"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Existant depuis 13 ans maintenant (diantre, ça porte malheur, mais du malheur pour un groupe de Doom, c’est peut-être une bonne chose), Hanging Garden aurait pu être un banal groupe de Doom/Death mélodique et mélancolique comme la Finlande sait si bien en produire, mais il a décidé de ne rien faire comme les autres, de bousculer les habitudes, de surprendre, et de faire une carrière aux aspérités musicales déroutantes. Tout avait commencé de manière classique, avec Inherit The Eden en 2007, très bon album de Doom/Death mélodique peut-être un peu sous-estimé (suffit d’écouter un morceau comme "Shards of Life" pour tenter de se laisser convaincre). Et sur ces bonnes bases, Hanging Garden avait déjà décidé d’évoluer radicalement pour son second opus TEOTWAWKI (2009), avec de forts accents… Sludge. Très original pour la scène scandinave et finlandaise en particulier, voire même un peu trop. C’est alors qu’en 2013 le groupe prendra un virage à 180° avec At Every Door, qui fut une grande réussite. S’il revenait aux fondamentaux, Hanging Garden se trouvait une ambition dans le fond et la forme pour un album particulièrement inspiré, aux morceaux forts ("Ten Thousand Cranes", "Wormwood"…), aux compos excellentes, aux chants maîtrisés, à l’ambiance prenante. C’est dit, TEOTWAWKI n’était qu’une expérimentation et Hanging Garden était parti pour devenir une référence du Doom/Death mélodique. Et là, patatras, pour Blackout Whiteout (2015), le groupe a subitement décidé de retirer quasi complètement le terme « Death » de l’équation pour passer à un Doom mélodique nettement plus épuré et moderne. Un quatrième album réussi certes ("Whiteout", "Embers", "Eclipse"…) mais tellement différent même si le groupe parvient à rester reconnaissable en toutes circonstances… Bref, Hanging Garden n’est pas facile à suivre, trace sa route sans regarder derrière, ou plutôt trace ses routes et choisit d’emprunter l’une ou l’autre selon ses humeurs. Quitte à ce que son GPS n’arrive plus à recalculer le trajet et lui demande de faire demi-tour dès que possible.
Re-virage à 180° pour Hanging Garden donc, et ce dès l’EP Hereafter sorti il y a un an avec des invités de renom au générique (Mikko Kotamäki de Swallow The Sun, Alexander Högbom d’October Tide…) et un retour au Doom/Death mélodique plus classique. C’est sur cette base que va donc arriver I Am Become, cinquième album de la formation finlandaise. Paradoxalement, Hanging Garden est donc redevenu lui-même. Les growls de Toni Toivonen reviennent donc en force même s’ils ne sont pas aussi sévères que ceux de At Every Door, mais plus que les rares de Blackout Whiteout. Enfin, le chant clair de Jussi Hämälainen est tout de même assez présent, pour un album qui au bout sera tout de même plus aéré et mélodique que At Every Door, mais bien sûr pas autant que Blackout Whiteout (vous suivez toujours ?). Bref, Hanging Garden surprend en… ne surprenant pas vraiment, en fait. Quoique. Mais allons-y par étapes, pour constater d’ailleurs que le groupe ne perd pas de temps en palabres et "As Above, So Below" démarre l’album sans intro parasite, grattes mélodiques et chant clair se font entendre dès les premières secondes. Le groupe refait donc du Metal mélancolique classique, mais toujours inspiré, même si l’ensemble est moins ambitieux que les compos et ambiances de At Every Door qui restera peut-être à jamais leur album de référence. Classique donc, mais complet et enivrant (avec des mélodies bien léchées), le mélodoom de Hanging Garden fait bien son office, avec des riffs un peu plus méchants et des growls appuyés pour bien montrer le retour du « Death » dans l’équation après Blackout Whiteout. Le très bon "Hearthfire", avec Tomi Joutsen d’Amorphis en guest, puis le plus posé "Elysium" poursuivent bien l’effort de "As Above, So Below" et Hanging Garden est définitivement en bonne forme, bien déterminé à encore proposer un parfait petit modèle de Doom/Death mélodique finlandais. Et c’est là que…
