Ysengrin
Guido Saint Roch
Le Max de l'ombre. 29 ans. Rédacteur en chef de Horns Up (2015-2020) / Fondateur de Heavy / Thrash Nostalmania (2013)
Depuis 2008, Ysengrin s'est installé dans l'ombre de la scène française et continue à suivre sa voie en dépit des modes. Un projet qui mérite néanmoins d'être mis en lumière pour son talent, son originalité et son jusqu'au-boutisme conceptuel. J'ai donc pu m'entretenir avec son fondateur, Guido Saint Roch.
Nostalmaniac : Salut Guido, bienvenue sur Horns Up et merci d'avoir accepté cette interview ! Je suis avec attention ton projet depuis la première démo, T.R.I.A.D.E, en 2008. Depuis huit ans beaucoup de choses se sont passées alors on va y revenir chronologiquement. Dans quel état d'esprit as-tu fondé Ysengrin ? Avais-tu une idée précise de ce que tu voulais faire ?
Guido : Salut Max ! En 2005 j'avais la volonté de partir sur quelque chose de nouveau, en rupture avec les modes, les doctrines et les dogmes... J'étais un peu blasé de mauvaises collaborations du passé, d'où la naissance d'un projet solo. Ma volonté c'était de composer une musique principalement mid-tempo, aux riffs Thrash/Death, aux arpèges Black, avec une bonne dose de guitare acoustique et de clavier. Le tout chanté en français, avec un concept lié à la Mort et aux temps anciens.
Avais-tu d'autres projets auparavant ?
Guido : Oui, j'ai été actif dans différentes formations depuis 1998 grosso modo.
En 2011 sort le premier album d'Ysengrin, « Tragedies - Liber Hermetis », que tu as enregistré avec le batteur Aboth de Darkenhöld, mais aussi avec l'aide de Fureiss (ex-Celestia), Marco De Rosa (The True Endless, ex-Opera IX) et Kalevi Uibo (Chaos Echœs, ex-Bloody Sign). Quel regard portes-tu sur ce premier long format ?
Guido : J'ai porté beaucoup d'espérance en ce maudit album – tout comme Fureiss qui l'a produit d'ailleurs – et j'ai été très déçu du peu d'intérêt pour cet opus ! Ne parlons même pas de la magnifique version vinyle double LP dont les ventes sont totalement dérisoires...
Peut-être qu'un jour nous aurons le revers de la médaille et que cet album sera apprécié à sa juste valeur, car malgré tout ça j'en suis assez fier !
L'année suivante Ysengrin enchaîne avec un second album, « To Endotaton », chez I, Voidhanger Records. Aldébaran, autre membre de Darkenhöld intègre le projet comme guitariste et claviériste. Un album qui a pour particularité de contenir un seul morceau de quarante minutes. Ce qui est plutôt périlleux mais s'avère totalement réussi de mon point de vue. Quelle était votre démarche par rapport à « Tragedies - Liber Hermetis » ? Pourquoi ce choix d'un seul morceau ?
Guido : En fait si tu écoutes bien « Tragédies – liber hermetis », les dix pistes s'enchaînent, sans pause entre les morceaux. C'était mon choix d'évoquer une continuité, tel un voyage dans le temps et l'espace. Concernant « To Endotaton », il est clair qu'au vu du concept initiatique dans une cave, le morceau unique s'imposait naturellement. Il y a également un clin d'œil à l'album « Crimson » du groupe EDGE OF SANITY, un de mes albums de Death préféré. Le morceau unique, c'était un peu un challenge et il a été relevé avec brio !
Cependant, tu ne vas pas continuer avec Aldébaran. Que s'est t-il passé ?
Guido : J'ai voulu changer les bases, et avoir une rythmique avec des basses exclusivement. D'ailleurs, il y a deux morceaux inédits qui ont été enregistrés avec le line-up de « To Endotaton », pour un énorme projet (au vu du concept et des groupes dessus), mais ce projet traîne depuis longtemps et je pense pour encore plusieurs mois voire plus...
Bref, tout ça ne m'empêche pas d'apprécier DARKENHOLD et son Black mélodique et nostalgique, tout droit sorti du milieu des années 90' !
Comment le musicien allemand Inkantator Koura (Mosaic, ex-Alchemyst) a t-il rejoint le projet ? C'est une collaboration à long terme ?
Guido : J'ai connu Koura par le biais de Luciano du label I,VOIDHANGER qui m'a fait découvrir ALCHEMYST (son ancien groupe) et j'ai tout de suite littéralement accroché à ce putain de Death/Black ! J'ai eu l'occasion de le rencontrer en 2013, lors de leur tournée avec TRIBULATION, VENENUM et KETZER, pour leur date sur Paris. J'ai d'ailleurs fait un guest au chant pour eux sur scène, sur l'excellent morceau « Okkvltista ». De sacrés souvenirs !!!
