Dans le lointain, sur les flancs des montagnes couleur de nuit, s'étend mollement une épaisse couche de brume qui semble prendre sa source directement de l'astre lunaire. D'un mouvement unique, presque imperceptible, elle se déverse sur cet horizon sylvestre pour l'enlinceuler de son manteau.
Suis-je en train de rêver ?
Je ne reconnais pas les arbres qui me dominent de leur hauteur, ces tilleuls presque altiers et ces conifères orgueilleux formant ces bois sombres et denses qui m'entourent.
Leur silhouette d'encre ne se découpe que grâce aux astres constellant le ciel, dont la lumière ne saurait pâlir que devant celle de la lune. Plus brillante que jamais, elle noie ce monde nocturne dans ses rayons dont la douceur rend ce tableau à la fois si étrange et si paisible.
Suis-je seulement dans mon monde ?
Entre moi et le monde tombe alors un rideau de gaze qui me semble presque palpable, né de la pluie diluvienne. Impossible de transpercer cette barrière naturelle du regard, impossible de voir au-delà du précipice qui s'étend devant moi. C'est comme si, l'espace d'un instant, tout ce qui avait existé n'était plus, à l'exception de cette étendue sauvage et de ces rayons lunaires. Comme si j'étais arrivé au bout du monde. Un îlot solitaire dérivant sur les flots brumeux.
Je ne reviendrai pas.
Je ne sais pas s'il est possible de se sentir nostalgique d'un environnement que l'on n'a jamais connu, voire plus, que l'on aurait imaginé. Pourtant, j'aime à le croire. Quelque part, je me doute bien que la vérité est infiniment plus complexe, que cette condition aurait un nom précis et une définition non moins précise. Mais la vérité ne m'importe et ne m'attire que très peu. L'idée que cette sensation de nostalgie puisse n'être qu'une illusion, un mensonge inconscient raconté par et pour moi-même ; cela ne me semble pas si important que cela lorsque je la ressens pleinement. Je préfère me contenter du fait que, lorsque je me lance dans l'écoute de cet album, et que ce dernier se laisse alors pénétrer, je vois clairement ce microcosme d'un autre monde, baigné de ce halo laiteux si particulier et exclusif à l'astre lunaire.
Je ne suis pas très familier avec la discographie de Lunar Aurora. Pour être tout à fait honnête, mon premier contact avec le groupe s'est fait par Hoagascht. Et, malgré mes autres écoutes, trouvant un charme indéniable à Andacht ou admirant les idées de Zyklus, je reviens toujours vers ce même opus. Fidèle à mes premières amours, je n'arrive absolument pas à me détacher de son influence. Ou plutôt, je ne veux m'en débarrasser pour rien au monde.
Avec le temps, ma sensibilité pour les ambiances dans la musique s'est confirmée, si bien que c'est ce qui me parle le plus aujourd'hui. Et le ton si particulier d'Hoagascht, son aspect éthéré, rendant floue les frontières entre expérience consciente et rêve, ne cesse de porter sur moi la même fascination provoquée lors de la première écoute. Ce sentiment de liberté, étroitement lié à celui de solitude, ressenti comme une sorte de contact à la nature au travers de la musique, ne perd jamais de sa puissance ni de sa beauté. Hoagascht, c'est un manteau apaisant déposé sur mes épaules, un vent froid faisant craquer les plus hautes branches d'arbres imaginés, mais ô combien présent dans mon esprit.
J'ai pu me procurer une traduction des paroles d'Hoagascht, qui sont écrites et chantées dans le dialecte parlé en Bavière, dans sa partie septentrionale. Scandant la beauté de cette nature germanique, ses aspects les plus sombres, le tout teinté d'une touche de folklore local, comme avec ''Håbergoaß'', similaire à la figure de Krampus. Antithèse d'un Saint Nicolas menaçant et enlevant une progéniture déshonorante, créature mi-homme, mi-chèvre, arpentant les régions montagneuses. Mais ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. Lueur éclatante de la foudre comme des étoiles, chouette effraie au regard réverbérant inquisiteur, ancienne forêt devenue consciente et malveillante, avec pour thème récurrent la froideur provoquée par l'abandon d'une vie qui n'est plus désirée. Meurtrier fuyant ses actes pour prendre refuge dans une nature qui ne le libérera jamais, illusion d'un visage inquiétant illuminé par la brève lumière du tonnerre, ascension désespérée d'un roc enneigé pour atteindre une phosphorescence hallucinée, les histoires plus étranges que les autres s'enchaînent, le tout plongé dans une nuit qui ne saurait s'éteindre.
Les environnements nocturnes se succèdent ainsi les uns aux autres, comme une étrange pièce de théâtre dont je ne suis qu'un simple élément du décor et non l'acteur principal. L'immensité de la forêt, son hostilité comme son indifférence, me forcent à une sorte d'humilité. Un ultime pèlerinage dans les bois, dans le cœur sauvage de la nature, pour ne jamais revenir. Allongé sur la terre meuble, entouré d'une herbe fraîche et encore humide, avec comme seule limite les astres et leurs constellations. Une légère bruine retombant sur un corps inerte comme un suaire, et pour dernier écho, un silence presque absolu rompu çà et là par les hululements des oiseaux de nuit et le roulement du tonnerre.
L'oubli.
Mais la forêt ne disparaît pas, ni la lune, ni la pluie et ni la brume. Ce n'est pas la fin. Les nuits continueront de se succéder, les étoiles de déverser leur clarté. La fin de l'album n'est que le point d'un jour trop attendu qui dissipe les plus profonds fantasmes jusqu'alors si réels. Revivre la nuit de Lunar Aurora, ce n'est que prendre le temps de se plonger dans Hoagascht, de se laisser patiemment porter par ses mélodies hypnotisantes. L'aurore lunaire ne saurait disparaître si facilement de mes pensées, pour peu que je garde en moi le souhait de retourner arpenter ses vieilles forêts, de sentir son vent frais et de me perdre dans un monde qui n'est définitivement pas le nôtre.
Tracklist :
1. Im Gartn (The Gardens)
2. Nachteule (Night Owl)
3. Sterna (Stars)
4. Beagliachda (Mountain Lights)
5. Håbergoaß
6. Wedaleichtn (Heat Lightning)
7. Geisterwoid (Haunted Forest)
8. Reng (Rain)