Le Max de l'ombre. 29 ans. Rédacteur en chef de Horns Up (2015-2020) / Fondateur de Heavy / Thrash Nostalmania (2013)
Ecrire pour ne pas sombrer. Ecrire comme pour se raccrocher à quelque chose. Ecrire. Voilà mon premier réflexe après les nombreuses écoutes attentives de cet opus qui m'a retourné.
Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu.
2018 est une année importante pour le collectif toulousain des Apôtres de l'Ignominie, car si on s'attendait surtout au successeur de « Revelation » du côté de Malhkebre, l’annonce de ce nouveau Sektarism est tombée comme un couperet. Un opus inattendu, un an après « La mort de l'infidèle » qui est malheureusement - il me semble - passé inaperçu. Ce qui est d’emblée plus difficile avec un label aussi mythique et exigeant que End All Life Productions, sous-division de Norma Evangelium Diaboli intimement liée à Deathspell Omega.
Depuis « L'offrande » en 2008, Sektarism m’a toujours intrigué et fasciné par ses visuels et son message mais je n'ai malheureusement pas toujours creusé assez, trouvant qu'il manquait un petit quelque chose. Le titre de ce nouvel opus, « Fils de dieu », se reflète implacablement à travers cet artwork éblouissant de symbolisme signé Dehn Sora (Throane, Treha Sektori), bien connu des adeptes de la Church of Ra. Une main trouée traversée par la lumière et dont le jaillissement se répand en cascade évoquant ainsi la Crucifixion et les Saintes Plaies.
Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent.
La montée du Golgotha ou Via Dolorosa est au coeur de ce disque à tel point que Sektarism semble en offrir une sorte de bande-son édifiante. Le rythme tribal sur lequel repose “Oderint Dum Metuant” (locution latine qui signifie “Qu'ils me haïssent, pourvu qu'ils me craignent” et qu’on attribue à tort à Caligula mais qui définit parfaitement la tyrannie) est parcouru de cris de souffrance et de bruits métalliques, ce qui renvoie inévitablement à la flagellation de Jésus. Sa montée en puissance donne vraiment l’impression de châtiment, comme ce qu’on peut imaginer de ces coups de flagrum (ce fouet romain composé de lanières auxquelles on attachait des osselets ou des balles de plomb) et dont l'intensité monte crescendo instaurant une ambiance incroyablement sombre, violente et délétère qui n'est pas sans rappeller certains travaux d'Abruptum. Une ambiance qui ne quittera plus le disque...
Nul besoin de jugements techniques sur le son car le rendu sonore est volontairement live, direct. Il faut s'y abandonner et je me suis plongé dans l'obscurité de cet album comme on se plonge dans un puits et que la corde - seul lien vers le réel - se casse.
La révélation au travers de la plaie...
“Oderint Dum Metuant” n'était que le sinistre préambule. Le Chemin de Croix, la marche impitoyable vers le mont du Calvaire, prend forme musicalement ici mais est-ce le Nazaréen ou à travers sa figure, l'humanité portant le poid de ses erreurs, que Sektarism s'imagine le sacrifice ultime ? A chacun d'en faire sa propre interprétation, tout comme à chacun de ressentir ce long morceau de plus de 33 minutes qui est pour moi la quintessence de Sektarism : noir, éprouvant et intense. Une guitare abrasive, une batterie retentissante et des boucles de riffs qui me plongent dans une infinie désolation. L'impression de ne pouvoir s'agripper à rien, de tomber inexorablement dans le vide et de se retrouver à genoux dans un trou où je ne peux contempler que son immensité. Où se situe ce trou ? Sûrement en chacun de nous car ce que me fait ressentir chaque son de ce "Sacrifice", c'est quelque chose de très profond et d'intérieur. On se sent comme mis à nu avec l'obligation de ne pas détourner le regard de sa nudité : ses faiblesses, ses échecs, ses vices. Nous avons chacun notre propre Golgotha, non ? Sektarism s'y glisse et ne parlons pas de catharsis. C'est une marche forcée vers la mort, vers son propre calvaire. "Les nuages noirs dérivent en spirale autour de la honte de l'humanité" hurle une voix nous donnant une image cinglante du Golgotha et de sa croix dressée. Ce qui m'impressionne le plus avec ce morceau - et l'opus tout entier - c'est ce côté dépouillé qui devient intensément sombre et inconfortable, mais tellement addictif. Je l'ai réécouté une dizaine de fois, comme pour trouver la clé, mais en ignorant l'impact perfide qu'a ce morceau car j'y retrouve le pouvoir de fascination macabre qu'a eu sur moi Les Légions Noires, mais aussi les premiers Abruptum. Difficile d'accès par le format qui empêche de skipper mais surtout ce genre de son tellement obscur qu'on ne peut pas l'imaginer capturé dans un studio à la mode. Ce genre de son qui te hante sans pouvoir s'en détacher, comme ces chuchotements finaux invitant à la prière. Il y a dans cet opus quelque chose d'authentique, de malsain et de vraiment Black Metal à l'heure où, en plus des productions surcompressées, l'encensoir de Batushka sème la tromperie.
Qu'on le catalogue comme Funeral Doom, Black Metal ou Black/Doom, ce nouveau long format des Toulousains est surtout à ranger (mais pas tout de suite) à côté des chefs-d’oeuvre de l’art noir français. Absolument monumental, « Fils de dieu » est l'album qui fait gravir à Sektarism un échelon supplémentaire au moment où le groupe s'apprête à partir en tournée et s'ils arrivent à retranscrire pareille atmosphère en live, ce sera énorme. Gageons que l'ensemble des Apôtres de l'Ignominie suivent ce chemin.
Prions, mes frères
Tracklist:
Oderint Dum Metuant
Sacrifice