Angra + Operation : Mindcrime @ Ittre
Zik-Zak - Ittre
L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Il y a une semaine se tenait dans une petite salle belge une date pour le moins surprenante : les légendes du power metal brésilien Angra étaient accompagnés d'une autre légende : Geoff Tate et son nouveau "projet" Operation : Mindcrime, qui interprétait pour l'occasion le fameux album de Queensrÿche en intégralité. En bons nostalmaniaques, difficile de passer à côté...
Quelle étrange sensation que de se rendre à Ittre pour cette date de Angra et Operation: Mindcrime. Une date qui aurait il y a vingt-cinq ans, à l'apogée du Angra d'André Matos et du Queensrÿche de Geoff Tate, rempli des salles autrement plus grandes que ce Zik-Zak d'Ittre, dans le Brabant Wallon (capacité très approximative aux alentours des 250-300 personnes).
On a l'impression que les deux entités partagent un destin à la fois comparable et opposé : d'un côté un bateau sans capitaine, de l'autre un capitaine sans bateau. Un Angra dont la carrière a lentement mais sûrement chuté depuis le départ du prodige André Matos, jusqu'au départ récent – et si vous voulez mon avis plutôt opportuniste – de Kiko Loureiro pour Megadeth et, de l'autre côté, un Geoff Tate dont les déboires judiciaires avec Queensrÿche ont été l'une des sagas tragicomiques les plus regrettables des années récentes, mais qui a obtenu des juges le droit exclusif de jouer l'album culte Operation:Mindcrime dans son intégralité. Reste que le plateau est plutôt alléchant, même si nous y avons au final droit suite à un événement bien triste, à savoir l'accident de la route qui a coûté la vie au bassiste d'Adrenaline Mob, initialement prévu en ouverture d'Angra.
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HALCYON WAY
Florent : Alors que nous pensons arriver un peu à la bourre à Ittre, le temps de manger un bout parce que la salle, soulignons-le d'emblée, est trop isolée pour permettre de se sustenter sur place, un retard... d'une heure dans le running order nous fait arriver pour les balances du second groupe d'ouverture, Halcyon Way (nous manquons donc Avelion). De quoi nous inquiéter d'emblée : c'est bancal au possible niveau sonorisation, jusqu'au coup des plombs qui sautent pendant le soundcheck.
Heureusement, le concert finira bien par commencer, avec une grosse heure de retard. Enfin, heureusement, c'est vite dit. Le power « moderne » mâtiné de chant extrême de Halcyon Way n'a pour ainsi dire aucun intérêt à mes yeux. Pas de riff accrocheur, un chant franchement moyen, des samples tellement envahissants qu'on se demande si les musiciens (au look terriblement m'as-tu-vu) jouent vraiment... Forfait rapidement déclaré.
OPERATION : MINDCRIME
Florent : Difficile d'exprimer ce que je ressens à l'approche de ce concert de Geoff Tate (car c'est bien pour lui qu'on est tous là, à en juger par l'affluence et les t-shirts dans le public). Queensrÿche est probablement un de mes groupes références et plus que tout, Operation : Mindcrime est à mes yeux un des plus grands albums de tous les temps, pas seulement en metal mais bien dans l'histoire du rock. Et même si, comme beaucoup, les albums « tardifs » du Rÿche, plombés par l'égo et les expérimentations d'un Tate à la voix disparue, m'ont laissé froid, je ne peux pas dire que le Queensrÿche 2.0, celui qui a obtenu le droit exclusif d'utiliser le nom du groupe et tourne actuellement avec Todd La Torre au chant, m'ait convaincu sur le long terme – c'est-à-dire une fois passé le plaisir de pouvoir entendre un Queen of the Reich et un Take Hold of the Flame chantés « comme à l'époque » par La Torre, copycat de qualité.
Car voilà : LA voix de Queensrÿche, ça reste Geoff Tate. Seul son timbre incarne le personnage tragique du concept d'Operation: Mindcrime – et avec un peu de recul et malgré tout le respect qu'on porte aux guitaristes DeGarmo (qui a de toute façon quitté le groupe) et Wilton, seule son aura a permis à Queensrÿche d'être un des plus grands groupes de sa génération.
