Chronique Retour

Album

21 avril 2018 - Raleigh

Kzohh

Rye. Fleas. Chrismon.

LabelNo Colours Records
styleBlack Metal Pestilentiel
formatAlbum
paysUkraine
sortienovembre 2015
La note de
Raleigh
9/10


Raleigh

Ainsi te voilà enfin arrivé, roi des rats. Tu as parcouru toute cette étendue pour te retrouver ici, maintenant. Écoute ! Au loin, ils sonnent le glas pour annoncer ta venue. Ils voudraient te condamner, ils voudraient te brûler vif afin de te purifier de tes maux, eux qui vivaient confortablement derrière leurs murs et leurs palissades pendant que toi tu souffrais tant. Quand bien même tu pourrais distinguer clairement ce qui se dresse devant toi, tu serais incapable de reconnaître les lieux. Tes frères ont payé un tribut bien lourd afin de garder la maladie hors de ces murs. Barricades, purge et paranoïa. Mais dans chacun de tes pas marchent la vermine et la fange, elles te suivent inlassablement. Allons, ne t'en fais pas, tu arrives enfin au bout du supplice qui est le tien. Avance encore, tu n'auras bientôt plus à me porter. Cela fait depuis maintenant combien de jours que la douleur te prive du sommeil ? Les grosseurs qui recouvrent ton corps ne sont que les bourgeons d'une vie viciée ne souhaitant qu'éclore et répandre la bile contaminée qui te sert de sang. Ils te méprisent, ils te craignent. Ils savent ce que tu gardes dans les profondeurs de ta chair, ils voient les marques sur ton corps. Tu penses qu'ils ne méritent pas le destin que je réserve à cet endroit ? Ils ont chassé et tué amis et proches, clôturé leurs maisons et incinéré leurs cadavres. En vain. On ne me stoppe pas si aisément, mais tu le sais, n'est ce pas ? Il est trop tard. Tu es y presque. Tu apportes avec toi le déclin des civilisations, le fléau des vivants. Entends-tu ? Les pleurs, les cris ? Il savent qu'il n'est que trop vain de tenter de se battre maintenant.
Assez. Tu as suffisamment marché. Tu as honoré notre contrat, roi des rats. Maintenant, il est temps pour moi de répandre ta putréfaction.


Peste bubonique, Peste pneumonique, Peste noire, Grande Peste, tant de noms et surnoms différents pour désigner cet événement traumatisant. Si la pestilence n'est pas un thème rare dans la musique, elle n'obtient que trop peu souvent la place centrale d'une œuvre. Limitée à l'esthétique visuelle d'un groupe ou alors aux simples paroles de titres, j'ai toujours ressenti une sorte de frustration devant ce potentiel exploré principalement en surface. Pendant un long moment, je fus habité par une seule question : Quel est le son, quelle est l'essence musicale de la peste ?
Et cette dernière ne m'aura jamais paru tant sublimée et palpable que chez Kzohh. ''Rye. Fleas. Chrismon.'' suinte un miasme maladif par tous ses pores, et chacune de ses facettes est un visage différent de la peste. Que ce soit la vermine et les rats, les symptômes et convulsions ou encore l'Église et ses répressions. Tout n'est que folie d'un monde qui s'écroule sur ses propres membres gangrenés. Je ne peux m'empêcher de me retrouver confronté à ces scènes macabres dès que je me plonge dans l'écoute de cet album, et d'y trouver une sorte de beauté perverse. Malgré moi, je ressens une admiration et une fascination morbide pour les ravages de la peste. Comment ne pas y voir quelque chose de supérieur, de quasiment divin dans son action ? Non pas comme un châtiment biblique, mais bien comme une entité indépendante, un véritable culte voué à nulle autre que la dénommée Yersinia, à nulle autre que la peste elle-même. Une main invisible qui dirige l'orchestre de la fange. Des milliers d'infectés qui sont autant d'apôtres proférant les dogmes de la maladie par leurs vomissements et leur décomposition. Les cadavres noircis s'empilent dans les rues, portes et fenêtres sont impitoyablement barricadées et l'odeur de la chair brûlée empoisonne davantage l'air déjà vicié de germes. Parmi les décombres des habitations pillées, les rats viennent se mêler au festin des abandonnés à moitié dévorés. Au-dessus de ce charnier, tel un vieux rapace dominant sa congrégation, l'église improvisée en fort contre la maladie surplombe le paysage. Et elle fait sonner le glas, encore et encore. C'est sur ces bases que l'opus se déroule dans mon esprit.