Oui, la collaboration est jusqu'à la fin du groupe, à moins que quelque chose ne se passe entre-temps...
Comment se passe votre collaboration malgré la distance ? Comment participe t-il au processus de composition ?
Guido : Ce n'est pas facile, c'est le moins que l'on puisse dire ! Je compose majoritairement et il y ajoute ses ingrédients, pour un résultat carrément excellent, notamment sur le split avec SARTEGOS comme tu as pu l'entendre, n'est-ce pas ?!
En effet ! Il a donc participé aux deux premiers split d'une série de quatre (celui avec les Chiliens de Black Grail et celui avec le projet espagnol Sartegos récemment paru que j'ai pu chroniquer). Quatre comme les phases du "grand œuvre" alchimique. L'alchimie, en plus du mysticisme, est un thème récurrent chez Ysengrin, depuis quand tu t'y intéresses ? Comment cela t'inspire concrètement ?
Guido : Je m'intéressais aux religions d'un point de vue plus classique et esotérique, puis suivant un cheminement personnel, l'hermétisme s'est naturellement imposé. Comme Mircea Eliade l'écrivait très justement, « c'est dans l'expérience du sacré, dans la rencontre avec une réalité trans-humaine, que prend naissance l'idée que quelque chose existe réellement, qu'il existe des valeurs absolues, susceptibles de guider l'homme et de conférer une signification à l'existence humaine. »
Par conséquent, la plupart de mes compos sont réfléchies des mois voire des années, tant au niveau conceptuel, que dans l'écriture, le titre, ainsi que l'emplacement sur l'opus (j'apporte en effet de l'importance à l'arithmancie).
Il est difficile de classifier vraiment Ysengrin musicalement parlant. Ni vraiment Black, ni vraiment Doom, ni vraiment Death. Un peu comme les premiers albums de Varathron, Rotting Christ ou encore Samael. Comprends-tu la comparaison ? Ces groupes font-ils partie de tes influences ?
Guido : En deux mots : Dark Metal. Et oui, je comprends parfaitement la comparaison ! Ce sont des groupes que j'apprécie beaucoup (principalement leurs vieux albums), mais j'irai plus chercher du côté de groupes tels que MORTUARY DRAPE, NEGATIVE PLANE, NECROS CHRISTOS, MYSTIFIER, ABIGOR, NECROMANTIA, voir même les vieux KATATONIA, MEGADETH, BLACK SABBATH, SEPULTURA ainsi que KING DIAMOND/MERCYFUL FATE comme groupes qui m'inspirent véritablement ! Comme tu peux le constater, je ne me limite pas à un style dans mon écoute, et ça se ressent forcément dans ma musique.
Alors, puisque je pense que la plupart de tes lecteurs sont francophones, je souhaite te parler d'un groupe français que les plus jeunes ne doivent pas connaître : FORBIDDEN SITE. J'ai eu la chance de les voir en concert à Paris pour la tournée du second album, avant que le groupe ne soit enterré pour de bon.
Leurs deux albums sont des pièces majestueuses et uniques, dans un style Dark Metal, par-delà les normes, avec un sérieux concept et de superbes paroles. J'ose espérer qu'un jour un label s'occupera de rééditer les deux albums afin de (re)faire découvrir cet excellent groupe (et aussi car je n'ai plus la tape du premier album argh...)
Quelle importance donnes-tu à l'aspect visuel ? N'est-ce pas difficile de se défaire de certains clichés avec des thèmes comme l'ésotérisme/le mysticisme ?
Guido : Le visuel est indissociable de la musique et des textes : c'est un tout ! C'est un pan de ma musique qui demande également beaucoup d'investissement... Je fais parti d'une génération qui découvrait/écoutait la musique avec le cd, la cassette ou le vinyl dans les mains, en regardant le visuel, le logo etc... pas sur un ordinateur, virtuellement ! Je ne peux donc pas imaginer une autre façon de faire pour mon propre groupe.
Ouais, en parlant de clichés, j'ai l'impression que l'on voit de plus en plus de pochettes pseudo-symboliques, ça en devient fatiguant. En même temps, les boucs ont tellement pollué les pochettes pendant des années, les modes changent ! Certes, il y a un bouc sur la pochette de notre premier album, mais ceux qui ont lu mes interviews ou plus simplement ont eu le livret dans leurs mains savent pourquoi il est sur la pochette !
De toute manière, on sent en général la sincérité du groupe qui utilise ces thèmes, par le biais de la musique qui doit complètement transpirer le concept !
« Il est grand temps de montrer qu'il y a dans la religion autre chose qu'une affaire de dévotion sentimentale, autre chose aussi que des préceptes moraux ou des consolations à l'usage des esprits affaiblis par la souffrance... » Ces mots de René Guénon résument tout ça parfaitement.
Il y a des artistes graphistes ou peintres avec qui tu aimerais collaborer ? L’Italien Paolo Girardi est très demandé, ses travaux te parlent ?
