Articles Retour

Le Doom italien des années 1980 à maintenant

mardi 11 septembre 2018
Thirsty

Ah, les années 1980 ! Pourtant né de la génération Y, j'ai l'impression de les connaître par cœur. De Schwarzenegger dans Terminator à la victoire de Noah à Roland Garros en passant pas le clip de « Thriller » de Michael Jackson, cette décennie marquera à jamais le souvenir (ou l'imaginaire) collectif.

Le Metal n'est pas exempt de ce bouillonnement sociétal et culturel. Depuis qu'Ozzy a quitté Black Sabbath, l'heure est aux cheveux peroxydés et à la vitesse. Le Thrash voit un peu plus tard le jour, repoussant les limites de violence et de vélocité de leur aînés de la New Wave of British Heavy Metal. A Los Angeles les « thrasheurs » et les «glameux » s'affrontent dans les clubs sans savoir que quelques années plus tard tous se feront violemment ringardiser par le Grunge...

En marge de tout ce vrombissement, certains nostalgiques se passionnent encore pour les premiers Black Sab' ou Blue Cheer. Le Doom suit tant bien que mal son périple. Les plus solides représentants de ce mouvement sont anglais (Pagan Altar, Witchfinder General...) et américains (Saint Vitus, Trouble,Pentagram...) Lorsque l'on cite des pays ayant une importante scène Metal, on n'évoque que très rarement l'Italie. Pourtant, la péninsule a été le berceau dans les années 1980 d'un micro-mouvement Doom particulièrement passionnant.

 

I Les prémices

 

Comment s'intéresser à cette scène sans citer le nom de Death SS ? Le groupe de Pesaro – ou plutôt le collectif, car une trentaine de membres s'y sont succédés – a énormément influencé le Doom italien. Plus que la musique, l'imagerie du groupe et les thèmes abordés vont être à l'origine de cette scène si particulière.

Comme les gus de Black Sabbath (particulièrement Geezer Butler), Death SS s'inspire de l'occultisme et de l'horreur. Steve Silvestri, membre fondateur du groupe et unique rescapé, était d'ailleurs membre de l'Ordre des Templiers Orientaux. Ce groupuscule « religieux » respecte la loi de Thelema qui tient son nom de l'abbaye de Thélème. Ce lieu imaginaire inventé par Rabelais dans Gargantua est occupée par des habitants dont la maxime est « Fais ce que tu voudras ». Alester Crowley reprendra cette maxime pour son « Livre de la Loi » de 1904.

Lorsqu'ils forment Death SS en 1977, les musiciens du groupe ont alors une moyenne d'âge d'à peu près 16 ans. Ces gamins se gavent de films d'horreurs italiens des années 60/70. Silvestri cite notamment les films de Mario Bava, Lucio Fulci, Dario Argento et Renato Polselli comme des influences majeures.

 

                                                                           

(Les Trois Visages de la Peur, Bava, 1963)                          (Le Vampire et la Ballerine, Polselli, 1960)

 

Pour se donner un petit côté evil, chacun des membres a adopté un surnom et s'est maquillé. Et oui, la scène Black Metal norvégienne n'a rien inventé ! Rapidement, leur look leur permet de se faire connaître aux États-Unis où ils sont comparés à Kiss.

A l'image de leurs grands frères de Birmingham, Death SS veut mettre en musique cette culture des B-movies en l'associant à l'occultisme. Musicalement, le groupe est à la croisée des styles. Les premières démos m'évoquent surtout T-Rex (le côté pop en moins), les premiers Budgie et surtout les premiers albums d'Alice Cooper. Les codes du Shock Rock sont d'ailleurs beaucoup réutilisés par les Italiens (le maquillage, les mises en scène théâtrales, la provocation...). Silvestri avoue sans se cacher s'être fortement inspiré du groupe de Vincent Furnier. Le chant de ces derniers est d'ailleurs assez similaire. Alice Cooper jouait sur scène au milieu de fausses chaises électriques et de guillotines. Les Italiens quant à eux, ne quittent pas leur cimetière en carton lors de leurs shows.

 

Death SS - Vampire

 

On y décèle également quelques riffs Doom sur les bords. De mon point de vue, je pense que cela est plutôt lié à une faiblesse technique plutôt qu'à une réelle volonté de ralentir le tempo. Je ne sais pas si le rendu est voulu mais sur les premières productions du groupe, la basse est très mise en avant. Cela donne un son très lourd et ronronnant, fort plaisant à mes oreilles.


