"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Être un one-man band n’est pas un frein à la productivité, bien au contraire, ça l’encourage fortement. Encore faut-il avoir des idées à revendre et ne pas juste pondre du Black ambiant/dépressif à tour de bras. Les exemples sont nombreux et je pourrai d’ailleurs citer Senmuth, le projet russe qui au sommet de sa carrière pouvait facilement sortir un album par mois dans des styles assez différents. Mené par l’Auvergnat Arsonist, Ars Moriendi n’est ni le one-man band le plus productif ni le plus varié du marché Metal, mais il n’en est pas moins remarquable. D’ailleurs Sepelitur Alleluia n’est, techniquement, que son 4ème full-length, en 8 ans (le premier, L’Oppression Du Rien, remontant à 2008). Mais c’est sans compter son début de carrière, où Arsonist a pondu 6 démos en 4 ans. Mais attention, ces démos avaient tout de même chacune une durée de full-length à part entière, un peu à l’image de Paysage D’Hiver finalement, qui n’a jamais sorti de véritable « album ». Avec L’Oppression Du Rien, Ars Moriendi a donc véritablement « lancé » sa carrière, depuis 2011 et l’excellent Du Tréfonds d’Un Être, le projet est d’ailleurs signé sur un label ukrainien, Archaic Sound. S’en sont suivis le split Agonie d’Un Ancien Monde avec Notre Amertume (où Arsonist officie en tant que vocaliste, accompagnant Ivo Iliev de Darkflight) en 2012, puis La Singulière Noirceur d’Un Astre (2014), 9ème 3ème album d’Ars Moriendi qui a deux ans plus tard un successeur, Sepelitur Alleluia. Arsonist a de l’inspiration et la ressource et va encore le montrer.
Ars Moriendi n’est pas un projet facile à aborder. Même les chroniqueurs de Black-Metal les plus pointus s’étaient un peu perdus dans L’Oppression Du Rien en son temps. Il faut cependant dire que cet album marquait un peu la transition entre la période des démos et ce que fait le projet depuis Du Tréfonds d’Un Être, même s’il jongle souvent entre différents matériaux datant de périodes de composition diverses (à l’image des morceaux plus noirs et rustres de Agonie d’Un Ancien Monde). Si le sobriquet de « Dark Metal » est parfois utilisé, Ars Moriendi navigue entre différentes eaux du Black-Metal, entre Black atmosphérique, Black ambiant, Black mélodique, Black progressif et même Black avant-gardiste. Le tout vient de l’esprit underground, même si la production s’est sensiblement améliorée depuis Du Tréfonds d’Un Être. Black-Metal aéré par de savants moments d’ambiance et très mélodique, la musique d’Ars Moriendi nous fait donc voyager, entre les forêts et le cosmos, avec tout de même de menus riffs râpeux, agressifs ou plus rampants, parce que c’est du Black Metal après tout. Le projet avait excellé avec Du Tréfonds d’Un Être, un album trop méconnu mais très enlevé et enivrant. La Singulière Noirceur d’Un Astre lui avait habilement succédé mais on sentait que le Black-Metal reprenait un peu le dessus sur les atmosphères. C’est dans cette lignée que Sepelitur Alleluia va poursuivre la carrière intéressante d’Ars Moriendi, mais le projet d’Arsonist ne renie jamais l’ensemble de ses composantes et de ses influences, mélodies et ambiances seront donc encore au rendez-vous pour un album de Black-Metal très aéré et lumineux malgré tout.
Le principal changement par rapport au passé récent d’Ars Moriendi réside en la présence d’un chant plus grim qu’à l’accoutumée (mais toujours à 100% en français). Le riffing, lui, suit aussi le mouvement plus rêche et rustre, si parfois Ars Moriendi s’éloignait du Black-Metal, il y revient ici en force, jusque dans la pochette d’album. Du coup les moments atmosphériques sont un peu moins variés que par le passé, et Sepelitur Alleluia sera finalement l’album le plus cohérent d’Ars Moriendi. Le plus accessible, peut-être, mais c’est encore autre chose… car il n’est toujours pas facile de se plonger dans l’univers du projet auvergnat, aux influences qui ne sont pas spécialement palpables et évidentes, ce qui est déjà un tour de force en soi. Les morceaux sont toujours longs (de 7 à plus de 18 minutes pour le final "Fléau Français") et il faut s’y retrouver, et même si la recette n’est pas compliquée entre riffs râpeux et profusion de mélodies et purs moments d’ambiance, de nombreuses écoutes ont été nécessaires pour bien saisir l’essence de Sepelitur Alleluia. Ce qui est sûr, c’est que Arsonist est toujours bien inspiré dans ses compositions, que ce soit dans les mélodies avec bon nombre de leads très épiques (sachant que le projet est tout autant inspiré par le Heavy/Prog que par le Black-Metal), ou dans les riffs plus durs qui font mouche très facilement (l’accélération canon de "Sepeliture" qui lance les hostilités, les plus crus "Ecce Homo" et "Je Vois des Morts" avec un chant à l’avenant, la première partie efficace de "À la Vermine", les rythmiques très inspirées tout du long de "Fléau Français").
Mais ce qui distingue toujours Ars Moriendi, outre les fantastiques moments mélodiques à la Nocte Obducta et consorts, ce sont les travaux sur les moments d’ambiances ou les passages plus atmosphériques. Il y a de nouveau de quoi faire même si l’on atteint pas à nouveau la classe de certaines fulgurances de Du Tréfonds d’Un Être, entre l’intro grégorienne de "Sepeliture" et son break cotonneux, les cuivres et les instrumentations acoustiques de "Ecce Homo", le génial passage central de "À la Vermine", les effets électro discrets de "Je Vois des Morts" ponctués par un beau final acoustique, et enfin le catalogue qu’est "Fléau Français" qui nous offre pléthore de moments raffinés, dont je ne vais pas faire l’énumération, juste mettre un point particulier sur les claviers. Un tel morceau de 18 minutes témoigne d’ailleurs de toute la richesse du propos d’Ars Moriendi, il est sûr qu’il faut suivre, mais le voyage proposé vaut le détour. Tout ceci reste une question de ressenti mais Sepelitur Alleluia est encore une fois un album globalement réussi de la part d’Arsonist. Reste quelques petits défauts comme ce son de batterie qui claque un peu ou encore, bien que ça reste subjectif, le chant à la fois plus classique et particulier que je trouve en-dessous de celui de Du Tréfonds d’Un Être et de La Singulière Noirceur d’Un Astre. Pour ma part, Du Tréfonds d’Un Être demeure intouchable, il est encore l’album le plus varié et le plus passionnant d’Ars Moriendi. Mais Arsonist reste très inspiré et réussit aisément à faire un peu mieux que La Singulière Noirceur d’Un Astre. Les connaisseurs se feront leur propre hiérarchie, les autres ne devraient pas hésiter à se pencher sur la discographie de ce projet méritant qui a d’indéniables qualités et une forte personnalité, quitte à rogner sur l’accessibilité. Ce one-man band de Black progressivo-mélodico-atmosphérique (et plus encore) fait du bon travail depuis un paquet d’années maintenant, et Sepelitur Alleluia est un nouvel effort réussi à l’image de sa richesse et de sa créativité, qui fait de Ars Moriendi un projet intéressant mais encore trop méconnu de la scène Black-Metal française.
Tracklist de Sepelitur Alleluia :
1. Sepeliture (11:41)
2. Ecce Homo (9:27)
3. À la Vermine (7:11)
4. Je Vois des Morts (6:51)
5. Fléau Français (18:20)