Interviews Retour
samedi 23 juin 2018

Arkheth

Tyraneos

Raleigh

Paru en début d'année, le dernier album du one-man band australien Arkheth s'est révélé être une excellente surprise. Suite à un échange avec le label du groupe, Transcending Obscurity, j'ai pu poser quelques questions à Tyraneos, qui a été particulièrement généreux dans ses réponses.

Pour rappel, le disque s'écoute intégralement sur notre site, juste ici.


 

''12 Winter Moons Come The Witches Brew'' est définitivement un album expérimental. Quelles étaient vos influences pour votre travail ? Musicalement bien sûr, mais aussi plus généralement.

On me pose très souvent cette question, et si on lit les critiques, on lui donne tellement d'influences que j'en ai perdu le compte (rires). Pour être parfaitement honnête, je n'ai pas d'influences directes pour cet album. Tout ce que je peux dire, c'est que ça représente l'apogée des influences musicales que j'ai pu avoir depuis ces 15-20 dernières années. Lorsque j'ai commencé à écrire les morceaux de l'album, j'étais extrêmement isolé du monde extérieur et de la scène Metal en général. Par conséquent, j'ai ressenti une totale liberté pour écrire de la musique sans idées préconçues. C'était complètement naturel. Je n'avais aucune intention de faire un énième rip-off d'Emperor ou de Darkthrone. J'aime toutes les formations de Black Metal des années 80 et 90, mais c'est impossible de recréer le ''feeling'' qu'ils ont capturé à l'époque. Cet album est bien évidemment profondément influencé par ce mouvement, mais pas de façon consciente. C'est simplement une partie de mon ADN maintenant, et quand j'écris de la musique, une partie va sonner comme du Black Metal, une autre comme du Miles Davis sous acide. Cela dépend d'où je me retrouve mentalement et émotionnellement sur le moment.

Je dirais que l'élément le plus conséquent, niveau influences, sur l'album viendrait définitivement de mes lectures des textes gnostiques et hermétiques. Hermes Tristmegistus et ses enseignements sont un thème central sur toute la durée de l'album. Son rôle avec l'humanité est étroitement lié avec le thème de notre monde qui se casse la gueule. J'adorerais aller plus loin sur ce sujet, mais ça deviendrait une très longue interview (rires).


Je suppose que proposer un album de Black Metal aussi délirant que celui-là, et avec du saxophone, est une tâche risquée. Comment a-t-il été accueilli ? Avez vous eu beaucoup de retours négatifs ?

Quand j'écrivais et enregistrais l'album, je ne pensais sincèrement pas que quelqu'un d'autre puisse un jour l'écouter, à part Craig (l'ingénieur), Glen (le saxophoniste) et moi-même. Donc, quand j'ai finalement entendu que Transcending Obscurity était intéressé pour sortir l'album, j'étais assez excité mais je n'avais aucune idée de comment les gens allaient le prendre. Je n'avais pas vraiment l'intention de le sortir dans un premier temps, puis je me suis dit ''Et puis merde, qu'est ce que j'ai à perdre ?''. La chose à laquelle je ne m'attendais pas a été l'incroyable niveau de positivité et d'ouverture envers le disque. Ça a été incroyable. Naturellement, certains n'étaient pas satisfaits par le côté expérimental, mais c'était prévisible. Je pense que ce type de musique tend à polariser les gens, et je suis content de ça. Je n'ai aucune intention de me reposer sur mes acquis avec ce que je fais. C'est tout ou rien.


Quand avez-vous commencé à travailler sur l'album pour la première fois ?

Je pense que j'ai commencé à travailler sur cet album vers 2008, à peu près. À cette époque, c'était un concept bien différent. Il y avait 16 titres, pour environ 3 heures de musique et ça allait vraiment emmerder beaucoup de personnes (rires). Honnêtement, je ne pense pas qu'un seul label aurait voulu toucher à ça. C'était une collection de morceaux tellement éclectiques que je pense que ça aurait eu du sens uniquement pour moi. À partir de là, j'ai commencé à enregistrer les guitares en 2010. J'ai terminé l'enregistrement et j'ai soudainement arrêté de faire de la musique. Pour faire court, j'ai presque complètement disparu de la société. Beaucoup de facteurs différents m'ont amené à devenir un reclus. Je n'ai pas touché un seul instrument ou écrit une seule note pendant cette période. J'avais perdu espoir dans l'idée qu'Arkheth sortirait quelque chose à nouveau un jour. Après la perte de ma mère fin 2015, j'ai eu un déclic et la passion pour terminer ce qui avait été commencé se ralluma. Le truc marrant, c'est que la période totale d'écriture et d'enregistrement s'étend sur seulement quelques mois pour une durée de 8 ans. La vie n'est pas toujours évidente, mais nous voilà.


Comment travaillez-vous sur votre musique ? Est-ce que vous êtes du type perfectionniste, recommençant sans cesse jusqu'à atteindre la perfection, ou alors cherchez-vous un certain état d'esprit avant de commencer ?