Death SS - Horrible Eyes

 

Death SS n'a jamais revendiqué faire du Doom. Ils aiment se qualifier comme un groupe d'Horror Metal. En réalité, leur carrière est un joyeux gloubi-boulga musical. De ce son inspiré par Alice Cooper, les Italiens se sont mis à faire un Heavy/Speed plus conventionnel dans les années 1980/1990, avec des visuels bien crades à la WASP. Aujourd'hui ils évoluent dans un style à la frontière du Shock Rock, du Sleaze Metal et de l'Indus. Death SS semble maintenant se plaire à mélanger le pire du mauvais goût afin de nous faire vomir.

 

Death SS - Give 'em Hell

 

Toutes proportions gardées, Silvestri est un peu le King Diamond italien. Il fait partie de ces figures cultes pour certains metalheads. Pour résumer, le rôle qu'à eu Death SS sur le Doom italien dans les années 1980 est prépondérant. Cet héritage concerne plutôt l'imagerie, les textes, les thèmes abordés... que la musique. On peut entendre ça et là quelques riffs plombés à la Black Sab', mais cela reste limité. En revanche, l'utilisation du synthé est une constante dans le Doom italien. Le groupe de Silvestri aimait bien en mettre de partout pour donner un côté terrifiant. Ce son cheap de clavier est clairement un des charmes du son italien. On le retrouve sur les productions récentes comme sur le dernier Abysmal Grief, un des dignes héritiers de cette scène.

 

Death SS - Walpurgisnacht



Abysmal Grief - Maleficence


 

Lorsque l'on demande à Regen Graves d'Abysmal Grief pourquoi selon lui la scène Doom occulte a été si prolifique en Italie dans les années 1980, il répond : « Italy was never just the country of sun and beaches, my friend : the more you see appearing images of light, the more something evil and sinister is crawling behind them ». Il ajoute « it’s because of our religious traditions that could create so much hatred and aversion during the centuries ». Plus la lumière est forte, plus quelque chose de sinistre et maléfique se cache derrière. Voilà qui est intéressant et je pense donc que la prolifique contre-culture italienne (notamment cinématographique) mélangée à un rejet de la religion, particulièrement présente en Italie, a pu expliquer l'émergence de cette scène.

 

 

II Le chef de fil : Paolo Catena

 

Dans la première mouture de Death SS, on retrouve un nom qui vous est peut être familier si vous êtes un féru de Doom : Paul Chain. Celui-ci dissout le groupe où il officiait à la guitare et monte son projet Paul Chain and The Violet Theatre (PCVT) en 1984. En réalité ce groupe n'est pas nouveau puisque le guitariste avait déjà en parallèle le bien-nommé Paul Chain Group dès 1979. Il n'avait cependant rien sorti avec. Les premiers membres du PCVT - ça sonne comme un nom de parti politique ou de syndicat, j'aime bien - sont les mêmes que ceux du Paul Chain Group. Au total une cinquantaine de zicos se succéderont dans ce projet.
 

                

 

 

Juste après le split de Death SS, sort l'excellent et mythique premier EP, Detaching Fom Satan. La musique du PCVT est un savoureux mélange entre musique psyché, Doom, expérimentations chelou au clavier et chants religieux. Ce disque marque le réel point de départ de cette scène italienne. J'ai l'impression que le pays a au moins dix ans de retard. En effet, cet EP me rappelle les groupes de hard rock obscurs américains et anglais du début des années 1970. (Bedemon, Wicked Lady, Icecross...) Néanmoins, le tout sonne beaucoup plus lourd et Metal. Paul Chain confirme qu'il est un excellent guitariste à l'image du solo d' « Occultism ». Sur un live de 1989 on le voit reprendre « Foxy Lady » de Jimi Hendrix avec une impressionnante dextérité.

 

Paul Chain Violet Theatre - Occultism

 

 

En revanche, difficile d'admettre que le gratteux est aussi un bon chanteur. Cependant, je trouve que le combo riffs Doom et chant nasillard est presque toujours une recette qui marche. Je pense à Satan's Satyrs ou Uncle Acid pour les plus récents. Il est à noter que, comme Magma, Paul Chain utilise un langage phonétique. Sans doute car il trouve que l'italien ou l'anglais ne sont pas des langues assez expressives et les sons qu'il crée avec ses cordes vocales sont comme un instrument. Cette voix étouffée, mi-hallucinée mi-désespérée est pour moi un pur délice. Cependant je comprends qu'elle puisse interloquer ou carrément irriter.

