"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Si la chaleur caniculaire vous étouffe, quoi de mieux qu’un album… dont le concept est l’exploration de l’Antarctique. Il est de l’œuvre d’un groupe qui de toute façon, a toujours soufflé un vent frais sur le monde du Funeral Doom. Void Of Silence s’est formé en 1999 autour du duo Riccardo Conforti - Ivan Zara, les deux Italiens s’étant greffés depuis et respectivement aux supergroupes Aphonic Threnody et Towards Atlantis Lights. Le groupe a plusieurs particularités. Déjà, il n’a sorti que des albums, jamais de démo, d’EP ou de split, malgré une certaine connexion avec le reste de la scène Black/Doom italienne. Ensuite, il a compté plusieurs chanteurs au cours de sa carrière, qui ont fait office de troisième membre avec Riccardo et Ivan. Et pas des moindres vu que se sont succédés Malfeitor Fabban (Aborym) pour Toward The Dusk (2001) et Criteria Ov 666 (2002), Alan Nemtheanga (Primordial) pour Human Antithesis (2004), Brooke Johnson (The Axis Of Perdition) pour The Grave Of Civilization (2010), et désormais Luca Soi (ex-Arcana Coelestia). Enfin, le groupe a toujours eu un son assez personnel et particulier, et son classement dans le Funeral Doom en demeure discutable. Si le « format » est « Funeral » avec ces longs morceaux et ce côté tout de même un brin morbide et apocalyptique, Void Of Silence est davantage un groupe de Doom-Metal atmosphérique voire ambiant, et finalement pas du tout « Doom/Death ». Si des touches de Black étaient présentes dans les deux premiers albums avec Fabban au micro, c’est Human Antithesis qui a posé la véritable identité du groupe, avec un Doom assez sidérant, lumineux mais à sa manière car plutôt mystique. Avec The Grave Of Civilization, Void Of Silence avait d’ailleurs repoussé les limites de son côté épique et monumental, ce qui avait accouché d’un album assez grandiose, même si Human Antithesis montrait déjà les capacités des Italiens (on se souvient notamment de ce dantesque morceau d’ouverture de 20 minutes). À part dans le monde du Funeral Doom et du Doom italien, Void Of Silence est devenu un nom qui compte. Il nous tardait donc de savoir à quoi allait ressembler la suite de sa carrière…
Mais depuis 2010, les nouvelles ont été bien maigres. Brooke Johnson n’est pas resté, et le duo s’est mis en quête de son quatrième vocaliste. Ce qui a occasionné quelques remous et retards, Luca Soi qui avait chanté sur les deux premiers albums d’Arcana Coelestia (un des groupes italiens assez comparables à Void Of Silence dans l’absolu, avec Urna sur ses deux derniers albums) a d’abord été annoncé, mais est reparti aussi sec. Mais finalement il est revenu, et a bien enregistré les vocaux (et a même signé les paroles !) sur The Sky Over, cinquième album tant attendu du groupe italien. On y a pas compris grand-chose et on a eu peur pour l’existence même de Void Of Silence, mais 8 ans après, le successeur de The Grave Of Civilization est bien là, pris en charge par Avantgarde Music qui est toujours dans les bons coups dernièrement. Alors à quoi s’attendre ? Pas de grande révolution a priori. Void Of Silence pratique donc toujours un Doom-Metal assez lumineux et enivrant, apocalyptique à sa manière, prenant le contrepied du Funeral Doom le plus caverneux mais dégageant également un certain désespoir inhérent au Doom. Les morceaux sont toujours bien longs, un quart d’heure minimum pour les « vraies » compositions, de ce côté Void Of Silence ne change rien et laisse donc toujours une bonne place pour ses atmosphères, qui se développent assez souvent sans Metal, et les breaks totalement ambiants sont toujours de la partie. On reconnaît donc bien vite la patte épique et chatoyante de Void Of Silence, dans la lignée de The Grave Of Civilization, mais on se situe parfois à mi-chemin entre ce dernier et son prédécesseur Human Antithesis. Le principal changement viendra donc du chant, qui va encore trancher par rapport à ceux de Brooke Johnson et Alan Nemtheanga. Luca Soi propose une voix plus « opératique », plus « italienne » en un sens. On avait d’ailleurs pas spécialement entendu de voix claires de sa part chez Arcana Coelestia, à part quelques lignes sur Le Mirage de l’Idéal (2009), donc sa performance sur The Sky Over sera une nouveauté pour tout le monde. Il est vrai que ses vocalises seront diversement appréciées, ce n’est pas vraiment un chanteur de grand talent (même Brooke Johnson ne l’était pas non plus, et Alan Nemtheanga a toujours eu un chant très particulier), mais ce qui est sûr, c’est que ce genre de vocaux colle parfaitement à l’« anti »-Funeral Doom de Void Of Silence, et une fois l’adaptation faite, on peut apprécier cet album pour ce qu’il est, un nouveau grand cru de la part du combo italien.
