"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
On était resté sans nouvelles de Shade Empire entre 2008 et 2013, ce qui n’a pas du émouvoir grand monde car il est vrai que ce groupe finlandais appartenait un peu à la seconde division, légèrement noyé dans la quantité de formations œuvrant entre Black Sympho, Metal extrême et Metal Electro/Indus qui pullulaient dans son pays au début des années 2000. C’est ainsi que le groupe était revenu sans crier gare en 2013 avec Omega Arcane, album qui allait le propulser à un autre niveau. Parti donc d’un style très finlandais, Metal extrême sympho puisant dans le Black/Death et présentant quelques éléments Electro/Indus, Shade Empire avait connu un début de carrière très honnête, voire était même une bonne surprise dans le genre pour qui savait creuser. Après un bon départ sur Sinthetic (2004), le groupe avait ensuite signé les excellents Intoxicate O.S. (2006) et Zero Nexus (2008), de parfaits petits modèles de Metal extrême, s’inscrivant dans un Black sympho moderne et dynamique. Leur succès demeurait très relatif et c’est ainsi que l’on avait presque cru que le groupe était mort et enterré comme bon nombre de formations de Black sympho (au sens large) scandinaves qui ont disparu de la circulation en même temps que les étiquettes du catalogue de Holy Records n’étaient plus un bon moyen de faire des découvertes. La surprise du grand retour de Shade Empire n’en a donc été que plus grande, avec un contrat chez Candlelight Records en poche. Nouveau logo, nouvelles ambitions, Shade Empire avait signé avec Omega Arcane, son 4ème full-length sorti il y a 4 ans maintenant, une ré-entrée en matière fracassante qui a finalement donné naissance à une potentielle nouvelle référence du Black sympho.
Prenant comme base le côté plus classique de Sinthetic et le long morceau de clôture de Zero Nexus qu’était le génial "Victory", Shade Empire a donc recentré son évolution vers un Black sympho bien torché et plus épique. Bien sûr, on est plus dans l’optique d’un Metal extrême symphonique qui oscille entre Black et Death que du BM pur et dur même modernisé, mais le jeu en vaut la chandelle quand on voit que le style ne sert plus grand-chose de bon depuis quelques années, hormis certains disques plus old-school. Laissant tout de même de côté ses apparats Electro/Indus et l’aspect frénétique de Intoxicate O.S. avec son chant qui partait dans tous les sens, Shade Empire s’était trouvé une nouvelle maturité, faisait plus ressortir d’autres influences (Limbonic Art et, même si c’est paradoxal, Dimmu Borgir), et avait livré un Omega Arcane certes pas totalement parfait mais assez grandiose, avec des morceaux très travaillés et passionnants ("Ruins", "Disembodiment", "Nomad") et de bons brûlots de Black sympho moderne ("Dawnless Days", "Until No Life Breeds", "Ash Statues" ou encore cette grosse tuerie qu’était "Malicious Winds"). Bref, une belle surprise qui, avec le recul, avait accouché d’un des meilleurs albums de Black sympho des années 2010. Il fallait confirmer tout cela et surtout il ne fallait pas que Shade Empire retombe dans l’oubli après un retour si réussi. Il a fallu donc encore attendre 4 ans mais voici venir Poetry Of The Ill-Minded, 5ème full-length de Shade Empire qui sans grande surprise cette fois-ci, va se placer dans la lignée directe de Omega Arcane, ce qui demeure une bonne idée. Même si depuis le groupe a connu des remous et a du gentiment lourder son chanteur Harju, a priori remplacé par le chanteur clair Henry Hämälainen, Shade Empire va essayer de maintenir sa bonne forme et poser sereinement son statut mérité de pointe dans le domaine du Black sympho moderne.
