"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Allons droit au but : oui, Aborym ne fait désormais plus de Black-Indus, tout le monde a pu le constater lors de la sortie des premiers extraits de Shifting.Negative, 7ème album du groupe italien. Pourquoi ? L’envie des musiciens d’évoluer, de changer, tout simplement. L’envie en particulier de Fabban « Malfeitor », qui a d’ailleurs procédé à un remaniement total du line-up d’Aborym dont il semble être désormais le seul et unique maître. Exit Paolo « Hell:I0:Kabbalus » Pieri (Hour Of Penance) et Bård « Faust » Eithun (ex-Emperor), welcome une sacrée équipe, avec notamment Davide Tiso (ex-Ephel Duath) ainsi que Narchost (Malfeitor avec… Malfeitor), Danilo Valentini (ex-Adimiron) et le claviériste Trismegisto pour d’ailleurs un line-up 100% italien. S’ajoutent à ça quelques invités remarquables, dont Sin Quirin (Ministry), Victor Love (Dope Stars Inc.), Cain Cressall (The Amenta), N-Ikonoklast (ex-Ensoph) ou encore Ricktor Ravensbrück (The Electric Hellfire Club, Wolfpack 44). Tout ça pour quelque chose qui s’éloigne sensiblement du Black-Indus que Aborym pratiquait depuis ses débuts, genre dont il était d’ailleurs une des références absolues. Pourquoi donc changer alors que le groupe restait sur un excellent Dirty (2013) et qu’il faisait un sans-faute depuis Generator (2006)… voire même depuis ses débuts avec Kali Yuga Bizarre en 1999 (bon, Fire Walk With Us! (2001) a un peu mal vieilli et With No Human Intervention (2003) ne faisait pas l’unanimité) ? C’est un peu dommage dans l’absolu, Dirty se bonifie avec le temps et comportait quand même de sacrées tueries comme "Across the Universe" et "Helter Skelter Youth", et Psychogrotesque (2010) avait prouvé que Aborym savait se renouveler et expérimenter sur sa base Black-Indus. Mais bon voilà, il a décidé de passer à autre chose. Et advienne que pourra.
La reprise de "Hurt" de Nine Inch Nails qui figurait sur l’édition double de Dirty permettait déjà se donner une sorte d’idée de ce qui allait venir, enfin surtout en termes d’influences. La rupture, elle, est franche, vu que le Black-Indus ici il y en a approximativement 0%, quasiment rien ne permet de lier Shifting.Negative au passé d’Aborym, si ce n’est quelques petites traces de violence riffique ici et là. Bien évidemment, le chant Black bien glauque a lui aussi disparu, laissant place à ce qui avait pu être entrevu à certains moments de Dirty comme "Across the Universe". Bref, Aborym a troqué son Black-Indus contre, plus simplement, du véritable Metal Indus, proche de l’école américaine voire en plein dedans. Exit Mysticum, les nouvelles influences d’Aborym se nomment Nine Inch Nails et Ministry, voire Marilyn Manson et Rob Zombie, bref tout ce qui se fait outre-Atlantique. Et encore, Aborym a aussi choisi de remonter dans le passé pour un Metal Indus presque old-school, qui sonne comme ce que faisaient les influences susnommées au début des années 90. Le groupe italien y ajoute pas mal de touches électro mais en termes de riffs, de chant et de production, on se retrouve en plein dans un album de Metal Indus ricain des nineties. D’ailleurs Shifting.Negative commence bien avec le très réussi "Unpleasantness". Les ambiances cybernétiques fonctionnent, les riffs sont simples mais efficaces, Fabban n’est peut-être pas un grand chanteur pour le style pratiqué mais fait le job de manière sincère et nous offre un excellent refrain, le cahier des charges du Metal Indus américain est respecté, Aborym a d’ores et déjà pondu un petit tube et on se dit qu’une fois fait le deuil du Black-Indus, ce Shifting.Negative pourrait le faire, pris pour ce qu’il est.