Alors le titre ''Massebegravelser'' se lance.
, toute la portée cinématique de Kzohh se dévoile à moi. À chaque écoute, elle me fait le même effet. Souffle coupé d'une victime épuisée venant se mêler aux chaînes, aux cris, au feu et à la panique. La musique sait se faire désirer, elle prend le temps de dresser son décor inquiétant, jusqu'aux premières notes.
Et ainsi tout explose. Le fatalisme de cette marche difficile se confirme et toute l'ampleur des ravages de la maladie s'impose clairement.
Je n'aime pas utiliser l'adjectif ''inhumain'' quand il s'agit de décrire la performance vocale d'un chanteur, le trouvant un peu trop utilisé à mon goût. Mais je ne peux trouver description plus appropriée en ce qui concerne la voix de Zhoth. Poisseuse et immonde, elle déverse un flot de paroles se rapprochant plus d'un verbe monstrueux que celui d'un simple mortel.
Durant les douze minutes que durent le titre, tout n'est que personnification de la Peste. Ce n'est plus un simple fléau ravageur, emblème d'un monde médiéval pourri, mais une entité, consciente, puissante, qui se répand comme un miasme sourd sur le monde et ce, de façon implacable. À mon sens, ce morceau regroupe toutes les directions que prennent les autres, faisant une véritable synthèse du tout dont il est issu.

Les paroles de chacun des titres ne font qu'appuyer cette sensation d'entité consciente. Car le chant n'est que la description froide et insensible des effets de la peste. À l'image d'un rapport officiel ou d'un journal traitant de la progression de la pestilence prenant vie, se transformant en ouvrage apocryphe possédé, et vomissant le contenu de ses propres pages de façon blasphématoire. Au-delà d'emporter les corps, ce dont la maladie ne saurait se satisfaire, elle prend possession de tout ce qu'elle a atteint. Semblable à une tâche d'encre indélébile, elle marque et teinte lieux, habitations et souvenirs. Plus rien ne sera de nouveau comme avant, cela ne se peut, plus maintenant.

De tous les retours que j'ai eu concernant ''Rye. Fleas. Chrismon.'', une même critique me revient toujours. La longueur des ses interludes, de ses phases d'ambiance, jugées non nécessaires. Il y a, en tout, trois morceaux instrumentaux sur l'album. ''Pest kamen mit Schiffen'', ''Un drapeau noir sur l'église'' et ''Ghosts of Melcombe Regis'', qui représentent plus d'un quart d'heure de durée. Pour ma part, en connaissant ce qu'ils amorcent, ces titres ne me font que d'autant plus languir. Je comprends parfaitement que l'on puisse être lassé par ces passages, principalement lors des écoutes successives, mais je ne les trouve clairement pas dénués d'intérêt, ni d'efficacité lorsqu'il s'agit de raconter ou de dresser une ambiance.
Kzohh exhale puissamment tout ce que représente la maladie et se fait un hôte fidèle pour en répandre ses effets et maux. En son sein, tous sont bienvenus et tous sont égaux pour porter le lourd fardeau de la peste. 

''Chantons la vermine, la lie et la fange.
Chantons le chancre, les puces et le seigle.
Chantons donc la Grande Peste.''


Tracklist :

1. Pest kamen mit Schiffen
2. Alousia et Pestilentia Ignearia
3. Massebegravelser
4. Un drapeau noir sur l'église
5. IV millas al días
6. Vind i de Tomma ögonhålor
7. Ghosts of Melcombe Regis