Et Void Of Silence va déjà frapper très fort. Si le départ de The Grave Of Civilization sur l’intro "Prelude to the Death of Hope" suivi du démarrage monumental du morceau-titre était déjà grandiose, The Sky Over va s’ouvrir de la plus belle des manières, sans intro cette fois-ci, "The Void Beyond" ouvrant l’album du haut de ses 16 minutes. Avec un départ très atmo, porté par des synthés éthérés et des samples, qui pose l’ambiance très glaciale et cristalline de l’album. Un départ absolument fantastique et prenant, qui provoque des frissons grâce à cette ambiance plus sidérante que jamais, une lente progression redoutable avec quelques guitares en appui, qui laisse place au vrai départ du morceau vers 4’15’’ avec déjà des compos archi épiques. Le chant de Luca Soi se pose doucement, et le bougre s’autorise de belles variations (on entendra même un léger growl - mais qui est en fait de l’œuvre de Déhà qui a mixé l’album), sur fond de leads somptueux et même de quelques riffs mordants. Les claviers se laisseront ensuite aller à des emphases presque symphoniques tandis que les compos mènent leur dense à un rythme forcément doomesque. "The Void Beyond" est alors une ouverture dantesque qui se laisse aller de moments forts en moments de grâce, avec des parties de clavier de toute beauté, qui vont d’ailleurs finir en synthés « wave », une des originalités remarquables de The Sky Over, tandis qu’on arrive à se laisser emporter par ces vocaux tout de même maîtrisés et convaincants. Et que dire des envolées de leads mélodiques, des rythmiques inspirées et entraînantes… Void Of Silence est revenu en grande forme et "The Void Beyond" s’offre déjà quatre dernières minutes magistrales, entre leads gracieux, descentes de riffs et montées de synthé. Du grand art. Void Of Silence capitalise sur le côté transcendantal de The Grave Of Civilization pour nous emmener dans un voyage glaçant mais poignant au-dessus des paysages glacés de l’Antarctique. Inspiré, le duo est lancé pour livrer un nouveau chef-d’œuvre potentiel, qui va sans mal rivaliser avec Human Antithesis et The Grave Of Civilization, en gardant certains fondamentaux mais en amenant de petites singularités qui vont octroyer à The Sky Over une certaine classe.