Ca tombe bien, en 2018, Operation:Mindcrime a trente ans et Tate a obtenu le droit de le jouer en intégralité et de tourner sous ce nom. Mieux : le vocaliste, aujourd'hui âgé de 59 ans, semble avoir retrouvé une partie de ses capacités vocales ou avoir au moins décidé de travailler un peu plus sérieusement, ce qui se remarquait déjà sur sa participation à la dernière tournée d'Avantasia, durant laquelle il sonnait étonnamment bien. Restait une question : en « première partie » d'Angra (même si les deux groupes ont au final un temps de jeu comparable), va-t-il jouer l'album en intégralité ou se contenter d'une setlist classique, c'est-à-dire avec des titres de son nouveau projet, aux albums pour le moins... déroutants ?
Heureusement, l'intro nous rassure rapidement. « I remember now. I remember how it started. I can't remember yesterday... I just remember doing what they told me ». Nous voilà plongés dans l'histoire de Nikki, ce junkie devenu tueur en série pour le compte du Dr. X - « the man with the cure ». Dès Revolution Calling, le public est à fond et mange dans la main d'un Tate souriant et très à l'aise, qui joue sur son expérience pour adapter les notes les plus ardues d'un album qu'il connaît par coeur. Exit, par exemple, la montée périlleuse du prérefrain d'Operation Mindcrime, reprise plusieurs octaves plus bas. Cette manière qu'a Geoff Tate, totalement intouchable pendant ses vertes années, de ne pas chercher à trop en faire lui permet de se reposer sur ce timbre, si particulier... et permet à la magie d'opérer. Spreading the Disease, grand moment de l'album avec son texte rageur introduisant à la fois les tourments du protagoniste et le personnage crucial de Sister Mary, colle les frissons. Tate jongle admirablement entre les couplets, le refrain haut et ce pont en spoken word si prenant. Je me retrouve même ému quand vient The Mission, ce titre sombre et désespéré - « The walls will tell the story of my pain » - qui prend aux tripes, si difficile à chanter mais que le maestro gère du début à la fin. Soulignons également que le groupe est loin d'être là pour cachetonner : les gars, en plus d'être des musiciens de talent, prennent un plaisir fou, ont la banane, n'hésitent pas à occuper l'espace – et sont mis en avant avec classe par Geoff Tate.
Bien sûr, tout ne pouvait pas être parfait : un souci de micro gâche la prestation déjà pas folichonne d'Emily Tate (la fille du boss, donc) sur la pièce maîtresse d'Operation Mindcrime, un Suite Sister Mary que Geoff reproduit pourtant avec une intensité hallucinante. The Needle Lies, repris en choeur par tous, voit arriver les premiers signes de fatigue vocale, sans grande surprise.
Mais ces détails sont vites oubliés pour l'imparable galop final : la très FM doublette Breaking the Silence / I Don't Believe in Love ( déjà annonciateurs du style Empire) et, bien sûr, LE tube Eyes of a Stranger, là encore intelligemment adapté aux capacités actuelles de Tate. La conclusion parfaite d'un album parfait, dont le concept n'a pas pris une ride (il m'évoque par instants celui développé plus tard dans la licence de jeux vidéos Hitman).
A tous les amoureux d'Operation:Mindcrime, et je sais qu'ils sont nombreux, ne manquez pas l'occasion de voir ce concert, sans vous préoccuper de ce qui peut se dire sur Tate, sa voix et son personnage. Crise de nostalgie et émotion assurées. Bien plus que face à « l'autre » Queensrÿche...