Quand il s'agit d'écrire les riffs et les structures des morceaux, je suis très méticuleux. Je ne commencerais jamais à travailler sur un morceau qui est ''presque terminé''. Ça doit faire parfaitement sens pour moi au niveau de la structure avant que je puisse commencer à rajouter les différentes couches. Cependant, je suis un peu différent quant à la performance. Je préfère largement une approche naturelle et humaine quand il s'agit d'enregistrer plutôt que la ligne de production qui est imposée aujourd'hui. J'aspire à la meilleure performance possible, mais je laisse aussi de la place pour l'aspect humain. Lorsque que le tempo augmente un peu ou lorsqu'une note est légèrement retouchée sans le vouloir. Des fois, ces petites nuances peuvent améliorer un enregistrement plutôt que de lui porter préjudice. Je ne suis pas non plus quelqu'un qui pense que le Black Metal doit forcément être raw, mais j'aime que les instruments sonnent comme de vrais instruments, et pas comme toutes ces conneries extraites de la scène mainstream aujourd'hui. Ça sonne juste faux, mais au final, c'est ce qui se vend le mieux. Je n'ai aucune idée de quel type de personne peut se lancer dans le Metal pour faire de l'argent, mais tant mieux pour eux je suppose. Ce n'est pas pour moi en tout cas. Je veux de la musique qui vienne du cœur, de la musique qui te remue profondément. Quelque chose à quoi t'accrocher, qui te fasse sentir en vie quand tu penses qu'il n'y a plus aucun intérêt à continuer. Les conneries ''Pop Metal'' commerciales qui sortent des gros labels aujourd'hui ce n'est pas du Metal. C'est de la Pop dans un emballage différent. Comment quelqu'un peut se sentir profondément touché par cette merde ? Enfin bref, je dérive (rires).


Vous êtes maintenant l'unique membre du groupe. Évidemment, travailler seul doit être bien différent que travailler avec d'autres. Qu'est ce que vous préférez ? Est-ce que vous regrettez le fait d'avoir d'autres membres autour de vous ?

Il y a des pour et des contre dans les deux cas. J'ai commencé à jouer de la musique dans un groupe complet où tout le monde contribuait d'une façon ou d'une autre et ça me manque vraiment. La camaraderie me manque, ainsi que de travailler des titres et de les écouter tous ensemble une fois terminé. Avec le temps qui passait, le nombre de personnes investies a diminué de manière croissante jusqu'à ce qu'il ne reste plus que moi, et ce, pour un long, long moment. La situation était incroyablement libératrice autant qu'incroyablement isolatrice. Pour la première fois, je n'avais plus de barrières et j'allais faire ce que je voulais faire, et je l'ai fait. Je continuerai à faire ça avec ma musique, qu'importe ce que les autres diront, et c'est l'une des choses positives qui sont ressorties de mon isolation. Ceci étant dit, j'ai actuellement assemblé le premier line-up live d'Arkheth en 10 ans (en comptant Glen, qui jouait du saxophone sur l'album) et c'est fantastique d'être de nouveau dans un groupe. C'est plus que de simples musiciens de sessions, mais plutôt un véritable groupe de personnes qui s'entendent et qui sont là pour le plaisir et la passion. Un vrai groupe quoi. Je garde profondément en moi tout ce qui concerne l'écriture, mais je commence à m'ouvrir et à expliquer mes idées aux autres. Ne me dites juste jamais de rendre ma musique plus ''normale'' par contre (rires).


En lisant les paroles de l'album, on peut voir que le concept de la nature a une place centrale. Comment l'expliquez-vous ?

La nature, le cosmos, la connexion entre tout ce qui a jamais été et tout ce qui sera est un thème continu dans la musique. Ça concerne la recherche pour la vérité ultime et l'harmonie avec le cosmos. Lorsque la journée se termine, je veux simplement être heureux et apaisé, mais on dirait bien que les cartes du destin en décident autrement (rires). En attendant, j'aime explorer différentes philosophies, des sagesses d'autrefois, des sagesses d'aujourd'hui, car il y en a quelques unes, et j'essaye de plus ou moins créer quelque chose, peu importe si cette contribution est insignifiante sur l'échelle universelle de l'amour et du bonheur. Ça ne sonne pas très Metal comme réflexion, n'est ce pas ? J'ai déjà vu de la réelle douleur, et je l'ai déjà ressentie. C'est peut-être marrant de chanter à propos de meurtre, de torture et de la guerre quand on a 16 ans, mais quand que tu te retrouves confronté à la réalité, tu implores soit le bonheur, soit la mort. Maintenant, étant donné l'hypocrite que je suis, je dirai que même si je n'écris pas sur ces sujets, j'aime toujours les bons groupes qui le font (rires). 


Parlons maintenant de l'aspect visuel. La pochette de ''12 Winter Moons...'' est aussi délirante que sa musique. Quelle est l'idée principale derrière son concept ?