Avec ses 7 morceaux oscillant de 4 à presque 10 minutes, Shade Empire n’a rien perdu à la fois de son côté ambitieux et de son aspect accrocheur, et surtout son penchant épique même si Poetry Of The Ill-Minded est bien moins long que son prédécesseur. "Lecter (Welcome)" le montre bien, avec des orchestrations et des mélodies au top d’entrée de jeu. Si le chant clair est quelque peu discutable (c’est sa seule apparition de tout l’album de toute façon), pour le reste Shade Empire montre une nouvelle fois ses capacités en termes de Black sympho bien ficelé, grandiose et prenant, moderne sans être pompeux une seule seconde, et d’ailleurs beaucoup devraient en prendre de la graine. Rien de neuf par rapport à Omega Arcane finalement, mais on constate que le groupe est toujours à son niveau et va donc transformer l’essai sans mal. Et outre ses accès épiques, Shade Empire est toujours capable de pondre des morceaux plus directs qui sont autant de tubes potentiels de Black sympho. "Wanderer", entraînant à souhait avec de magnifiques envolées de claviers et violons et des subtils riffs plus Mélodeath, est assurément le hit de cet opus, et l’on découvre une autre subtilité de cet album que sont ces parties de cuivres endiablées assurées par Jukka Eskola. Le plus frénétique mais toujours très sympho "Drawn to Water - The Path" n’est pas en reste, Shade Empire est décidemment inspiré et le prouve encore avec "Thy Scent", ses passages assez monumentaux et ses partitions de trompette bien barrées mais cohérentes. Mais le meilleur sera pour plus tard avec le fantastique "Map of Scars", morceau à la fois efficace et envoûtant qui recèle de blasts ravageurs, de riffs mordants, de superbes mélodies et de moments plus feutrés de toute beauté. On aura même droit à une incursion électronique très courte mais éminemment délicieuse…
La seule ombre au tableau de Poetry Of The Ill-Minded est tout de même de taille : il s’agit du morceau le plus long du disque et de surcroît son single, "Anti-Life Saviour". Non pas que cette piste soit mauvaise, mais elle ne montre rien de vraiment remarquable en 10 minutes, on est bien loin de ce qui avait été proposé sur des morceaux comme "Ruins" et "Disembodiment" sur Omega Arcane, même si Shade Empire reste convaincant dans ce versant très aéré et épique. Poetry Of The Ill-Minded se clôt tout de même sur l’excellent "Treasure (In Liquid Dreams of Mirror Universe)", qui jette encore dans la bataille quelques très bonnes compos, et qui s’offre aussi une ambiance plus futuriste avec a clé une belle intro électronique d’ailleurs. Shade Empire gagnerait à (re)mettre plus d’Electro dans son art à vrai dire, mais le Black sympho qu’il propose actuellement se suffit à lui-même et lui va à ravir. S’il ne le dépasse pas vraiment car il est en partie déjà culte, Poetry Of The Ill-Minded confirme les grands efforts de Omega Arcane et montre définitivement que le Shade Empire version années 2010 a tout d’un grand. Le groupe finlandais a, une nouvelle fois, pondu un excellent album de Black sympho moderne, efficace et épique, regorgeant de moments metalliques mortels et d’envolées orchestrales magnifiques. Si encore une fois nous n’avons pas affaire à un véritable chef-d’œuvre (tout ceci n'étant pas forcément très original non plus), la qualité est grande et surtout, nous n’avons pas eu le droit à beaucoup d’albums de Black sympho de cette trempe ces dernières années. Poetry Of The Ill-Minded pose donc Shade Empire comme une des valeurs sûres du Black sympho des années 2010, peut-être par manque de concurrence mais le groupe fait montre de toutes les qualités que l’on attend d’un groupe du genre pour son versant le plus moderne et le plus « bombastic » sans en faire des tonnes. Et puis ceux qui connaissaient le groupe « avant » savaient qu’il y avait du talent de leur côté de la Finlande… alors voilà un bel exemple d’aboutissement de carrière, avec classe et application.
Tracklist de Poetry Of The Ill-Minded :
1. Lecter (Welcome) (7:26)
2. Wanderer (4:31)
3. Drawn to Water - The Path (4:38)
4. Thy Scent (5:22)
5. Anti-Life Saviour (9:58)
6. Map of Scars (6:55)
7. Treasure (In Liquid Dreams of Mirror Universe) (6:17)