si c’est très lié. Leur succès rejaillit forcément sur les autres projets car on est tous impliqués les uns avec les autres. Est-ce qu’on a envie qu’ils soient gros pour nous grossir, je ne suis pas sûr. Je parle pour moi et Oathbreaker, je peux me permettre. Je suis ravi pour eux. Je les vois sur les réseaux sociaux avec des koalas en Australie, ils passent de bons moments. C’est ça qui les intéresse aussi, c’est ça qui nous intéresse. En tout cas ce n'est pas grossir pour grossir… 
 

Nostalmaniac : A côté de ça il y a le fait de rester très accessible. J’ai vu Colin d'Amenra prendre du temps pour parler aux gens au merch, par exemple.  Ce qui peut trancher avec l’image qui est renvoyée, de quelque chose de très secret et hermétique...

Je peux peut-être parler pour Colin mais il arrive à créer lui-même une sorte de distance mais c’est pas spécialement ce qu’il recherche. Ça l'intéresse de rencontrer des gens qui écoutent sa musique. Personellement, quand je sors de concert et que quelqu’un me dit que c’était vraiment bien ou c’était de la merde, je le remercie car on partage quelque chose. On peut essayer de faire évoluer tout ça. C’est du questionnement en permanence. Je comprends que certains veuillent se donner une image très froide ou distante mais dans le cadre de la petite troupe qu’on peut être – qu’on appelle Church of Ra mais qui sont juste des potes qui gravitent autour d’Amenra – c’est différent. On a un peu tous le même état d’esprit et justement le peu de conflits qu’on a pu avoir c’est dès qu’il y en a un qui a pris un peu la grosse tête. Je ne citerai personne car ce n’est pas forcément lié à des personnes du premier cercle mais quand il y a eu des problèmes d’égo il y a eu un recadrage assez violent. Pour avoir été témoin de ça, je suis assez d’accord avec le recadrage qui a été opéré car c’est passé d’un extrême à l’autre très bizarrement et en peu de temps et il fallait lui dire « oh, c’est fini maintenant ! ». Il n’y a vraiment pas de place pour ça au sein de la Church of Ra. Je pense qu’on a une vision commune dans la démarche. Dans la forme et le fond tout diverge à tout moment et c’est ça qui est intéressant aussi. De faire de l’Ambient pour Amenra ça avait du sens, ils ne voyaient pas de barrière du tout entre nous. Ils trouvaient que c’était un bon mélange.
 

Nostalmaniac : On peut parler de Sembler Deah…

Oui, qui a été l’album (ndr : « Kaessariah. Heel Een Leven Lang » en 2011) sur lequel on s’est rencontrés finalement. C’est même je pense le seul qu’on sortira. Un jour on sortira peut-être notre breakfeast session, un truc qu’on a fait en une heure en buvant un café chez moi. On a enregistré pas mal de choses et finalement le sens n’y est plus. On a fait tellement de trucs à côté qu’il n’y a plus forcément la même envie. Je dis ça et ça se trouve dans deux semaines on refait un truc mais c’est une histoire de timing. Mais cet album c’est vraiment le biais par lequel on s’est rencontrés car à l’époque je connaissais surtout Colin et j’ai beaucoup sympathisé avec Mathieu Vandekerckhove. A la base, j’avais envoyé mon premier album avec Treha Sektori à Colin et il était partant pour mettre des voix puis j’ai envoyé un bout de morceau et il m’a dit « Il faut qu’on mette Mathieu dans le truc il va t’ajouter des ambiances ». On en a discuté et un mois après je suis allé en Belgique et on a passé deux nuits et une journée à écrire et enregistrer l’album...


Nostalmaniac : Il y a un live aussi qui est impressionnant à l'église des Dominicains de Gand… 

On en avait quelques uns mais c’était assez étrange comme sensation. C’était la première fois que je jouais dans une église, c’était assez fort…

 


Nostalmaniac : Je te laisse conclure l'entretien…

Merci beaucoup à vous pour l’intérêt, je suis toujours surpris. Je vous souhaite le meilleur pour Horns Up !


***

Interview réalisée le 18 novembre 2018