Guido : Des artistes comme Forkas, Ketola, Corcuera, Herrerias ou encore Caruso m'interpellent énormément ! Concernant Girardi, j'ai été impressionné au départ par son travail, mais je trouve qu'il a tendance à tourner sérieusement en rond...
Vindsval de Blut aus Nord disait dans une interview en 2006 à nos collègues de Metalorgie : « les groupes Français ont longtemps fait un complexe d’infériorité, béats d’admiration devant leurs idoles, copiant, reproduisant, imitant. Heureusement les choses changent depuis quelques temps et quelques formations possédant une réelle personnalité parviennent enfin à se faire un nom à l’étranger ». En 2016, tu partages son opinion ?
Guido : Humm, j'ai toujours l'impression que les groupes français ne sont pas spécialement bien vus à l'étranger ! Bon, mis à part quelques exceptions comme B.A.N. justement, DEATHSPELL OMEGA, PESTE NOIRE, DIAPSIQUIR, ANTAEUS, tout ce qui gravite autour des Légions Noires, et quelques autres trucs, j'ai toujours le sentiment qu'ils nous prennent juste pour des bouffeurs de grenouilles ah ah !!! Bon ok j'ai légèrement caricaturé... Enfin je te dis ça, mais je crois bien que mon groupe a plus de « fans » à l'étranger qu'en France, comme quoi ! En réalité, il me semble que le gros problème des groupes français, c'est qu'ils se tirent tout le temps dans les pattes !
En 2014 tu évoquais la possibilité de jouer en live avec Ysengrin. Ce projet a t-il avancé depuis ? As-tu eu l’occasion de répéter avec d'autres musiciens ?
Guido : Tu as raison, mais ça me paraît définitivement compromis dans la mesure où n'avons ni le line-up adapté, ni le temps afin de proposer quelque chose de parfait scéniquement parlant !
Sinon, quand vont sortir les prochains split ? Quels sont tes projets à venir ?
Guido : Nous devons terminer l'enregistrement du split avec STARGAZER au Printemps, donc je pense qu'il ne sortira pas avant l'Automne prochain. Le dernier split avec INCONCESSUS LUX LUCIS, lui, sortira un an après.
Par ailleurs, nous avons commencé à bosser pour le troisième et dernier album, mais nous allons prendre notre temps afin d'en faire un testament mémorable !
Un dernier album ? Tu ne comptes pas continuer avec Ysengrin ?
Guido : Oui, je préfère arrêter au zénith. Quand tout est dit, ça ne sert à rien de continuer. En effet, une fois l'Œuvre accomplie, la Guilde pourra se dissoudre, et laisser la Malebeste dans sa plénitude.
On arrive à la fin de l’année 2016, est-ce qu'il y a des albums qui t’ont marqué en bien ou en mal cette année ?
Guido : Vu la quantité de sorties (merdiques), ça n'est pas facile de trouver les perles rares ! Je vais te citer uniquement des choses que j'ai appréciées (liste non exhaustive et sans ordre particulier) :
Alors en Black Metal : PANPHAGE « Drengskarpr », le dernier BLACK FUNERAL (bien meilleur que les vieux albums je trouve), le dernier A.M.S.G., ABIGOR « Kingdom of Darkness » EP, NECROMANTIC WORSHIP (R.I.P...) mais aussi les albums de PRIMEVAL MASS, NOX FORMULAE, URFAUST, CULTES DES GHOULES, et enfin la meilleure démo/EP de l'année d'un nouveau groupe américain : OLKOTH.
En Death Metal : Le dernier CADAVERIC FUMES, probablement l'un des meilleurs groupes de Death français que je suis depuis leur démo ! Le nouveau REVEAL (bon ok, ça n'est plus vraiment du Death mais c'est tellement bon !), sinon les albums de CHTHE'ILIST, INVERLOCH, HOWLS OF EBB, VOID MEDITATION CULT, VANHELGD, BLOOD INCANTATION, KRYPTS... ainsi que le MLP de TEMPLE BELOW.
En groupes disons hybrides, je peux te citer l'album de DOOMENTOR et un peu dans le même registre celui de ASPHODELUS, le second album de HEAD OF THE DEMON, OLDD WVRMS « Ignobilis », le récent EP de ZEMIAL, et enfin le fameux DIAPSIQUIR !
Avis aux amateurs d'ambiant rustique si je puis dire, je recommande chaudement les tapes de WAGNER ODEGARD (c'est le gars de WULKANAZ).
Voilà, j'espère que tu auras apprécié cet entretien et je te laisse le mot de la fin...
Guido : Merci à toi pour l'interview ainsi que ton soutien Max.
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Propos recueillis par Max Nostalmaniac les 3 et 4 décembre 2016.
En savoir plus sur Ysengrin : https://www.facebook.com/ysengrin.official/