Du War Black Atmosphérique ? C'est possible
Décidément, le Black Metal français se porte bien ces derniers temps ! Entre l'annonce d'un nouveau Deathspell Omega, les bonnes sorties de Vindland, Belenos, Sviatibor, et j'en passe, il n'y a vraiment pas de quoi se plaindre. Après, ce sont des groupes ayant déjà plus ou moins fait leurs preuves, donc pas de quoi s'en étonner outre mesure non plus.
Aujourd'hui, je veux plutôt vous parler d'un truc semblant sortir de nulle part : Pénitence Onirique. Sorti chez Les Acteurs de l'Ombre Productions (LADLO) en septembre dernier, V.I.T.R.I.O.L est le premier album du duo Français supposément de Chartres. « Supposément », car comme pas mal de projets ces derniers temps, les musiciens aiment développer le culte du secret quant à leur identité. Ainsi, le groupe se revendique d'Autricum, cité gauloise des Carnutes à l'époque de l'empire romain, actuelle Chartes. Les musiciens se donnent d'ailleurs les pseudos de Bellovesos et Diviciacos, le premier étant un personnage légendaire meneur d'une troupe gauloise au VIe siècle avant J.C., et le second étant le seul druide de l'antiquité dont l'existence ait été avérée.
On nage donc ici en pleine antiquité sur fond de mysticisme, d'alchimie, l'album proposant à travers les thématiques de ses morceaux des réflexions sur la mort d'un point de vue emprunt de ces pratiques occultes. Les références à l'alchimie sont donc nombreuses à travers les titres et les paroles des morceaux : Le Soufre et Le Sel font directement référence à deux des éléments fondamentaux, tels que décrits au XVIe siècle :
« Parmi toutes les substances, il en est trois qui donnent à chaque chose leur corps, c'est-à-dire que tout corps consiste en trois choses. Les noms de celles-ci sont : Soufre, Mercure, Sel. Si ces trois choses sont réunies, alors elles forment un corps (...). La vision des choses intérieures, qui est le secret, appartient aux médecins. (...) Prenez l'exemple du bois. Celui-ci est un corps par lui-même. Brûlez-le. Ce qui brûlera, c'est le Soufre ; ce qui s'exhale en fumée, c'est le Mercure ; ce qui reste en cendres, c'est le Sel. (...) Ce qui brûle, c'est le Soufre ; celui-là [le Mercure] se sublime, parce qu'il est volatil ; la troisième Substance [le Sel] sert à constituer tout corps. » |
Le vitriol, donnant son titre à l'album, est l'autre nom de l'acide sulfurique, aussi appelé « émeraude des sages » ou « Lion vert », dont on retrouve des références dans d'autres titres de l'album comme L'Âme sur les Pavés. Ce dernier morceau traite d'ailleurs du mythe de la pierre philosophale et du don d'immortalité qu'elle prodigue, complété plus tard dans l'album par le morceau éponyme, V.I.T.R.I.O.L (Visita Interiora Terrae Rectificandoque Invenies Occultum Lapidem, qui peut se traduire par Visite l'Intérieur de la Terre, et en Rectifiant tu Trouveras la Pierre Cachée), où référence est faite aux limbes où se trouve le « joyau mystique ».
Le groupe pousse les références à l'alchimie jusqu'aux photos de promo, où les musiciens apparaissent en tenues occultes, à la manière du personnage de l'alchimiste dans le film Vidocq. La cover de l'album, quant à elle, se veut plus introspective, représentant un « simple » portail, placé au milieu d'un paysage mélancolique, et faisant écho aux réflexions du projet quant à la mort et sa dimension ésotérique.
Si l'univers du duo est particulièrement travaillé, leur musique l'est aussi. Souvent décrit comme un projet Black Atmo, il me paraîtrait dommage de résumer Pénitence Onirique à cette simple étiquette. Certes, on retrouve ces plans inspirants, lents, répétitifs et néanmoins entêtants sur fond de double pédale et de blast, assez caractéristiques du style, mais aussi des plans proches de certains morceaux de Cult of Fire, comme par exemple le riff de fin du morceau titre.
Toutefois, je pense que la comparaison s'arrête là. L'Âme sur les Pavés pose l'ambiance dès les premières notes, par un riff extrêmement puissant, rappelant distinctement l'ouverture de In the Nightside Eclipse d'Emperor. Le mixage de l'album, donnant aux leads guitare un aspect un peu « noyé », contribue d'une part à l'univers ésotérique du projet, mais n'est pas non plus sans rappeler un certain groupe de Black Metal norvégien des années 90.
L'album ne contenant que cinq morceaux pour près de cinquante minutes de musique, on pourrait s'attendre à une certaine lassitude, mais ce n'est pas le cas. Les compos sont variées et offrent vraiment des atmosphères différentes, bien que conservant en trame principale cet aspect mélancolique et entêtant, à la manière d'un Dol Guldur de Summoning, mais plus violent et sombre.
Outre la claque assénée d'entrée par L'Âme sur les Pavés, le point d'orgue de l'album est pour moi V.I.T.R.I.O.L. Le morceau est vraiment bien ficelé : une intro aux relents de Black 90s, qui se transforme avec une continuité parfaite en une suite de riffs lourds sur tapis de double, auxquels vient se greffer la voix criarde, néanmoins parfaitement maîtrisée, de Diviciacos. La disparition de la batterie en milieu de morceau annonce un profond changement, et V.I.T.R.I.O.L prend ensuite une dimension plus épique et entêtante, alors que le personnage décrit par les paroles plonge son âme dans l'émeraude des sages.
En conclusion, si j'ouvrais cette chronique en parlant d'un groupe qui sort de nulle part, je pense que ça ne peut pas être le cas. L'univers de Pénitence Onirique est vraiment fouillé et assez unique en son genre, la musique est originale, adapté à la thématique tout en rappelant les premiers Emperor, les changements de riffs correspondent à l'évolution des paroles, virant à l'épique quand le personnage s'abandonne à l'alchimie ou à la mort, et le son est extrêmement propre. Clairement, il y a de l'expérience derrière tout ça, et j'ai bien hâte de pouvoir découvrir le projet en live, car il semble que c'est en cours de préparation [1] !
Tracklist
1 – L'Âme sur les Pavés
2 – Le Soufre
3 – Le Sel
4 – V.I.T.R.I.O.L
5 – Carapace de Fantasme Vide
Références
[1] Interview de Bellovesos sur Guitariste Metal.