Le bel interlude du nom de "Abeona (Or Quietly Gone in A Hiatus)" avec ses mélodies quasi-cosmiques nous amène donc, déjà, à la pièce centrale de The Sky Over qu’est son morceau-titre. Des chœurs éthérés pour commencer, et Void Of Silence ne perd pas de temps pour replacer ses riffs Doom bien écrasants, avant que les belles lignes vocales de Luca Soi ne soient accompagnés de synthés toujours bien variés et prenants. Très Doom, la première partie de ce morceau nous emporte donc sans mal au rythme du trident riffs/leads/synthés, un ensemble classique mais terriblement envoûtant, surtout quand les mélodies stellaires reviennent après un break hyper lumineux. "The Sky Over" va alors de plan épique en plan épique, avec déjà un retour percutant des synthés « wave » vers 9 minutes, avant que Luca Soi ne se lâche encore sur fond d’une mélodie entêtante, puis sur des riffs plus lourds après un nouveau break avec même quelques « growls » - de sa part cette fois. Avant un nouveau final absolument grandiose dès 13 minutes, avec de nouveau des synthés sympho formidables, encore une fois la pure epicness du Doom atmosphérique et lumineux de Void Of Silence fait mouche, grâce à des compos très inspirées. Un nouvel interlude, le sublime "Adeona (Or Surfaced As Resonant Thoughts)", et nous sommes partis pour la troisième et dernière piste fleuve de The Sky Over, "Farthest Shores". Le départ est une nouvelle fois très soigné, très atmosphérique avec force grattes acoustiques, l’ambiance est encore très éthérée et appuyée par une mélodie lointaine délicieuse, qui semble flotter dans l’ambiance au gré du vent. Encore une progression très doomesque, ne laissant apparaître riffs et chant qu’au bout de 5 minutes de musique. Mais si l’on retrouve tous les éléments gagnants des deux premiers « tiers » de l’album (claviers/synthés oscillant entre symphonies et sonorités « wave » en sus), "Farthest Shores" est un morceau un peu trop classique et convainc moins que ses deux prédécesseurs, les moments vraiment forts sont plus rares ou trop attendus, l’ensemble se traîne en longueur, les riffs se résument à des coups de médiator au rythme Doom, c’est quand même du bel œuvre que ce soit au niveau de l’ambiance et des mélodies, mais "The Void Beyond" et "The Sky Over" sont bien au-dessus. A l’image de certains morceaux un peu plus anecdotiques des deux précédents albums, qui font une nouvelle fois passer Void Of Silence à côté de l’excellence suprême et du véritable chef-d’œuvre indiscutable.
The Sky Over se termine néanmoins par une vraie outro « de luxe », même un véritable morceau en la présence de "White Light Horizon", mais totalement instrumental et ambiant. A l’image de tout ce qu’a fait Void Of Silence depuis ses débuts, cette conclusion sera apocalyptique, portée par des guitares acoustiques à la frontière du Dark-Folk, des chœurs lointains éthérés, et des synthés qui le sont tout autant et posent une dernière fois une atmosphère bien glaciale. Un beau final, pour un album tout de même sacrément cohérent et fignolé, même encore plus que ses deux prédécesseurs, le concept « Antarctique » étant bien embriqué de bout en bout et amène à ce disque une personnalité que n’avaient pas Human Antithesis et The Grave Of Civilization, avec à la clé quelques petites aspérités musicales. Après 8 ans d’absence, Void Of Silence est inspiré sur toutes les composantes et ne déçoit donc pas, et fait admirablement bien ce que l’on attendait de lui, du Doom-Metal certes pesant mais très lumineux et épique, et toujours monumental par moments. On peut donc malgré tout reprocher l’absence de sans-faute avec ce "Farthest Shores" bien moins mémorable, et le chant de Luca Soi ne plaira peut-être pas à tout le monde, surtout qu’il passe après Alan Nemtheanga et le sous-estimé Brooke Johnson. Mais si on s’arrête sur l’ambiance globale très prenante, les nombreux moments de grâce de "The Void Beyond" et "The Sky Over", et surtout les talents du duo de musiciens pour nous livrer ce Doom-Metal éthéré si particulier, The Sky Over est quand même une grande réussite et un des albums de l’année. Son seul tort est, finalement, de ne pas être meilleur que Human Antithesis et The Grave Of Civilization, de ne pas repousser encore plus les limites de l’art du groupe malgré un concept plus appuyé ici, bref de ne pas être -encore- l’album ultime de Void Of Silence. Le groupe n’a jamais été spécialement productif même si ses deux premiers full-length se tiennent en deux ans, aussi seule l’histoire nous dira s’il faudra encore attendre 6 ou 8 ans pour la suite, et avec un nouveau chanteur ou pas. Void Of Silence est un groupe qui sait se faire désirer, et l’attente est comblée avec un The Sky Over particulièrement enivrant, ce qu’on attendait au minimum de ce groupe qui est sans conteste un des maîtres en termes de Doom-Metal sidérant.
Tracklist de The Sky Over :
1. The Void Beyond (16:18)
2. Abeona (Or Quietly Gone in A Hiatus) (1:57)
3. The Sky Over (15:35)
4. Adeona (Or Surfaced As Resonant Thoughts) (2:24)
5. Farthest Shores (16:11)
6. White Light Horizon (7:31)