"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
C’est une curieuse histoire que celle de Nightbringer. Celle d’un groupe qui avait le potentiel pour être le groupe de Black Metal le plus occulte et le plus terrifiant de la Terre, mais qui n’a jamais vraiment réussi à le devenir. Celle d’un groupe qui n’a jamais vraiment confirmé ses premiers efforts, les fantastiques Rex Ex Ordine Throni (split avec Temple Of Not, 2005) et Death And The Black Work (premier full-length, 2008), malgré une dizaine d’années d’activité. Celle d’un groupe qui, finalement, semble s’être contenté de peu, n’a plus vraiment eu d’idées, capitalisant sur un style puissant et sidérant à la base, mais qui a fini par ne plus faire d’effet à force de redite permanente. Un peu le syndrome Ævangelist doublé du syndrome Anaal Nathrakh, un groupe qui ne fait plus peur et dont la violence et la noirceur apparente se sont engluées dans une redondance confondante. Le Black majestueux et terriblement noir de Death And The Black Work avait été retentissant en son temps, cette ambiance occulte rarement atteinte, ces trémolos ravageurs, ces vocaux possédés, cette intensité incroyable malgré le rythme soutenu… Si Apocalypse Sun (2010) parvenait à maintenir cette tension infernale, Nightbringer avait fait des erreurs sur la forme, exagérant un peu sur les trémolos appuyés quitte à un peu crisper les oreilles. Pour Hierophany Of The Open Grave (2011), le groupe américain était déjà arrivé au bout de son inspiration, avait fait le tour de son style, et surtout ne bénéficiait plus de l’effet de surprise. Un déclin peut-être prévisible, mais qui hélas semblait déjà entériner le fait que Nightbringer ne sera jamais le monstre de Black-Metal occulte qu’il aurait du devenir.
Bon, les albums post-Death And The Black Work ne sont pas non plus mauvais en soi. C’est juste que personnellement, je n’ai jamais retrouvé l’occultisme saisissant de ce premier album parmi les sorties suivantes. Il y a peut-être le côté « découvert à l’époque » qui joue mais ce que sort Nightbringer depuis un bon moment a bien du mal à me convaincre réellement. En contrepartie, le groupe s’est récemment offert un regain de violence, voire de modernité, ce qui lui a fait un peu quitter l’underground américain et désormais Season of Mist se risque à le comparer à Dark Funeral, Emperor et Dimmu Borgir (LeL). Ego Dominus Tuus (2014) voyait alors le groupe s’appuyer sur ses particularités propres tout en développant une ambiance beaucoup plus épique, toujours occulte à sa manière, on a désormais l’impression que le lieu des messes noires de Nightbringer est un temple souterrain brillant de mille feux et serti d’or brillant. Cela aurait pu fonctionner et d’ailleurs, le groupe avait livré avec des morceaux comme "Et Nox Illuminatio Mea In Deliciis Meis" et "Lantern of Eden’s Light" des œuvres tout à fait remarquables. Manque de pot, Nightbringer ne faisait ensuite qu’appliquer encore et encore sa recette maléfique, à base de gros blasts, de trémolos rangés et de vocaux hallucinés. L’ensemble devenait donc vite répétitif et lassant et si Nightbringer faisait légèrement évoluer sa démarche musicale en lui trouvant une intensité nouvelle, il n’était pas spécialement inspiré pour tenir la distance sur un album complet. Trois ans plus tard, Nightbringer retente le coup, avec un Terra Damnata que l’on espère, enfin, capable de vraiment faire exploser le potentiel que la formation américaine a dévoilé au grand jour neuf ans auparavant…
