"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Cela faisait 5 ans que nous attendions le retour de Gravity, le groupe de Montpellier qui a su vraiment potentialiser son Metalcore « à chanteuse » au fil de ses sorties. Il n’a d’ailleurs fallu que deux albums à la formation pour montrer ses talents dans un style forcément galvaudé et peu considéré. Et d’ailleurs, avec le recul, rien que son tout premier album Syndrome (2011) était déjà tout à fait abouti. Parti d’un Metalcore à la fois classique et moderne, emmené par une vocaliste qui hurle et qui chante (vraiment), et pétri d’une forte influence Gojira, Gravity a évolué jusqu’à proposer un Metalcore multi-cartes qui a élargi le spectre de ses influences pour forger sa personnalité et creuser sa propre voie. Eutheria, qui débarquait déjà un peu plus d’un an après Syndrome, avait donc déjà entériné le statut de Gravity, devenu très rapidement une des meilleures formations Metalcore de l’hexagone. Teinté de Djent, de Deathcore et plus généralement de Metal moderne, Eutheria était donc une franche réussite. Bien loin du The Agonist/Eths-like dont on pouvait le taxer pour son premier album mais qui était franchement réussi aussi ((ré)écoutez des morceaux singuliers comme "Violences" et "Déphasé" pour vous en convaincre). Gravity n’avait déjà presque plus rien à prouver avec des tueries comme "Emphase", "L’Écorce" ou "Inlandsis". Ce qui explique peut-être qu’il s’est terré pour travailler sur le successeur de Eutheria, alors que des challengers comme Ellipse sont apparus entre temps. 5 années et un crowdfunding qui n’est pas allé à son terme plus tard, Gravity est enfin de retour, passé de M&O Music qui n’a jamais rechigné à chercher les futures pépites françaises à Apathia et son catalogue original et florissant, pour un troisième full-length plutôt ambitieux nommé Noir qui a la lourde charge de succéder, au risque d’insister, aux excellents Syndrome et Eutheria.
Gravity avait étalé une bonne partie de ses influences pour Eutheria et avec Noir il va essayer de recentrer un peu tout ça, pour vraiment dévoiler sa pure personnalité, sans trop évoquer ceci ou cela à chaque instant. Certes, on sent toujours que Alexandre connaît son petit Gojira illustré sur le bout des doigts (les deux parties de "Démonarque", "Ogres" notamment) et on sent aussi que Betraying The Martyrs est passé par là avec ses deux derniers albums sortis le temps de la genèse de Noir. Mais avec le chant d’Emilie, ses ambiances particulières et son Metalcore classico-moderne qui tape bien dans le Djent et le Deathcore quand c’est nécessaire, Gravity a bel et bien son propre touché et Noir est dans la lignée d’Eutheria, avec une mixture encore mieux mélangée. Partant d’un Metalcore qui latte, Gravity pose ses passages plus syncopés, ses moments plus lourds mais aussi ses envies mélodiques qui, tout comme pour Eutheria, posent une certaine ambiance. Une ambiance ici plus sombre, comme finalement le présente bien le nom de l’album, Noir. Du coup et même s’il est souvent aéré, Noir sera un album globalement désenchanté. Et la prestation vocale d’Emilie y est pour beaucoup, tant elle pousse sa voix hurlée dans ses derniers retranchements par moments ("Dune" par exemple). Et on constate aussi que son chant clair se fait moins présent que par le passé, il sert surtout pour doubler des lignes hurlées ou en guise de backings ("Noir", "Le Porteur de Nuit", "Démonarque I", "Ogres") mais de vrais passages clairs se font tout de même remarquer ("De l’Homme au Loup", "Le Porteur de Nuit", "Dune", un peu sur "Hypérion", "Indigence I"). Bref, globalement, Gravity évolue dans la continuité et livre son album le plus fignolé et le plus cohérent, avec son atmosphère propre assumée, portée par des paroles travaillées et conceptuelles (toujours intégralement en Français, rappelons-le) que je vous laisserai découvrir pour m’attarder sur la musique.
