"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Mantra, groupe rennais existant depuis 2009, c’est la bonne trouvaille du label breton Finisterian Dead End qui nous a souvent déniché des choses plus velues ou terre-à-terre (Breakdust, Malkavian, Sound Of Memories, Ellipse, War Inside…). Car plutôt que de rester sur la terre, Mantra s’élève. A l’image de Ixion qui rêvait d’étoiles ? Dans un autre registre, Mantra a choisi la méditation, comme son nom l’indique un peu d’ailleurs. Laniakea, ce n’est pas le mot de passe de leur wi-fi, mais les Rennais ne sont pas des sauvages non plus. Laniakea succède à leur premier effort Into The Light, remontant à 2013, qui lui-même fut précédé de deux démos et d’un EP. Mantra a pris son temps et s’est bien exercé pour façonner son art, Into The Light montrait d’ailleurs que la formation était en pleine progression, et si elle n’était pas encore en pleine possession de ses moyens pour la forme, le fond était déjà très riche. Difficile à classer si ce n’est par le sobriquet fourre-tout de « Metal progressif », Mantra pioche dans un nombre conséquent d’influences pour livrer un Metal à la fois dur et atmosphérique, à la fois groovy et aérien, à la fois Death/Thrash/Sludge (vaguement l’un ou l’autre et tout à la fois) et psychédélique, surtout mélodique et tribal, tribal comme mis en avant dans le nom de leur petite structure et de leur démo de 2010, « Tribal Warming ». Si Tool, Gojira et Mastodon étaient mis en avant pour situer leur premier album, un peu à tort peut-être, avec Laniakea, on est presque en plein dedans, mais pas seulement. Ajoutez encore The Ocean et Hacride, cités par la promo (auxquels je vais rajouter Klone, celui de All Seeing Eye à peu-près), pour tenter de raccrocher Mantra à des choses existantes et vous aurez peut-être une petite idée de l’art des Rennais. Mais le mieux reste d’écouter et de découvrir par soi-même. L’ouverture d’esprit, des chakras, et des esgourdes metalleuses pour les gros riffs.
Trois ans ont donc passé depuis Into The Light et Mantra les a vraiment utilisés à bon escient. C’est bien simple, Laniakea gomme directement ce qui était pour moi les trois principaux défauts du premier opus de la formation : la production, le chant, et l’arrangement entre les moments Metal et ceux plus feutrés, les deux principales composantes de la musique du groupe qui étaient trop cloisonnées. Pierre a fait de splendides progrès vocaux et est désormais capable de nous proposer des vocaux « Metal » bien rocailleux tout autant que divers styles de voix claires (avec des invités en support également), touchantes et maîtrisées. Le son, capté au Brown Bear Studio, est parfaitement clair et limpide que ça soit pour le touché metallique ou celui plus acoustique, composante importante de l’art de Mantra. Et enfin, le groupe a trouvé son équilibre pour nous livrer un Metal à la fois rugueux et aéré totalement cohérent, les transitions sont aussi limpides que le son, passages gras et rythmés s’alternant désormais très bien avec les moments plus atmosphériques. Au milieu de tout ça, Mantra a trouvé son style. Certes plus classique et finalement moins « expérimental » que pour Into The Light, qui était surtout un galop d’essai avec le recul. Laniakea est donc un album plus facile d’accès que son prédécesseur, mais la richesse reste au rendez-vous. Car dans ce Metal atmo-progressif qui emprunte tout autant à la douceur psychédélique de Tool qu’au Stoner/Sludge enlevé de Mastodon, se trouvent bon nombre d’aspérités et de petites trouvailles qui apportent de l’originalité à l’ensemble, incursions tribales comme moments plus « ethniques » dans l’esprit. Un esprit qui demeure toujours très méditatif, la marque de fabrique de Mantra finalement.