On notera déjà que le groupe ne s’est pas assagi, bien au contraire. Alors que Ego Dominus Tuus nous plongeait dans l’ambiance de son temple occulte avec l’intro "Prayer of Naphal", Terra Damnata ne s’embarrasse pas de présentations et balance directement un "As Wolves Amongst Ruins" qui dépote menu. "Misrule", qui suit de peu, ne fera pas baisser un instant cette intensité. Alors certes, le groupe semble en forme et reste bien déterminé à livrer un Black-Metal occulte qui dévaste tout sur son passage. Mais qu’en est-il de l’inspiration ? Qu’en est-il du sang neuf obtenu des sacrifices rituels après Ego Dominus Tuus ? Pas grand-chose… C’est bien simple, Terra Damnata est un Ego Dominus Tuus bis, le développement des ambiances en moins. Hormis le plus posé et épique "The Lamp of Inverse Light", très réussi soi-dit en passant, suivi de son final libérateur "Serpent Sun", Nightbringer sombre une fois de plus dans la redite. Des morceaux quasi interchangeables qui jouent tous la carte des compos les plus directes entrevues sur Ego Dominus Tuus : un départ canon à blasts explosifs, des enchaînements de trémolos, Naas Alcameth qui vide ses poumons dessus, des vocaux plus incantatoires assurés par les autres chanteurs, et emballez c’est pesé. On assiste à une nouvelle messe noire dans le temple maléfique de Nightbringer, rien de plus. Alors il est sûr que la violence est au rendez-vous de même que la dimension résolument occulte de l’ensemble, mais pour quel résultat ? Quelque chose qui n’est plus franchement impressionnant du moment que l’on connaît bien les précédents opus. Terra Damnata en devient même pompeux par moments, cf. le plus rituel "Inheritor of A Dying World". Si Ego Dominus Tuus entrouvrait une porte de renouvellement et était principalement desservi par son côté redondant, Terra Damnata lui succède sans gloire, Nightbringer a une fois de plus refait exactement la même chose et n’est toujours pas hyper inspiré pour surprendre son auditoire, au moins livrer un morceau de référence. C’est plus triste qu’autre chose…
Ne vous méprenez pas, si vous avez aimé Ego Dominus Tuus dans son ensemble et que vous attendiez juste que Nightbringer fasse un nouvel album dans cette lignée, Terra Damnata devrait vous contenter, encore que je le trouve bien moins convaincant dans le traitement des ambiances et encore plus redondant. Nightbringer n’a plus vraiment d’inspiration ni d’ambition non plus. Le spectre de Death And The Black Work est toujours là, mais le groupe semble avoir trouvé sa voie, dans la violence certes mais sans grand panache. Il est sûr que si l’on découvre le groupe avec cet album, on peut prendre une bonne claque avec leur occultisme brutal et infernal. Mais quand on a découvert la chose avec ses premiers méfaits… Pourtant, jusque là leurs opus étaient au moins corrects pour ce qu’ils étaient, mais Terra Damnata est à mon sens le premier album vraiment faible et décevant de Nightbringer. Parce qu’il n’apporte rien à la discographie du groupe, parce qu’il est à nouveau très répétitif et vite lassant, parce que son intensité latente ne fait plus d’effet, et parce qu’il est moins bien que les autres et que c’était mieux avant, tout simplement. Nightbringer n’a jamais vraiment confirmé son premier et excellent album Death And The Black Work, c’est un fait définitif. Il a touché de près l’exploit (Apocalypse Sun et même Ego Dominus Tuus qui paraît plutôt bon avec le recul, en comparaison à son successeur…) mais n’a jamais fait exploser son potentiel. Je ne sais pas si le départ de Nox Corvus y est pour quelque chose mais Nightbringer s’est un peu perdu, a voulu transformer son occultisme en un Black-Metal monumental, mais s’est planté par manque de réelle inspiration. Et le comble dans tout ça, c’est qu’alors que Nightbringer stagne, ce sont les projets parallèles comme Akhlys et Bestia Arcana qui se distinguent, en faisant du… Nightbringer en mieux, en plus varié et plus inspiré. Curieuse, et triste histoire, que celle des prêcheurs de Nightbringer…
Tracklist de Terra Damnata :
1. As Wolves Amongst Ruins (5:36)
2. Misrule (6:18)
3. Midnight's Crown (6:10)
4. Of the Key and Crossed Bones (6:46)
5. Let Silence Be His Sacred Name (8:22)
6. Inheritor of a Dying World (6:38)
7. The Lamp of Inverse Light (6:10)
8. Serpent Sun (6:15)