Tout d'abord, je dois dire que T. Bare McClough a fait un travail exceptionnel en donnant vie à ma vision. Je ne pouvais pas demander mieux. Je recherchais quelque chose de typiquement sombre, avec les thèmes des sorcières et de la lune pour un concept de base, mais avec des touches et des tournures particulièrement tordues, le tout avec des couleurs psychédéliques. L'idée des couleurs pour moi est de retranscrire comment je vois la musique. Personnellement, je vois la musique en couleurs, et je voulais que la pochette reflète ça et c'est parfaitement le cas. Ça semblait parfaitement naturel pour moi à l'époque d'écrire la musique comme elle est maintenant, tout en pensant aux couleurs et au concept pour cette pochette. C'est seulement maintenant que je remarque son ''étrangeté'', avec les gens qui continuent de me le faire remarquer. Tout le processus a été très naturel pour moi, le fait que je n'avais aucune opinion extérieure joue beaucoup.


Est-ce que vous avez d'autres projets musicaux ? Et sinon, est-ce qu'il y en aura un jour ?

Jusqu'à récemment je n'ai eu qu'Arkheth dans ma vie. J'ai toujours cru que si j'écrivais de la musique, qu'importe comment elle était, je voulais que ce soit pour un seul et même projet. Tout cela a changé l'année dernière quand je me suis reconnecté avec d'anciens amis, après m'être isolé pendant 5 ans où je ne voyais personne. Tous les quatre, nous sommes des musiciens établis avec des façons d'écrire très personnelles, uniques. On a commencé par ressasser le vieux temps et on a décidé de faire une sorte de projet de Black Metal purement fait pour écouter autour d'un feu de camp avec des bières. L'idée, c'était de se retrouver tous les quatre dans une cabine sur le Mont Canobolas, où nous avons tous grandi, et de répéter et enregistrer quatre morceaux chacun sur quatre jours. Nous avons fait une session en hiver, et nous avons récemment terminé notre session d'automne. Les titres sont enregistrés au moment de leur création et de suite après nous rajoutons les claviers et les vocaux. Chaque personne apporte son morceau, et nous apprenons à le jouer sans remettre en question le processus. Le projet s'appelle pour l'instant Black Autumn Ethereal. Il ne nous reste plus qu'à mixer les chansons mais nous n'avons toujours pas décidé si nous allions sortir le disque ou pas.


Vous faites des concerts depuis peu. Est-ce difficile de capturer l'ambiance assez particulière de l'album en live ?

En effet, nous avons fait très récemment notre premier show en 10 ans à Sydney et c'était très amusant. Nous avons prévu de faire autant de concerts que possible mais ce n'est pas évident d'organiser des séances de répétitions là où nous vivons. À vrai dire, j'ai d'abord pensé qu'il serait bien plus difficile de retranscrire la musique en live, mais avoir Glen dans le groupe pour jouer le saxophone et les claviers a rendu la chose possible. Les trois personnes avec moi actuellement ont travaillé très dur pour qu'Arkheth puisse revenir sur scène, et j'en suis extrêmement reconnaissant. Ça a toujours été compliqué dans le passé, et cette fois particulièrement, mais tout le monde s'en est sorti à la fin. Maintenant, je l'espère, nous allons pouvoir lentement améliorer l'aspect visuel et sonore pour proposer une expérience à la hauteur des attentes concernant la musique. Ça viendra avec le temps.


Est-ce qu'on peut espérer que les prochaines sorties d'Arkheth suivront la direction de ce dernier disque, ou est-ce que cela prendra une tournure totalement différente ? Ou peut-être est-ce trop tôt pour demander ?

J'ai passé la dernière année et demie à écrire et essayer de perfectionner le prochain album. Les titres sont écrits, et maintenant il est temps de se rendre de nouveau au studio. Je pense définitivement qu'il y a des liens entre ''12 Winter Moons...'' et ces nouveaux morceaux, mais de façon générale, c'est un opus bien différent. Je n'ai aucun intérêt à essayer de répéter ce qui a été fait ou d'essayer de faire une quelconque suite. Je me rends bien compte que je risque de décevoir beaucoup de personnes qui ont adoré ''12 Winter Moons...'', mais je ne serais pas honnête avec moi-même si je n'écrivais pas ce qui me semblait être juste. Si à sa sortie, l'album se fait totalement descendre par le public, qu'il en soit ainsi. Au moins, j'aurai quelque chose à écouter et à apprécier, et au final, c'est pour ça que je fais ça. J'écris la musique pour moi, et pour personne d'autre. C'est juste un excellent bonus lorsque les autres l'aiment aussi (rires). 


Merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à mes questions. Avant de terminer, est-ce que vous aimeriez conseiller un groupe en particulier à nos lecteurs en France ?

J'aimerais juste remercier Horns Up de m'avoir donné l’opportunité de me prononcer sur ce que je fais et de montrer de l'intérêt dans la musique. J'ai reçu tellement de retours positifs venant de France, et c'est incroyable de se sentir reconnu dans cette petite partie du monde, donc je vous remercie beaucoup. Si vous cherchez des chefs-d’œuvre mélodiques qui sont passés sous le radar, écoutez ''Witchcraft'' d'Obtained Enslavement, ''Crystal Palace'' par Forlorn, ''Supreme Immortal Art'' par Abigor et ''A Umbra Omega'', par Dodheimsgard.

* * *