 

Les titres des morceaux de PCVT sont moins tournés vers l'horreur que Death SS et plus vers l'occultisme et la religion. Le tout est moins burlesque et donc plus sérieux avec ce projet. Sur son logo, sur ses pochettes, autour de son cou, on retrouve une croix de Jésus. C'est un symbole qui sera beaucoup utilisé chez les groupes de Doom italiens. Le P du logo de PCVT reprend le chrisme, un symbole religieux datant du christianisme primitif.

 

 

L'imagerie religieuse et plus particulièrement chrétienne me fascine chez ces groupes italiens des années 1980. Bien sûr, la croix est largement utilisée par les groupes de Metal et en particulier de Doom (Saint Vitus, Reverend Bizarre, Candlemass...) mais il semble que celle-ci est inscrite dans le cahier des charges de tout groupe de Doom trad italien. La Botte, comme beaucoup de pays du Sud de l'Europe, a une histoire forte avec la religion. Comme le dit le groupe Messa, le christianisme fait partie de l'identité des groupes italiens. La chanteuse Sara se souvient de ses dimanches passés à prier avec ses parents. Ils ne cherchent ni à affronter, ni à dénoncer, ni même à tourner en dérision la religion, comme peuvent le faire la plupart des groupes de Metal. Celle-ci est juste dans leur ADN. De plus, quoi de meilleur que l’Église pour illustrer une musique aussi mystique, cérémoniale et mystérieuse ?

Après le très expérimental et futuriste Opera IVth, le PCVT se renomme du nom de son frontman. De toute manière, celui-ci a toujours été l'unique compositeur du groupe. Il ne s'est jamais attaché à suivre les tendances et n'hésite pas à visiter d'autres genres musicaux. Plus tard il avouera avoir été victime d'une rude dépression et que la musique était un moyen pour lui de se libérer de la maladie. Ainsi, aucune visée commerciale n'était recherchée. Certains morceaux contemplatifs rendent compte de la tristesse du bonhomme.

 

Paul Chain Violet Theatre - Way to Pain

 

 

Le premier album sorti sous le nom de Paul Chain, Violet Art of Improvisation voit le jour en 1987. Il est pour moi un pur chef d’œuvre. Le premier morceau du LP est une pièce de 30 minutes d'expérimentations. Bercé par un rythme de batterie répétitif, ponctué de clavier, de solis de guitares et de lignes de chant, il est une véritable ode à la folie. Ce rythme de batterie est emprunté aux groupes de krautrock teutons des années 1970. Il s'agit du motorik qui signifie « activité du moteur » en allemand. Neu! et Can étaient les champions pour créer ces ambiances transcendantales à la batterie.

 

Paul Chain - Tetri Teschi In Luce Viola

 

Malheureusement, la faiblesse de production des vieux albums de Paul Chain ne rend pas hommage aux compositions, même si elle a son charme. La même année le musicien sort un album résolument plus Doom Metal : Life and Death.

Inutile de vous détailler chacun des albums de Paul Chain. Il s'agit d'un voyage entre Metal lent et lourd, musique électronique, expérimentale et religieuse. Le tout est toujours saupoudré d'une bonne dose de folie et de mélancolie.

En 1995 sort le très bon Alkahest. Cet album est peut-être le plus accessible de la carrière de l'Italien. Les riffs se font plus psyché, même s'il y a de bons morceaux bien heavy et lancinants. La production est nettement plus claire. Sur ce disque, on retrouve une autre légende vivante du Doom en la personne de Lee Dorrian pour deux titres : l'un excellent avec son riff des abysses, l'autre moins mémorable.

