"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Pour nous metalleux bien poilus et sentant le houblon, la Pologne nous évoque le Black/Death bien lourd et costaud… mais le pays de Behemoth et consorts a d’autres cordes à son arc, toujours dans le Rock/Metal. Une véritable scène Prog/Post-Metal semble exister, tournant principalement autour de Riverside et Blindead. Peu de groupes ont réellement percé et peu de véritables connexions existent, mais toujours est-il qu’en creusant un peu on peut facilement trouver bon nombre de formations polonaises évoluant dans le « Progressive Rock/Metal ». Disperse est un de ces groupes, qui est d’ailleurs en train de faire son trou depuis qu’il a été repéré par Season of Mist. Formé en 2007, Disperse fera déjà des premières parties de Riverside alors qu’il n’avait même pas encore sorti d’album. Son premier full-length (Through The Hidden Gardens) verra le jour en 2010 et c’est sûr, le groupe n’est pas à ranger aux côtés de Vader et Infernal War avec sa musique prog’ évoquant plutôt un Pink Floyd légèrement metallisé. Pourtant, avec Living Mirrors (2013), Disperse avait choisi la voie du Djent. Son versant le plus progressif à la TesseracT, The Contortionist ou Stealing Axion, mais les grattes syncopées étaient de la partie, sans jamais renier les influences Rock Prog’ sous-jacentes. 4 ans plus tard, voilà que le groupe polonais nous fait le coup « un pas en avant, deux pas en arrière ». Après avoir dynamité, Disperse ventile.
Le Metal et plus particulièrement le Djent va donc être laissé de côté pour quelque chose qui se rapproche plus de Through The Hidden Gardens. Ceci dit Pink Floyd n’est plus vraiment une influence décelable à l’évidence, Disperse ayant choisi la voie d’un Rock/Metal progressif très moderne et aérien, se rapprochant plus d’un Porcupine Tree ou d’un Karnivool, voire d’un Marillion avec qui le groupe a également tourné. Quelques grattes saturées sont toujours présentes et Disperse conserve une légère affiliation au Metal même le plus doux, et finalement les deux derniers albums de TesseracT ne sont jamais loin. Mais en encore plus raffiné… Foreword est donc un album de 52 minutes résolument lumineux et cotonneux, très aéré et atmosphérique. Si l’ensemble n’a pas franchement d’originalité, il est porté par deux personnages. Premièrement Rafał Biernacki, chanteur qui avait déjà montré ses qualités au sein de Living Mirrors et qui confirme ici ses talents. Très proche des deux derniers chanteurs en date de TesseracT (Ashe O’Hara et Daniel Tompkins), il illumine Foreword de son chant maîtrisé et touchant, et plutôt varié (le début de "Tether" est un régal), et vient sérieusement se placer sur le podium des vocalistes du style Djent (au sens très large). Deuxièmement, Jakub Żytecki, guitariste de grand talent qui lui aussi confirme ses dispositions après Living Mirrors. Foreword se transforme d’ailleurs bien vite en un catalogue de ses capacités, que ça soit sur le plan rythmique ou mélodique, ainsi qu’acoustique. Disperse se rapprocherait même presque d’un Animals As Leaders ou d’autres formations instrumentales du même style, avec un touché jazzy que n’aurait pas renié un Cynic dans ses travaux les plus atmosphériques, Cynic qui est une des influences revendiquées et assumées de Disperse d’ailleurs.
A partir de là, inutile de dire que Foreword est plus destiné aux amateurs de progueries très aériennes portées par un guitariste en forme et par un chanteur enivrant. Si l’on reconnaît bien Disperse, le virage pris après le très djenty Living Mirrors est tout de même radical. Le « Metal » disparaît presque totalement de l’équation passé "Tomorrow", pour laisser place à un Rock atmosphérique très bavard mais tout de même assez redondant. L’aspect hyper aérien est bien présent (notamment pour les deux longues plages que sont "Sleeping Ivy" et "Does It Matter How Far?") et on aimera ou pas, Foreword n’étant c’est sûr pas destiné à un public qui attend que ça riffe menu et que ça crie… Du coup, cet album est parfois un peu trop sucré (les chœurs enfantins de "Stay" et "Tether", l’électro de "Bubbles" pour un morceau un peu Enter Shikariesque) et est paradoxalement tout autant léger qu’il est indigeste sur certains points. Si je regrette le Djent de Living Mirrors qui certes n’était pas abouti, Foreword est à prendre pour ce qu’il est, un album de Metal progressif très, très aérien, bien fait malgré un petit manque d’originalité. Mais mine de rien Disperse fait aussi bien que les deux derniers TesseracT, même si pour ma part le groupe britannique n’avait jamais réussi à égaler One. On retiendra les performances respectives de Rafał Biernacki et Jakub Żytecki, il reste aussi à voir si Disperse restera dans cette voie ou retournera vers le Djent (vu que le style est franchement passé de mode, ça m’étonnerait…), en attendant Foreword fait bien son office de disque de Rock/Metal progressif polonais, et je ne souhaite au groupe que de devenir à terme aussi populaire que Riverside dans un style plus moderne et aérien et (un peu) plus metallisé. Mais Foreword est un album réservé à ceux qui sauront l’apprécier à sa vraie valeur…
Tracklist de Foreword :
1. Stay (4:43)
2. Surrender (5:21)
3. Bubbles (3:53)
4. Tomorrow (3:55)
5. Tether (3:41)
6. Sleeping Ivy (6:51)
7. Does It Matter How Far? (9:18)
8. Foreword (1:31)
9. Neon (3:32)
10. Gabriel (4:46)
11. Kites (4:38)