Setlist:
I Remember Now
Anarchy-X
Revolution Calling
Operation: Mindcrime
Speak
Spreading the Disease
The Mission
Suite Sister Mary
The Needle Lies
Breaking the Silence
I Don't Believe in Love
Waiting for 22
My Empty Room
Eyes of a Stranger
ANGRA
Florent : Du coup, en ce qui me concerne et même si l'ère Matos d'Angra fait partie de mes références en power metal, le concert des Brésiliens fait figure de cerise sur le gâteau. Le remplacement de Falaschi par Fabio Lione m'a toujours paru un peu étrange, le timbre de Lione étant plutôt en décalage avec celui de ses prédécesseurs et, surtout, fort lié à un autre géant du power symphonique, Rhapsody. Mais la résilience d'Angra, qui a perdu Kiko Loureiro parti pour Megadeth mais sort tout de même un album et tourne dans des salles dix fois plus petites que le potentiel du groupe le laissait espérer, force le respect.
Malheureusement, et on peut le comprendre, une bonne partie du public déserte le Zik-Zak, et pour cause : à l'heure où Angra commence, la soirée devrait déjà être terminée. Et comme Halcyon Way, le groupe brésilien connaîtra des problèmes sonores qui tueront l'intro dans l'oeuf et forceront Rafael Bittencourt à improviser une harangue du public, l'air un peu gêné. Spinal Täp jusqu'au bout. Ca démarre (enfin) sur Travelers of Time, efficace extrait d'Omnia, le nouvel album du groupe, sympathique à défaut d'être mémorable mais qui ne sera défendu que par deux titres, le très (trop) moderne Insania étant également interprété. Pas de War Horns, étonnamment, mais cette première date de la tournée européenne sert peut-être de répétition générale – c'est en tout cas par moments l'impression qu'on en a quand on constate les blancs systématiques entre les morceaux et les prises de parole un peu improvisées de Fabio Lione, très pro cela dit.
Pour le reste, le concert alterne entre moments franchement sympathiques et franchement dispensables. Parmi les grands moments, notons un Newborn Me qui rappelle qu'Angra est encore capable de sortir de vrais bons morceaux de power metal dans son ère récente, mais aussi le grand classique Time que Lione défend magnifiquement bien, tentant quelques périlleuses notes à la Matos. La ballade Lisbon, reprise en choeur par quelques fans... sud-américains (du Brésil et de Colombie), est une belle surprise, et l'incroyable Acid Rain rend hommage à la période Falaschi. Tout est loin d'être parfait, comme cette fin de concert en demi-teinte durant laquelle l'ennui s'installe un peu, la faute à trop de mid-tempi, ou cet enchaînement Final Light/Insania qui fait franchement se dire que le power metal « moderne », ça manque de charme. Un concert à l'image du Angra mouture 2018 : un peu en roue libre, capable de belles choses et de gros ratés. Dommage...
Nostalmaniac : Dire qu'Angra est devenu une institution du Power Metal fait figure d'évidence, mais peut-être aussi de raccourci tant la discographie du groupe est riche et le spectre musical plus large avec ce côté prog'. L'influence du groupe brésilien est bien réelle et va au-delà de ses frontières. Une autre évidence... Et on peut imaginer l'impact des premiers Angra sur de nombreuses formations Symphonic et Power sur le vieux continent dont un certain Rhapsody. L'histoire est donc belle pour Fabio Lione, vocaliste historique du combo italien dont il a participé à une tournée réunion récemment, qui devient membre à part entière d'Angra et a su, je pense, séduire des fans habitués au changement, il faut bien dire. Car de la formation historique, il ne reste plus que le bassiste, Rafael Bittencourt. Si Kiko Loureiro fait toujours partie de la famille, il est désormais remplacé par Marcelo Barbosa. Le guitariste aux dreads a fait ses armes dans Almah, groupe emmené par... Edu Falaschi, bien connu des fans d'Angra.
Je n'ai pas connu les plus belles heures de gloire du groupe brésilien mais de ce que je peux lire dans de vieux magazines, la popularité était bien réelle et notamment en France avec la sortie de l'incontournable « Holy Land ». Plus de vingt ans après, Angra est toujours là avec une fanbase solide et fidèle. Une sorte de papa de la scène Power Metal et la moyenne d'âge du public ne peut que me conforter dans cette idée. Mais attention, Angra ne se contente pas de surfer sur son passé en témoigne deux albums ces cinq dernières années avec le sieur Lione.