 

Paul Chain - Sepulchral Life

 

Paul Chain a toujours constitué la partie sombre et démoniaque de Death SS alors que Sylvestri représentait le côté burlesque. Décidé à se détacher de cette direction trop clownesque, il deviendra à travers ses nombreux projets un vrai mythe. Le magazine Rock Hard le qualifie de légende vivante de l'underground. Pourtant pas étouffé par le succès et les groupies, le guitariste se retirera de la scène Metal en 2012. Certaines rumeurs circulaient, l’annonçant décédé. En effet, ce n'est pas tout à fait faux car celui-ci continue la musique sous son vrai nom Paolo Catena. Paul Chain n'existe donc plus. Le terme « bruit blanc » est peut-être plus adapté que le mot « musique » pour qualifier les projets actuels de l'Italien. En tout cas, le monsieur a nourri et nourrit encore bien des mystères. Le fait que l'on sache très peu de choses sur lui, qu'il vive caché, qu'il ait sorti des albums aussi uniques me fascine énormément. Lee Dorrian se remémore de sa rencontre avec Paul Chain comme tel : « It's a loooong story. I could write a book about the experiences I had with Paulo Catena back then. Some of the strangest, interesting and also most amusing times of my life. »

 

 

 

 

III Les seconds couteaux

 

Après avoir évoqué le chef de file de ce mouvement, en tout cas la figure mythique, intéressons-nous aux outsiders. Pour moi, Internet est une vraie bénédiction pour la musique Metal, en particulier pour les vieilles formations. Il permet de déterrer des joyaux tombés dans l'oubli et de leur donner un second souffle. Certains groupes/albums (re)deviennent absolument cultes et ont même une popularité parfois supérieure à jadis. C'est le cas de Black Hole et de son merveilleux premier full-length Land Of Mystery.

Malgré un statut d'album classique, je pense que rares sont les doomsters qui le citent. Ils préfèrent écouter le 4500ème clone d'Electric Wizard ou de Weedeater... Je m'égare.

A première vue, le groupe pue l'amateurisme. J'hésite encore entre l'adjectif « génial » et « horrible » pour décrire la pochette de Land Of Mystery.

 

 

 

Elle regroupe tous les ingrédients visuels d'une bonne pochette de Doom trad italien et en est peut-être l'archétype :

 

  • le côté cheap : Faire de la musique Metal en Italie dans les années 1980 est aussi difficile que de faire un bon groupe de Stoner en 2018. Du coup, on fait avec les moyens du bord et on fait soi-même sa pochette.

  • La croix (à l'endroit) : Paul Chain en a mis peut-être sur 90% de ses pochettes mais Black Hole en a onze sur la même ! Sauras-tu les trouver toutes ?

  • Le violet : En Italie et ailleurs, les groupes de Doom usent et abusent du violet. On pense notamment à l'ultime album de Saint Vitus  Born Too Late. Paul Chain est aussi un bon exemple. Le violet est la couleur du rêve, de la méditation, de la solitude voire du mysticisme. Les évêques portaient autrefois des costumes de cette couleur. Elle évoque volontiers la spiritualité et le mystère et colle parfaitement à ce type de groupes. Bien sûr, le violet rappelle les hallucinations dues aux drogues. Celles-ci font, il faut le dire, partie intégrante de la musique Doom depuis Black Sabbath.

 

Musicalement, les compositions de Black Hole sont très inspirées. L'intro religieuse au clavier de Land Of Mystery nous plonge directement dans le décor. Nous voyageons vers des contrées ensoleillées à la fois fascinantes, étranges et liturgiques. Le chant en italien rajoute du mystère et du cachet au tout. Assez enjoué, il crée un contraste vraiment étonnant avec la musique, elle plutôt pesante. Black Hole n'est pas entièrement un groupe de Doom. Certains morceaux sont assez véloces et le tout tire parfois vers le Heavy Metal et le Prog. Les membres écoutaient beaucoup Genesis, Jethro Tull et King Crimson.

 

Black Hole - Bells of Death

 

Personnellement, j'aime quand le son de guitare est mis en avant dans le mix d'un album. On regrette quand même le manque d'impact de la batterie qui est vraiment reléguée au second plan.

Land Of Mystery est une pure merveille dans le genre. Malheureusement Black Hole ne transformera jamais l'essai.

L'homme derrière cette formation se nomme Roberto Morbioli. Il est le compositeur du groupe, le bassiste, le claviériste et le chanteur. Celui-ci baigne à fond et sérieusement dans l'ésotérisme. Plus que les lyrics, tout était parfaitement étudié, même le nombre de croix présentes sur scène. Les concerts de Black Hole restaient cependant très rares. Morbioli vivait isolé au milieu des œuvres d'Aleister Crowley et voulait donner une direction très novatrice et expérimentale à son groupe. Le temple grec présent sur la pochette est une idée de Morbioli. Pour lui, il représente la noblesse et la volonté de s'ériger vers l'infini.

