"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
L’an dernier, nous avons fêté un anniversaire particulier. Qui n’aura peut-être pas été fêté par grand monde mais il s’agissait de l’anniversaire d’un album remarquable en son temps. Il s’agit des 20 ans de Hybreed, le troisième album du groupe norvégien Red Harvest. Un groupe qui possède une importance particulière pour Damien, leader de Cold Dark Matter Records qui a d’ailleurs justement nommé son enseigne avec le nom du 4ème album de Red Harvest sorti en 2000. Groupe de chevet de Damien par ailleurs musicien pour HKY, ART 238 et Immemorial, devenu très proche des membres, et à qui il a choisi de rendre hommage. Pour fêter les 20 ans de cet album assez singulier, Cold Dark Matter Records nous l’avait réédité au format Cassette/K7/Tape (rayez les mentions inutiles selon votre degré de true-isme) en 2016. Un an plus tard nous voici avec entre les mains une version CD, qui va donc fêter les 20 21 ans de Hybreed avec quelques bonus, en plus d’une remasterisation prise en charge par Cyrille Gachet (Year Of No Light, The Great Old Ones). Troisième album de Red Harvest donc, qui n’a plus rien sorti depuis 10 ans mais avait splitté entre 2010 et 2015, et troisième album qui avait marqué un tournant ou plutôt une certaine originalité dans la carrière du plus célèbre groupe de Metal Indus norvégien.
Formé en 1989, Red Harvest avait enregistré deux démos avant de faire ses grands débuts en 1992 chez Black Mark Production à l’occasion de la sortie de Nomindsland, son premier full-length. Balbutiant, le groupe opérait dans une sorte de Thrash Metal, mais avait rapidement trouvé sa voie Metal Indus pour There’s Beauty In The Purity Of Sadness (1994), même si leur background Thrash restait présent. Un peu comme si Fear Factory s’était retrouvé au beau milieu de la scène norvégienne. Deux ans plus tard, débarquera Hybreed chez Voices Of Wonder. Et c’est là que beaucoup de choses vont changer. Hybreed restera d’ailleurs une sorte de « one shot », le groupe ayant clairement trouvé sa voie pour Cold Dark Matter en 2000, voie qui le suivra jusqu’à A Greater Darkness en 2007, voyant le groupe se moderniser et devenir de plus en plus solide au fil des sorties, avec pour ma part l’apogée se situant au sein de Internal Punishment Programs (2004). Mais en 1996, le son de Red Harvest était tout autre. L’ouverture sur "Maztürnation", morceau de Metal Indus classique et tranchant, restera pourtant typique de ce que Red Harvest a fait tout au long de sa carrière. Mais ensuite, les choses se compliquent. Il faut dire qu’à l’époque, le groupe avait choisi d’intégrer à son line-up (qui comptait aussi Cato Bekkevold d’Enslaved) de manière définitive le préposé aux samples et autres bidouillages électroniques Lars « LRZ » Sørensen, qui plus tard contribuera notamment à V:28, Zyklon et même Darkthrone et Jesu. LRZ est bien connu des amateurs de bizarreries norvégiennes tournant autour de l’Indus, et c’est là que Hybreed va se distinguer sérieusement du reste de la discographie de Red Harvest.
On remarque les différences dès "The Lone Walk", seconde piste de l’album qui dépasse déjà les 10 minutes (pour un album qui en fait tout de même 78 au bout). Et si Red Harvest s’est distingué dans le futur par son efficacité et son côté implacable, sur Hybreed il se distinguait par sa lourdeur mais aussi un côté plus apocalyptique que mécanique. Démarrant par de l’ambiant Indus aux accents légèrement orientaux (!), "The Lone Walk" oscille ensuite entre une sorte de Doom industriel avec du chant clair qui limite annonçait avant l’heure ce que CROWN allait faire sur Natron, et du Metal Indus à la Godflesh, saturation et chant crié à l’avenant. Parti d’un Thrash-Indus plutôt percutant, Red Harvest a donc considérablement ralenti et assombri son paysage, l’influence de Godflesh devenant évidente à certains moments de l’album ("After All", les rythmiques dures de "The Harder They Fall" notamment). Et « assombri », ce n’est pas non plus tout à fait vrai… car Hybreed va vite prendre une tournure plus éthérée, quasi atmosphérique, avec d’autres influences comme Killing Joke (également "After All" et "The Harder They Fall") et des compositions tout de même très mélodiques (l’épico-apocalyptique "On Sacred Ground", "The Harder They Fall", "Underwater" avec le chant très saturé pour contraster, au contraire de "Monumental" où l’on entend du chant clair). Red Harvest osera même partir dans l’ambiant le plus pur, avec notamment le fleuve "Ozhram" qui sonne comme les meilleures ambiances de V:28 avec même des samples à la fin que l’on retrouvera 11 ans plus tard pour introduire "Antidote" sur A Greater Darkness (de la même manière que l’on retrouve à la fin de "On Sacred Ground" des sonorités qui ouvriront "Fall of Fate" sur Internal Punishment Programs) ; ainsi que le très original "In Deep", œuvre d’ambiant tribal qui court sur plus de 12 minutes.