Comme le rappellera Bittencourt (obligé de meubler pendant que les couacs s'accumulent dans cette soirée un peu chaotique), voir Angra en Belgique n'est pas si fréquent (surtout dans cette partie de la Belgique - Ittre est situé dans le Brabant Wallon) et j'avais dès l'annonce de la date des frissons à l'idée d'enfin les voir sans être un fan de la première heure. J'ai vraiment découvert tardivement la discographie des Brésiliens. Il faut dire que j'ai longtemps eu des a priori sur le Power, trop cheesy, sloppy... Trop joyeux ! Mais voilà derrière cet aspect-là, il y a des riffs et une véritable identité musicale qui a baigné dans le folklore brésilien et la musique classique.
Comme on pouvait s'y attendre, c'est avec un extrait du dernier album que démarre le concert : "Travelers of Time". Un morceau qui me laisse assez froid et qui confirme la direction prise, plus progressif et moderne, moins power. Pas vraiment ce qui me fait aimer Angra. Néanmoins, la setlist va agréablement me surprendre notamment avec "Nothing to Say" que Lione interpréte avec les honneurs, sans égaler Matos (est-ce possible ?), mais on sent qu'il ne tente pas de faire aussi bien, juste de coller le mieux possible et c'est déjà un challenge en soi. Des qualités que je voyais déjà dans l'album live pour les 20 ans d'Angels Cry en 2013 et qui demeurent. Parmi les surprises, "Time", aussi exigeant vocalement mais brillament exécuté. Ce qui par contre va m'irriter, ce sont les soli de Barbosa... qui a aussi un solide prédécesseur mais j'ai l'impression que pour les "vieux" morceaux, il se foire une fois sur deux. Ou alors ce n'est pas le bon jour ! Le contraste avec Loureiro est plus embêtant , même si on devine que Barbosa n'a pas du tout le même jeu... La setlist pioche donc intelligement dans la discographie du groupe même si je suis mitigé pour certains enchainements (Acid Rain/Final Light et surtout Insania/Lisbon)... Je trouve vraiment "Insania" trop générique et "moderne". Cependant, la semi-ballade "Lisbon" est une autre très bonne surprise, tiré du controversé « Fireworks » (1998) que j'aime beaucoup - mais je peux comprendre qu'il divise après un « Holy Land » excellent. Le refrain est vraiment imparable ("Oooooh, skies are falling down")... Magique ! Le petit solo de batterie de Bruno Valverde à mi-parcours n'est pas vraiment très intéressant mais je suis fasciné par sa manière de jouer, assez atypique avec sa main droite. A 27 ans, il a une technique vraiment bluffante. Captivé, je le suis aussi par le claviériste Bruno Sa qui officie également dans... Operation : Mindcrime et dont l'enthousiasme fait vraiment plaisir à voir. Pour refermer la soirée, la doublette "Carry On / Nova Era" est une superbe conclusion et un beau cadeau aux plus nostalgiques. Lione est un peu plus dans les cordes vocalement (n'y voyez pas de mauvais jeu de mot) pour "Carry On" mais comme je le disais il connait ses limites et n'essaye jamais d'égaler naïvement ce diable de Matos. Puis, son charisme naturel fait le reste...
Qu'on se le dise, si la popularité d'Angra ne leur permet pas de nos jours de faire des grosses salles, la qualité est bien là. L'aisance sur scène de Fabio Lione et son expérience apportent également énormement au groupe je trouve. Surtout quand le public n'est pas forcément très réactif pour ne pas dire passif... Par contre, on déplorera les couacs techniques durant toute la soirée et le retard accumulé qui fera que cette soirée qui devait se terminer aux alentours de 22h30 se terminera sur les coups de ... 1h !. Plutôt génant pour un concert en semaine surtout quand le public déserte progressivement la salle avant la fin du concert... Mais voilà, c'est aussi à ça qu'on reconnait les grands groupes. Le fait de braver les éléments et les conditions...
Setlist:
Travelers of Time
Nothing to Say
Angels and Demons
Newborn Me
Time
Acid Rain
Final Light
Insania
Lisbon
Waiting Silence
Rebirth
Carry On / Nova Era