 

 

 

Je trouve cela passionnant quand des musiciens suivent scrupuleusement un thème, un concept, ou une inspiration. En plus d'apporter de la profondeur à un album, cela donne une œuvre vraiment complète. Attention toutefois à ce que les éléments extra-musicaux n'occultent (lol) pas les compos de l'artiste.

En 2010, ce Land Of Mystery a été réédité par l'excellent label de Doom et de Rock Prog Black Widow. Label qui a signé entre autre Pentagram dans les années 1990. On retrouve aussi dans le catalogue l'album éponyme de Spettri. Sorti en 1972, cet opus de Rock Prog a un son très lourd à la Black Sabbath et possède également beaucoup de clavier. Il aurait été intéressant de savoir si celui-ci avait inspiré la scène Doom italienne. Je n'ai rien trouvé sur la question.

 

 

 

 

Spettri - Medium

 

Le propriétaire de Black Widow est un passionné de musique progressive et underground. Il possède une petite collection de 15 000 vinyles selon ses dires !

Malgré le succès d'estime du premier LP de Black Hole et en raison de différends entre les membres, le groupe splitte en 1986. Nicola Murari et Mauro Tollini, respectivement guitariste et batteur s'en vont former l'éphémère Sacrilege.

Seule une démo naîtra de cette nouvelle formation. Tout le délire expérimental et progressif est écarté ou presque au sein de Sacrilege. On aurait donc pu s'attendre à une démo de très bonne qualité. Cela est partiellement vrai. En effet, le gros point faible de ce groupe est son chanteur. Le pauvre Luca Gorna a une voix insupportable, en plus d'être fausse.

 

Sacrilege - Endless Rain

 

Les deux comparses ne se découragent pas puisqu'en 1987, Epitaph renaît des cendres de Sacrilege et de Black Hole tel le phœnix ! Derrière le micro officie le très bon Emiliano Cioffi dont la voix ramène un côté épique, peu présent chez les autres groupes du même style.Trois démos très recommandables verront le jour.

 

 

Après deux décennies d'inactivité, les Italiens remettent le couvert, sortent un album et partent en tournée. Ils feront même escale à Tillburg à l'occasion du Roadburn 2016. Tout le monde le sait mais je tiens à insister là-dessus. Ce festival s'est clairement imposé comme l'événement incontournable où se réunissent les mordus de musiques extrêmes et pointues. C'est vraiment plaisant de voir que le Roadburn invite des petits groupes comme Epitaph, qui même s'ils ne ramènent pas des foules entières, font le bonheur de certains aficionados. Chaque année, le festival met en avant un invité d'honneur qui décide d'une partie du line-up. En 2016, Lee Dorrian (Cathedral, With The Dead, fondateur de Rise Above Records...) a eu ce privilège. Il est possible que ce soit grâce à lui que les doomsters italiens aient pu jouer aux Pays-Bas. Pour rappel, celui-ci était présent sur un album de Paul Chain donc connaît sans doute cette scène.

 

 

Cette année là, les petits frères d'Epitaph étaient aussi de la partie, Abysmal Grief. Le concert de ces derniers a d'ailleurs été salué par les festivaliers comme étant l'un des meilleurs de l'édition 2016. Ils se sont même accordés une reprise de Death SS.

 

 

 

La scène Doom italienne n'est donc pas morte et Abysmal Grief tient fièrement le flambeau. Je n'ai évidemment pas été exhaustif. D'autres groupes passionnants des années 1980 ont contribué à forger ce son et cet univers (l'excellent Zess, mais aussi Run After To, Requiem, Arpia...)

 

 

IV L’héritage

 

Difficile de parler de revival tant le nombre de groupes rendant hommage à la scène Doom italienne est limité. Néanmoins, ces formations prennent les choses très à cœur et s'inscrivent dans la continuité des groupes des années 1980. Comme Paul Chain ou Roberto Morbioli, le frontman d'Abysmal Grief a la tête dans l'occultisme. Avant même d'être dans la musique, celui-ci avait déjà un goût prononcé pour le macabre. Le fait de mettre tout cela en musique s'est fait à posteriori. D'ailleurs celui-ci ne se revendique pas comme un musicien. En effet, Regen Graves n'a jamais pris un seul cours de guitare et se contente seulement, comme il le dit, de jouer en enchaînant des power-chord. Après avoir composé un riff avec son instrument à corde, il appose par dessus des mélodies au synthé.