Même un morceau plus classique et direct comme "Mutant" dénote de par son riffing très expérimental. Et Red Harvest savait pourtant déjà être accrocheur et efficace, en témoigne surtout le final "The Burning Wheel" qui reste un de leurs morceaux les plus entraînants et remarquables. Mais avec Hybreed, le groupe norvégien était parti dans une direction franchement opposée à ce qu’il avait fait auparavant et ce qu’il fera après, seulement deux ans plus tard avec l’EP NewRage World Music d’ailleurs. Pourquoi Red Harvest n’a-t-il plus suivi cette voie très atmosphérique et expérimentale, allez savoir, on ne va pas vraiment le regretter vu les super albums de Metal Indus massifs qu’ils ont sorti ensuite, mais il restera intéressant de savoir ce que Red Harvest aurait pu faire sur ces bases éthérées et Godfleshiennes en passant le cap du nouveau millénaire. Album totalement à part, Hybreed en est même difficile à évaluer même 21 ans plus tard, il reste une œuvre totalement singulière et originale de Metal Indus européen. Si certes les combos influencés par Godflesh (je pense notamment à CROWN cité plus haut) ont su livrer des albums de vrai Doom industriel, Hybreed de par son aspect ambiant, éthéré et mélodico-apocalyptique, n’a pas vraiment trouvé de réel équivalent depuis, si ce n’est un V:28 qui a forcément été influencé par cette œuvre (parmi d’autres). Hybreed est donc un album du back-catalogue de Red Harvest à posséder, pourquoi pas aux côtés de la compil Anarchaos Divine : The Trinity Of The Soundtrack To The Apocalypse (regroupant Cold Dark Matter, Sick Transit Gloria Mundi (2002) et Internal Punishment Programs) et de A Greater Darkness qui doit encore se trouver pour pas cher chez son label d’origine Season Of Mist. Un album très particulier, en marge de la discographie de Red Harvest et de ce qui se faisait en Metal Indus à l’époque et même encore maintenant, qui mérite bien d’être remis en avant pour qui aime le Metal Indus différent, qui ose et qui joue subtilement avec les ambiances pour créer une autre vision du paysage sonore industriel.
Enfin, je dois bien évidemment parler de l’autre apport de cette réédition au format CD, puisque l’édition est double avec un bonus de taille, qui est la captation Live du concert de reformation du groupe donné au Blastfest en 2016. Red Harvest était une denrée plutôt rare en Live, bien que Season Of Mist avait sorti le DVD Harvest Bloody Harvest en 2006. La setlist proposée est d’ailleurs bien différente, Internal Punishment Programs est carrément totalement zappé (!) au profit de Cold Dark Matter (2 morceaux), Sick Transit Gloria Mundi (3 morceaux) et bien sûr A Greater Darkness (3 morceaux aussi) pour un concert de 38 minutes en tout. N’espérez rien de Hybreed, ce n’était pas le propos, et ce n’est pas ce qu’on imagine mieux passer en Live… Parce que le Red Harvest des années 2000 a tout de même de quoi déménager sur scène. Et cette captation le prouve avec de la lourdeur et du massif. Passé le bien percutant "Omnipotent", Red Harvest nous balance l’infernal duo d’entrée de A Greater Darkness qu’est "Antidote"-"Hole in Me" et l’auditoire est déjà bien écrasé. Si on a déjà entendu meilleur son (en même temps c’est une captation de festival), Red Harvest fait bien son office avec son Metal Indus si mécanique et implacable. Le groupe ne fait pas d’accroc et Ofu Khan est en grande forme. Même après 6 ans de split, la formation norvégienne répond toujours présent et signe un excellent retour sur scène, encore porté par le bien rampant "Godtech", le tranchant "Mouth of Madness" et le final bien mordant sur "Absolut Dunkel:Heit". Maintenant que le groupe est revenu après un split hautement regrettable mais qui n’aura pas duré bien longtemps, se pose la question de la suite, et A Greater Darkness remonte déjà à dix ans. Un EP serait tout d’abord prévu, et quoi qu’il en soit, Red Harvest semble être revenu en bonne forme, reste juste à savoir quelle sera son inspiration pour de nouvelles compos, et surtout dans quel style… Une vraie suite logique à A Greater Darkness ou, pourquoi pas, à Hybreed ? Laissons le groupe nous surprendre, encore…
Tracklist de Hybreed :
1. Maztürnation (3:13)
2. The Lone Walk (10:07)
3. Mutant (3:42)
4. After All (4:20)
5. Ozrham (9:44)
6. On Sacred Ground (9:34)
7. The Harder They Fall (4:07)
8. Underwater (8:33)
9. Monumental (6:22)
10. In Deep (12:27)
11. The Burning Wheel (5:54)
+ Live @ Blastfest 2016 :
1. Omnipotent (4:12)
2. Antidote (5:15)
3. Hole in Me (6:45)
4. Godtech (3:43)
5. Cybernaut (5:55)
6. Mouth of Madness (5:26)
7. Sick Transit Gloria Mundi (2:40)
8. Absolut Dunkel:Heit (4:16)