"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Entrons directement dans le vif du sujet : depuis le split d’Agalloch, il est clair qu’il y a une place à prendre dans une certaine branche du Black atmo américain. En attendant de voir ce que vont faire les nouveaux projets des membres de feu-Agalloch (dont Pillorian, qui semble vraiment formé « sur les cendres »), il faut un peu meubler, et ils sont beaucoup à prétendre au challenge. Et voici un challenger crédible avec Manetheren. Ce groupe du Minnesota n’est pas né de la dernière pluie : il existe depuis 2003 et compte à son actif 5 albums incluant cette nouvelle offrande nommé The End, 6 si l’on compte que Solitary Remnants (2008) avait été enregistré deux fois, toutefois sa première version n’est semble-t-il jamais sortie. D’ailleurs, contrairement à bon nombre de ses compatriotes évoluant dans le Black-Metal, Manetheren n’a pas une discographie très florissante et n’a sorti que des full-length, jamais de démo, de split ni même d’EP. Autour d’Azlum, chanteur/guitariste/bassiste et tête pensante du groupe, le line-up a été très variable depuis 2003 et l’on a vu passer pas mal de membres issues de formations plus ou moins obscures (comme Esoterica), mais Azlum est désormais accompagné de deux membres de Frostmoon Eclipse dont le batteur Thorns qui officie également chez Blut Aus Nord ainsi qu’un sacré paquet de formations passées (Acherontas, Glorior Belli, Handful Of Hate, Macabre Omen, Enthroned en Live…) et présentes (Deathrow, Fides Inversa, Liber Null, Martröð…). Bref, Manetheren est presque devenu un groupe américano-italien mais sa musique, elle, demeure très « américaine »…
Parti d’un Black-Metal assez Raw dans un trip légèrement Burzumesque, Manetheren a donc évolué pour jouer dans la cour de ses compatriotes d’Agalloch, Wolves In The Throne Room et consorts, en somme un Black-Metal forcément atmosphérique, mélodique et mélancolique, bien que très peu « Post ». Time, leur précédent opus sorti en 2012 chez Debemur Morti, avait même vu le groupe verser dans le Black ambiant, avec l’aide bienvenue de Peter Anderson de Raison d’Être. Une fausse bonne idée car cela nous avait donné une musique trop cloisonnée, entre de l’Ambient et du Black atmo peu révolutionnaire. Pour The End, concept-album sur la fin du monde, Manetheren va revenir à quelque chose de plus classique, sans nécessairement revirer sa cuti, prenant toujours appui sur des morceaux longs (de 8 à presque 15 minutes ici) qui prennent leur temps, choisissant la répétition de riffs comme moyen d’expression, mais aussi le développement d’ambiances raffinées et épiques, à l’aide de quelques instrumentations acoustiques voire de claviers. Avec sa prod bien forestière et son chant bien rocailleux, Manetheren joue donc clairement dans la cour d’un Agalloch et de nombreuses formations connexes style « release de Northern Silence », jusque dans un léger esprit Pagan qui penche parfois vers du Black atmo ukrainien façon Drudkh. Ce n’est donc pas ici que l’on trouvera un challenger à Harakiri For The Sky, le propos est plus dur et lancinant, plus sombre aussi (on penche parfois vers un Krieg) même si une atmosphère assez lumineuse se dégage quand même de ce Black-Metal atmosphérique qui ne néglige pas les mélodies… et l’ambiance.
Côté pur Black-Metal, Manetheren n’a cependant pas tant de choses à dire et "The Sun That Bled" démarre très classiquement l’album, bien que l’ensemble soit plaisant. Il est sûr que les compositions metalliques proposées par le groupe américain (d’origine) sont assez répétitives et s’étirent en longueur, mais c’est le style qui veut ça, et l’on peut facilement se laisser transporter même si certaines parties sont rapidement lassantes. Heureusement pour lui, Manetheren sait se distinguer par son traitement des atmosphères, souvent éthérées, voire même épiques. "And Then Came the Pestilence", avec ses bons claviers et sa partie finale enlevée, prouve les capacités du groupe dans ce domaine. "The Ritual" n’est pas en reste, de même que "Darkness Enshrouds" convainc grâce à sa belle montée en puissance. Quelques beaux moments parsèment encore "When All Is Still, There Is Noting" tandis que The End se termine par les 14 minutes de son morceau-titre, qui résume bien l’essence résolument atmosphérique de Manetheren pour cet opus. Il n’y a vraiment rien de surprenant pour qui connaît bien le Black atmo américain, mais Manetheren parvient à faire mieux que Time en délaissant l’aspect Ambient pour du pur Black atmo, maîtrisé et équilibré. Cela n’est pas encore suffisant pour faire de The End un album de grande classe, et Manetheren doit encore faire mieux et trouver sa véritable personnalité pour sortir un album vraiment gracieux et complet, moins convenu, plus varié et plus ambitieux. Cependant en l’état The End demeure un album sympathique qui permet de passer le temps en attendant que les ex-Agalloch refassent quelque chose de la trempe d’Agalloch, il est clair que leur héritage est difficile à égaler, mais Manetheren ne fait pas injure au Black atmo américain dans son versant éthéré et mélancolique, et The End est au final un album correct de Metal « à la Agalloch ».
Tracklist de The End :
1. The Sun That Bled (11:09)
2. And Then Came the Pestilence (8:04)
3. The Ritual (8:30)
4. Darkness Enshrouds (9:26)
5. When All Is Still, There Is Nothing (9:45)
6. The End (14:46)