66 minutes très calmes (tout est relatif) nous attendent, Mantra fait d’ailleurs son office dans des morceaux longs, si l’on excepte l’intro "Dust" (très ambiante pour nous mettre dans l’ambiance) et l’interlude "Faces", les 8 morceaux restant allongent entre 5 et presque 13 minutes pour le final "Dead Sun" (qui certes se clôture dans une longue outro tribale). Mais attention, Mantra reste une formation de Metal, et même s’il est vrai que nous sommes souvent à la frontière du Heavy Rock dans les riffs ("Inner Cycle", "Pareidolia") avec même des accents Stoner ("Inner Cycle", "Laniakea"), des moments rythmés, gras et groovy, abrasifs grâce à la prod (jusqu’au sein des morceaux les plus calmes comme "Pareidolia") sont présents en masse et donnent aussi l’occasion à Pierre de s’égosiller. Des morceaux comme "Marcasite", le très Gojiresque "Visions in the Cave", "Abred" et ses très bons riffs, ou même des passages bien croustillants de "Inner Cycle" et "Laniakea" ne laissent aucun doute quant à l’identité metallique de Mantra. Mais pour le reste, le groupe rennais a bien choisi l’introspection dans de nombreux moments très feutrés et atmosphériques, portés par les instrumentations acoustiques et le chant clair. Si "Marcasite" se distingue d’entrée par ses envolées mélodiques, "Inner Cycle" achève déjà de confirmer les progrès de Mantra, ce morceau de 7 minutes est un bijou, mélodique et doux, porté par de magnifiques chants clairs (avec l’intervention magistrale de Bertrand de Grorr) mais aussi des moments plus groovy tout à fait excellents. Avec Laniakea, Mantra a facilement trouvé son équilibre, un morceau comme "Pareidolia" le montre bien, rugueux mais aérien, à leur manière finalement.
L’album semble tout de même majoritairement atmosphérique, surtout en sa deuxième partie. Un morceau comme "Visions in the Cave" offre des passages très aériens et des moments plus psychédéliques, tout comme le très doux "In the Wake of the Millions" à la frontière de certaines œuvres de Pink Floyd par moments. "Abred", avec son superbe chant clair, et le début de "Laniakea" ne sont pas en reste niveau ambiances enivrantes. Et bien sûr, on s’arrêtera également sur les petites injections de tribal qui font mouche ("Marcasite", "Visions in the Cave", "Laniakea") et font partie intégrante de la personnalité de Mantra, groupe qui a trouvé avec son deuxième full-length son plein équilibre, son yin-yang, à l’image du final "Dead Sun" parfaitement goupillé, avec un départ dynamique et une fin épique, tout Mantra est là-dedans. Très fluide dans sa globalité, Laniakea marque l’aboutissement d’une bonne partie de ce que Mantra avait entrepris avec Into The Light. Le groupe gagne tout de même en maîtrise ce qu’il perd en pure originalité. L’aspect psychédélique est moins présent, moins tordu que dans le précédent album, ce qui est une bonne ou une mauvaise chose. Si avec Into The Light le groupe semblait se diriger vers un style à la Alchemist (ou plutôt The Levitation Hex maintenant) en moins Killing Jokesque, avec Laniakea il choisit plutôt la voie d’un Tool avec des influs Mastodon et Gojira version très très atmo. Parfois trop proche des carcans groovy du « French Metal » (Hacride, Klone... donc) également, Mantra doit donc encore creuser sa voie, mais les progrès de fond et de forme sont évidents pour ne pas saluer un minimum ce bel album qu’est Laniakea. Une méditation mise en musique sous forme de Metal progressif groovy, voilà ce nous propose Laniakea, album certes classique mais envoûtant de Metal qui sait jouer avec des atmosphères feutrées pour que son auditeur puisse se poser et réfléchir en toute tranquillité d’esprit. Mais avec quelques riffs bien mordants quand même.
Tracklist de Laniakea :
1. Dust (1:53)
2. Marcasite (8:45)
3. Inner Cycle (7:00)
4. Pareidolia (5:16)
5. Faces (1:38)
6. Visions in the Cave (8:12)
7. Abred (8:09)
8. In the Wake of the Millions (4:58)
9. Laniakea (7:20)
10. Dead Sun (12:51)