Notons déjà que grâce à Auré Pereira (Uneven Structure), le groupe possède ici le meilleur son qu’il n’ait jamais eu, mettant d’ailleurs bien en valeur la basse vrombissante de Tim. Rien n’empêchera donc le Metalcore efficace et inspiré des Montpelliérains de vous faire vibrer. Après une intro curieuse, le morceau-titre de l’album se pose déjà comme un bon hit des familles qui va côtoyer les meilleurs morceaux du groupe. La première partie de Noir envoie d’ailleurs du bois, entre le très Djent/Deathcore "Le Premier Éclat" qui oscille bien entre lourdeur et mélodie, le dynamique "De l’Homme au Loup" qui se distingue par un breakdown bien gras, et surtout l’excellentissime "Le Porteur de Nuit" aux riffs mortels et au break électro de premier choix. Ensuite, Gravity travaille son art pour bien montrer tout son spectre et faire évoluer son troisième album telle une histoire à chapitres. Le centre de l’album, très Gojiresque, notamment mené par les riffs croustillants de "Démonarque I" et les belles mélodies de "Ogres", nous emmène alors vers une fin d’album assez épique, et ce dès le très aérien "Dune". Gravity continue cependant de distiller son Metalcore percutant, dynamique et réservant son lot de gros riffs (il y a de quoi faire avec certains passages très metalliques de "Hypérion", "Indigence" surtout sa courte deuxième partie, et le final "La Dernière Empreinte") mais se laisse aller à des envolées lumineuses assez enivrantes et prenantes (la fin de "Hypérion", les moments aérés de "Indigence I"). Des morceaux comme "Indigence I" et "La Dernière Empreinte" montrent toute la richesse du propos des Montpelliérains, et Noir est un album très vivant où l’on peut même croiser certaines surprises comme le sample de « V pour Vendetta » au début de "Indigence I". Gravity a bien profité des longues années de genèse de Noir pour proposer un album très travaillé et cohérent, capitalisant sur certaines qualités de Eutheria pour pondre quelque chose qui va bien au-delà du Metalcore commun.
Ce qui est une bonne et une mauvaise idée, car à vrai dire Gravity gagne en richesse et en qualité de composition ce qu’il perd un peu en efficacité directe et aussi en variété, alignant ici un album de 59 minutes qui s’écoute et s’apprécie dans sa globalité plutôt que de chercher des gros hits. D’ailleurs à mon sens les deux meilleurs morceaux de l’album sont ses deux singles, "Noir" et "Le Porteur de Nuit". Pour le reste, évidemment rien n’est à jeter mais on ne retiendra pas un morceau plus qu’un autre, même si on pourra aisément isoler des riffs bien mordants ici et là et quelques moments de grâce. Si l’on cherchait du Metalcore qui ne fait qu’aligner des cavalcades de riffs et des refrains à scander, ce n’est plus vers Gravity qu’il faut se tourner, le groupe de Montpellier a d’autres ambitions et a forgé un style plus enlevé. En conséquence, en 59 minutes, de petites longueurs peuvent apparaître ("De l’Homme au Loup", "Démonarque I", "Ogres") de même qu’une certaine linéarité par moments, du moment que le groupe a lancé ses oripeaux plus épiques en seconde partie de disque. Tout ça pour dire que je préfère encore Eutheria - et même Syndrome qui se bonifie avec le temps dans un style plus classique mais déjà personnel - mais la performance de Noir est à saluer, du Metalcore « différent » qui sort de certaines limites du style. A chacun de voir s’il préfère les hits des premiers albums où le « scénario » de ce troisième opus, toujours est-il que Gravity a encore livré quelque chose de grandiose qui met à terre un bon nombre de formations évoluant à la frontière des styles Metalcore/Deathcore/Djent/Metal-moderne. Un peu comme The Book Of Eliot de feu-Hord en somme (et je préférais leurs deux premiers aussi…), des compatriotes de Montpellier d’ailleurs. Après une bonne période d’attente, Noir signe un peu déjà l’aboutissement du style Gravity, même s’il peut encore faire mieux et conjuguer son efficacité d’antan avec ses envolées conceptuelles. En tout cas, voilà encore une fois un album très solide de Metalcore « à chanteuse » qui confirme Gravity en tant que groupe le plus intéressant de la scène Metal/Core hexagonale.
Tracklist de Noir :
1. Ouverture (0:33)
2. Noir (4:44)
3. Le Premier Éclat (5:29)
4. Noctifer - De l’Homme au Loup (7:27)
5. Noctifer - Le Porteur de Nuit (6:44)
6. Noctifer - Démonarque I (4:38)
7. Noctifer - Démonarque II (1:41)
8. Noctifer - Ogres (4:55)
9. Dune (5:15)
10. Hypérion (4:32)
11. Indigence I (5:32)
12. Indigence II (1:57)
13. La Dernière Empreinte (6:00)