Passé l’étrange "Precarious", morceau très dépouillé curieusement choisi comme single, évoquant à certains égards Skinny Puppy voire du vieux Front Line Assembly plutôt que des formations etats-uniennes, Shifting.Negative se dévoile vraiment et hélas, le potentiel entrevu sur "Unpleasantness" s’étiole rapidement. C’est que Aborym est proche, trop proche de ses « nouvelles » influences, Ministry et Nine Inch Nails en tête. On le remarque dès "10050 Cielo Drive" qui sonne un peu comme un mix entre ce que font Al Jourgensen et Trent Reznor, même chose pour "Slipping Through the Cracks" qui se finit avec du chant clair Reznorien dont l’imitation est à la fois bluffante et un peu gênante. On trouve donc du Ministry et du Nine Inch Nails un peu partout, le premier encore sur "You Can’t Handle the Truth" (avec même des samples typiques) ou "Going New Places" et "Big H", le second sur "Tragedies for Sale" et un peu "For A Better Past" et "Going New Places", notamment. Et quand l’influence de Ministry/NIN ne plane pas, c’est celle de Marilyn Manson qui prend le relai, notamment pour le très rampant "Decadence in A Nutshell" (qui a aussi quelques fulgurances à la Ministry, également et encore), le glauque "For A Better Past" ou encore le final plus éthéré "Big H". Et ce qui est regrettable avec Shifting.Negative au-delà du fait que le groupe a abandonné le Black-Indus si efficace qui avait fait sa renommée, c’est qu’il a opté pour une musique sans aucune originalité qui ne fait que mêler diverses glorieuses influences, pour au bout un album de Metal Indus franchement convenu et sans panache.
Aborym a néanmoins gardé certaines de ses sciences, avec à la clé quelques très bons passages électro, notamment pour "Slipping Through the Cracks" ou encore "Going New Places" qui lui aussi évoque un Skinny Puppy. Mais le groupe n’a pas transformé l’essai de "Unpleasantness" et livre au bout un album de 47 minutes dont on fait vite le tour du moment qu’on connaît les influences. Faire un album de Metal Indus « old-school » est une bonne idée dans l’absolu, c’est même assez rare dans le milieu, mais honnêtement, je trouve que cet album manque d’intérêt. Sans aucune singularité, Aborym délivre ici un mélange voire un pastiche de Ministry, Nine Inch Nails et Marilyn Manson qui rentre par une oreille et ressort par l’autre. S’il a conservé son aspect sale et glauque, Aborym l’applique désormais à un style qui s’est justement distingué par ces aspects par le passé… Ce beau line-up, ces beaux invités, juste pour un album de Metal Indus très commun au bout, c’est léger. Saluons tout de même cette prise de risque, ce revirage assumé et sincère, pour un disque qui se laisse écouter mais ne restera pas dans les annales. On ne s’y serait certainement jamais intéressé s’il avait été délivré par un groupe inconnu plutôt que par Aborym. On peut y voir une sorte d’hommage à une scène et une période qui est un minimum réussi et cohérent, mais il semblerait bien qu’il s’agisse bien d’une nouvelle identité musicale pour Aborym, qui aurait finalement du changer de nom vu son remaniement total de line-up et son changement de style. Bien évidemment, le regret de l’abandon du Black-Indus joue beaucoup, surtout qu’après Generator, Psychogrotesque et Dirty, il semblerait que la formation italienne avait encore des choses à dire, mais le fait est aussi que Shifting.Negative est un album de Metal Indus américain 90’s sans grande saveur et trop classique. Plus dommage qu’autre chose. Il ne reste plus qu’à espérer une évolution vers quelque chose de plus personnel… ou un retour aux sources.
Tracklist de Shifting.Negative :
1. Unpleasantness (5:52)
2. Precarious (5:44)
3. Decadence in a Nutshell (3:58)
4. 10050 Cielo Drive (3:19)
5. Slipping Through the Cracks (4:15)
6. You Can't Handle the Truth (3:38)
7. For a Better Past (6:02)
8. Tragedies for Sale (4:32)
9. Going New Places (4:29)
10. Big H (5:21)