Live reporter et chroniqueur occasionnel dans divers genres (principalement extrême).
De tous les styles musicaux que le mouvement Punk ait enfanté, il en est un que j'affectionne tout particulièrement : le Crust. Après les bombes atomiques Discharge et Amebix larguées sur l'Angleterre à la fin des années 70, l'explosion du Crust Punk atteint déjà plusieurs autres contrées européennes. Parmi elles : la Scandinavie. Dès le tout début des années 80, la scène nordique regorge d'une multitude de formations Hardcore Punk empruntant les sombres tranchées maculées de D-beat tracées par leurs confrères britanniques. On utilise alors pour eux l'appellation « kängpunk » (puis plus tard « scandicrust », mais je me garderai d'utiliser cette expression tant celle-ci m'évoque plus une quelconque application smartphone qu'un véritable genre musical...). Avec comme figure de proue les incroyables Anti-Cimex, la vague Crust / Hardcore Punk suédoise se démarque rapidement du lot. Dès le milieu des 80's, elle compte en ses rangs une pléthore de groupes de renom comme Mob 47, Crude SS, Avskum ou Shitlickers. C'est donc au beau milieu de cette scène en plein essor que se forme l'entité Bombanfall.
Juste une petite précision avant d'entrer dans le vif du sujet : je n'ai pas pu mettre la main sur une copie physique. D'habitude je chronique uniquement les sorties que je possède en dur, mais celle-ci n'ayant jamais été rééditée (et vu le prix exorbitant de l'objet original), je crains de devoir me contenter des versions virtuelles, du moins pour l'instant... Mais revenons à nos moutons ! Cet unique EP de Bombanfall intitulé Åsiktsfrihet paraît donc en 1987 sous la forme d'un vinyle 7''. Enregistré aux studios Bee Three Bee et autoproduit par le groupe, ce disque est pressé à environ 500 exemplaires seulement. Pour la petite anecdote, les Suédois décident la même année de changer de nom pour Two Moon's Rising (nom du chef indien ayant combattu le colonel Custer lors de la fameuse bataille de Little Big Horn en 1876). Malheureusement, leur disque est déjà en cours de fabrication avec leur patronyme original. Le groupe se voit donc contraint d'apposer des stickers « Two Moon's Rising » au dos de certaines copies pour éviter la confusion. D'autre part, un insert rouge avec les paroles de chaque titre est également ajouté dans certains exemplaires du disque.
Et les textes sont justement un des aspects intéressants du combo. Ceux-ci sont exclusivement rédigés dans la langue natale du groupe : le suédois. Et cet idiome, tout comme l'allemand ou l'espagnol, a la particularité de sonner beaucoup plus cru que l'anglais au niveau de la prononciation. Ce qui, couplé à la reverb' et au timbre du chanteur, rend le tout extrêmement agressif. En effet, la principale singularité de Bombanfall est le timbre vocal de Pettersson. Tout simplement les vocaux les plus monstrueux que j'aie pu entendre dans un groupe de Punk. On est plus proche des grognements de Extreme Noise Terror que des growls ou grunts du Metal extrême, mais le registre est tout de même incroyablement grave et caverneux. Exempts de toute technique vocale ou respiratoire, les hurlements de Pettersson conservent toute l'urgence et l'authenticité du Hardcore Punk. Leur délicieux coté écorché est fortement perceptible sur les refrains de Iskallt Regn ou lors de l'effroyable cri d'intro de Ögon I Mörkret. Abordant des sujets comme la liberté, la guerre ou l'avenir avec un fort degré de pessimisme et parfois une certaine ironie (Hälsning från Helvetet), les paroles de Bombanfall restent foncièrement ancrées dans les thématiques Crust Punk de l'époque. Certains textes sont très crus et frappants (Ögon I Mörkret), d'autres plus abstraits et métaphoriques (Aforismer), mais la noirceur des propos est présente du début à la fin.
Mis à part cette particularité vocale qui fait en grande partie le charme de Bombanfall, les compositions sont également très solides. Comportant toujours une dominante D-beat diablement efficace, le combo suédois sait également jouer avec la tension à l'aide d'intros pesantes (titre éponyme) ou plus épiques et martiales (Aforismer, Iskallt Regn). Tout comme pour les nombreux breaks – pour la plupart courts et intenses – la relance du tempo n'en est que plus puissante encore. On est cependant loin de l'urgence à toute épreuve des débuts du Crust suédois. Le tempo est bien moins élevé et l'accent est plutôt mis sur la lourdeur (autant niveau production que composition). Le batteur maintient tout de même une cadence soutenue lors de certains passages D-beat avec en plus un jeu de cymbales très marqué qui apporte un écho tout particulier aux compos (en plus d'autres éléments assez réverbérés). Bien qu'ils aient presque tous la même structure, aucun titre n'est en dessous d'un autre. Et mis à part la rengaine très Punk de Mot En Strålande Framtid clôturant l'EP, la musique du groupe renferme toute la noirceur du Crust. On regrettera juste un léger manque de folie de la part du combo scandinave. Un son un poil plus cradingue, certains passages moins classiques et surtout quelques soli auraient, j'en suis sûr, amélioré la qualité du disque.
Sans révolutionner le sous-genre – dont les racines sont déjà bien profondes en Suède à la fin des années 80 – ce 7'' de Bombanfall fait tout de même figure de petite perle de la scène. À la fois émancipé du Hardcore effréné et basique des Asocial et consorts, les Suédois se démarquent également de la vague Trallpunk nationale et son riffing mélodique qui influencera nombre de combos scandinaves par la suite. Bombanfall s'inscrit donc dans cette mouvance D-beat ''classique'', déjà bien établie en cette fin de décennie, avec un unique EP certes traditionnel mais possédant tout de même sa petite aura. Bien qu'il ne soit pas aussi violent qu'un Raped Ass ou qu'un Who'll Survive, la lourdeur des compos couplée aux monstrueux vocaux de Pettersson font de Åsiktsfrihet une sortie Hardcore / CrustPunk notable de cette année 1987. Le groupe n'enregistrera d'ailleurs jamais plus rien par la suite, même sous son nouveau patronyme. La seule offre des prestigieux Off the Disk Records (Siege, Infest) sera en effet un peu trop chère pour le combo suédois. Mais le coté ''one shot'' de cette sortie, couplé à son énigmatique artwork affichant le fameux Penseur de Rodin, lui confèrent une singularité supplémentaire. Disponible sur deux compilations bootlegs suédoises (Hard Core Elitserien Vol. 1 en LP et All Hope Lost... Swedish Hardcore 1982 – 1993 en tape), cet EP de Bombanfall ne sera donc jamais édité par un label et s'arrache aujourd'hui à prix d'or sur le net. Une petite pépite que je conseille donc à tout fan du genre !
Tracklist :
1. Åsiktsfrihet
2. Ögon I Mörkret
3. Aforismer
4. Iskallt Regn
5. Hälsning Från Helvetet
6. Mot En Strålande Framtid