Dès "Our Dark Design", ça y est, Hanging Garden ne peut plus résister à l’appel de l’aventure, il faut qu’il amène de la singularité. Dès le morceau lancé, on constate que les rythmiques (guitares et batterie) prennent d’un coup une tonalité plus… Indus ! Les grattes se font plus rêches, la batterie plus dure, on sentirait même l’influence d’un Godflesh ! Plus lancinant, plus abrasif, Hanging Garden n’en perd pas pour autant son identité, que ça soit dans les chants ou les mélodies (on retrouve même des claviers à la At Every Door), mais marier ça à un aspect industriel sous-jacent, discret mais remarquable, est un beau tour de force. Et le pire, c’est que ça continue ! "Kouta" démarre avec des vocaux récités et trafiqués et même des effets électroniques totalement inattendus, alors que les habituelles mélodies mélancoliques se déroulent derrière, et les riffs proposés sont là aussi relativement abrasifs. On aurait donc pu croire que I Am Become serait à nouveau un album qui revient aux fondamentaux mais Hanging Garden y amène tout de même quelques aspérités. "From Iron Shores" balance donc des riffs Godfleshiens dès les premières secondes (avec même du chant bien déchiré) avant d’embrayer sur les mélodies scandinaves et des moments atmosphérico-épiques en alternant chant clair et growls, bref quelque chose d’habituel… avant que les riffs Godfleshiens ne reviennent sans crier gare. Tout ça avant de repartir dans des terres mélodoomdeath comme si de rien n’était… avec le classique "One Hundred Years" qui n’aurait pas dépareillé parmi les morceaux les plus posés de At Every Door. Puis d’enchaîner sur l’excellent "Forty One Breaths", un des meilleurs morceaux du disque, avec un côté épique à couper le souffle. Alors qu’on s’attendait à avoir un album sans chichis de la part des Finlandais, voilà qu’ils trouvent encore le moyen de créer la surprise avec un milieu d’album étrange, avec des éléments inattendus qui dénotent mais qui sont pourtant bien amenés…
Des incursions légèrement industrielles, qui n’occupent certes pas tout l’espace et font plus office de petit plus et de curiosité, mais qui posent une question : on se demande carrément si on aurait pas préféré un album vraiment teinté d’Indus de bout en bout pour voir ce que ça aurait donné ? D’autant que les trois morceaux en question sont tout de même bigrement convaincants, passée l’incongruité de la chose à la première écoute. Bref, Hanging Garden donne l’impression d’avoir essayé quelque chose de nouveau (encore) mais s’est senti obligé de faire un album tout de même conventionnel pour respecter son schéma de carrière « un album où on essaye de changer, un album où on refait du classique ». On ne le saura peut-être jamais, à moins que ce milieu d’album fasse office de teasing pour la suite… En attendant, I Am Become est tout de même un bien bon album d’Hanging Garden dans son versant le plus « basique », un bien bon album de Doom/Death mélodique, mélancolique et un brin atmosphérique, et donc très finlandais, qui se finit d’ailleurs par un "Ennen" un peu plus cool avec du chant féminin, mais les gros riffs et les growls sont toujours au rendez-vous. Sur ces bases, le seul véritable accroc de I Am Become, c’est qu’il n’atteint tout de même pas la qualité de At Every Door, qui comme je le disais reste une référence, avec des compos et des ambiances plus travaillés, tandis que ce 5ème opus des Finlandais reste relativement bloqué dans les carcans du genre, y compris sur l’utilisation des chants, sauf quand bien sûr il décide de se la jouer un peu Indus. Un côté Indus qui reste une plus-value intéressante, bien qu’il reste anecdotique en termes de quantité sur cet album de 47 minutes, mais demeure tout de même éminemment remarquable et permet d’assurer l’identité plus originale d’Hanging Garden, un groupe qui ose. Pas trop ici dans la globalité, surtout et bien sûr par rapport à des albums comme TEOTWAWKI et Blackout Whiteout, mais si on en reste au strict Doom/Death mélodique, I Am Become avec ses quelques très bons morceaux est une valeur sûre du genre.
Tracklist de I Am Become :
1. As Above, So Below (6:07)
2. Hearthfire (5:14)
3. Elysium (4:33)
4. Our Dark Design (4:05)
5. Kouta (3:47)
6. From Iron Shores (5:30)
7. One Hundred Years (6:45)
8. Forty One Breaths (4:58)
9. Ennen (5:55)