Pour lui, la musique répond à ce besoin d'explorer l'occultisme et non l'inverse. Le guitariste avoue que composer dans Abysmal Grief lui permet de canaliser ses pensées et son énergie. Sans cela, il serait tombé dans la criminalité selon ses dires. Finalement, il a des propos similaires à certains MC de gangsta rap !

Même si le tout peut sembler assez minimaliste, le résultat est fabuleux. Écouter un disque des Italiens est comme tomber sur un vieux grimoire poussiéreux. On a l'impression d'avoir à faire à une précieuse relique ensevelie de mystères. Il y a même du clavecin sur certains morceaux pour créer d'étranges litanies.

 

Abysmal Grief - The Necromass: Always They Answer

 

Tous les albums de cette formation sont hautement recommandables, alors foncez ! Les albums sont dotés de peu de morceaux (6 en général), ce qui permet au groupe de développer à fond les ambiances. Le dernier en date est sorti cette année et se place dans les meilleures sorties Doom en 2018 pour moi. L'omniprésence de l'orgue, particulièrement sur ce disque, m'agaçait un peu au début mais l'oreille finit par s'habituer. Il crée chez moi la même sensation que lorsque je rentre dans une église. L'odeur, l’atmosphère, les décorations me mettent mal à l'aise autant qu'elles me captivent.

Regen joue aussi dans le groupe de Tony Tears (ex-membre de Zess). Initialement il s'agissait d'un projet solo mais il s'est mué en trio en 2014. Si vous êtes gavés des synthés d'Abysmal Grief, Tony Tears devrait plus vous contenter. Le chant épique et contemplatif de David Krieg est le vrai plus du groupe.

 

Tony Tears - Queen of Darkness


 

Si le tout n'est pas encore assez grandiloquent pour vous, ce dernier a formé avec Tony Tears  le groupe Soul of Enoch. Ce morceau vous fera lever le poing ou tendre la main vers le ciel comme Hénoch.

 

Soul Of Enoch - I Ask The Flies To Forgive Me

 

 



Dieu prend Hénoch, Gerard Hoet, 1728


La compilation Doom over the Crypt sortie en 2013 rassemble tout le « gratin » des jeunes groupes influencés par la scène Doom italienne des années 1980. Ce disque est une collaboration entre les chaînes Youtube Italian Doom Metal et Doom From Italy dédiées à ce style.

Dessus on retrouve évidemment un morceau d'Abysmal Grief et de Tony Tears mais aussi le plus rock 70's Hands of Orlac, présent au Muskelrock 2017 :

 

 

Toutes les formations présentes sur cette compilation sont de qualité. Je conseillerais d'écouter avant tout Bretus qui possède un petit grain anglais mâtiné de stoner. Je pense notamment à Cathedral et Electric Wizard. Plus traditionnel, le groupe Black Oath est aussi très agréable à écouter.

 

Black Oath - Horcell the Temple


La scène Doom italienne des années 1980 a inspiré directement ou indirectement un nombre significatif d'artistes. La plupart d'entre-eux sont originaires de la péninsule mais le genre s'est un peu exporté, via Lee Dorrian surtout. Les Québécois de Cauchemar en reprennent par exemple les codes. Les thèmes de l'horreur et de l'occultisme sont abordés et l'imagerie est clairement influencée par Paul Chain et ses collègues.


Cauchemar - Magie Rouge


Difficile d'évaluer l'impact qu'à eu ce micro-mouvement italien né de délires adolescents. Cependant, il est indéniable qu'il ait contribué à façonner une partie de la scène Metal underground. L'esthétique des groupes, les sujets, la musique ont apporté la pierre à l'édifice et ont même été précurseurs. En effet, Chain et Morbioli étaient profondément investis dans l'ésotérisme. A l'inverse de beaucoup de groupes ayant apporté à l'imagerie Metal comme Venom ou Judas Priest, les Italiens croyaient dur comme fer à ces thèmes.

Pour cette raison, il était important pour moi de revenir sur ce passionnant volet du Doom. Si vous aimez comme moi vous plonger dans les méandres de la musique, j'espère que ce dossier vous aura plu. Sans auditeur qui écoute, qui s'intéresse et qui achète il n'y a pas de scène. Il est donc essentiel de faire vivre la musique qui nous fait vibrer.


***