Bongripper + Suma + Ghold
Glaz'art - Paris
19h30, grisaille et des trombes d’eau. Après 1h30/2h sur le périph qui, des jours comme ceux-là, ressemble plus que jamais à une incarnation terrestre d’un cercle de l’Enfer, c’est le regard torve que je pénètre dans un Glazart qui avait accueilli il y a deux semaines de cela des Doomed Gatherings ensoleillées. Ce soir, l’ambiance n’est pas vraiment la même. Ni plage, un des atouts majeurs du Glazart soit dit en passant, pour lézarder, ni foodtruck pour se restaurer. Et surtout, une salle étonnamment vide pour cette date qui fait tout de même figure d’évènement. Ça s’annonçait pas vraiment festif, mais après tout, il y a-t-il une meilleure façon d’aborder un concert de doom qu’encerclé par des visages éteints avec de la pluie froide dégoulinant dans le cou ?
Bongripper justifiant à eux seuls un déplacement depuis Lyon, je me prépare à passer deux heures face à des premières parties que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam en attendant la délivrance. Les anglais de Ghold, qui accompagnent Bongripper sur sa tournée européenne, ouvrent le bal (expression consacrée probablement inadéquate ici, n’ayant pas fait beaucoup de bals je ne peux pas me prononcer, mais dans l’idée, un concert comme celui-ci ne présente que peu de points communs avec un bal). J’aime vraiment pas les chroniqueurs médisants par plaisir, mais là, j’ai du mal à dégager les côtés positifs. On va dire que Ghold est un trio qui fait du doom avec une voix blindée de révèrbe, ce qui donne au son un aspect religieux, mais des fois, ça tire vers l’ambiant, et des fois c’est du noise rock avec des larsens et hurlements, aussi, et les transitions sont mal branlées. C’est ni clair ni agréable à lire ? C’est un peu le sentiment qu’on a à la fin de leur concert. Ça passe du coq à l’âne sans la moindre explication, tu as l’impression que chaque mec joue sa partie sans se soucier de ses deux copains. Le seul truc vraiment stylé, c’était les hurlements qui venaient du batteur dissimulé par la fumée, et qui donnaient, pour le coup, vraiment l’impression de sortir de nulle part. Après, c’est pas non plus que de leur faute. Si tu n’es pas parmi les premiers rangs, le Glazart est une salle qui ne facilite pas l’immersion dans le concert. Piliers qui bouchent la vue, bar en fond de salle, ce qui fait que tu entends des personnes tailler le bout de gras pendant les parties ambiantes. Je n’attendais rien, je n’ai rien eu, pas grave.
Juste avant le concert, Lactance m’a dit que Suma c’était « bien mais random . Je me suis un peu foutu de sa gueule, mais en vrai, c’est totalement ça. En fait, rétrospectivement, Suma peut être vu comme une parfaite transition entre Ghold et Bongripper. On retrouve ce petit côté noise et des vocaux plus ou moins similaires (dans mes souvenirs) au premier groupe et une batterie bien vénèr ainsi qu’une construction plus carrée qui rappelle la tête d’affiche. Booker Suma semblait être un chox judicieux lorsque l’on voit la réaction enthousiaste du public (un peu plus nombreux que lors de Ghold). Je suis également conquis, même si Bongripper m’a fait vite oublier les détails de ce concert…
Il y a quelques mois, j’étais dans mon appartement, sur Facebook, sur mon fil d’actualité, les Stoned Gatherings teasaient une date. Quelques heures plus tard, Bongripper étaient annoncés pour 2 dates en France. Les deux premières. Depuis, je comptais les jours. Un peu avant 22h, j’étais comme un gosse devant son sapin de Noël, quand la bûche est couverte par les cadeaux rutilants, alors que le premier riff majestueux de Hail retentissait. Il y a un côte « recette » dans les live reports. Pour raconter un concert tu dois évoquer :
- Les morceaux joués/les petites préférences du chroniqueur.
- Le public : était-il nombreux ? Est-ce que ça bougeait, si oui, quand ?
- Le groupe : en forme ? en place ? Défoncé ? Sobre ? Communicatif ? Distant ?
- Les conditions. Le son, la lumière etc.
Les plus bilingues d’entre nous retranscrivent et traduisent les speeches des groupes entre les morceaux. En général ça fonctionne. C’est la méthodologie parfaite pour écrire le report d’AC/DC à Marseille, avec en plus, un petit suspens sur la perf d’Axl Rose. Pour Bongripper, c’est, en revanche, pas terrible. Pendant une heure, les 4 amerloques de Chicago retranscrivent parfaitement 4 de leurs titres. Les tout meilleurs, à savoir Hail, Descent, Worship et Endless. On peut noter que certains passages sont ralentis (l’intro de Worship avec ses guitares qui se répondent) pour plus de lourdeur mais moins d’efficacité.
Pendant une heure donc, Bongripper te porte. Ils augmentent la gravité et t’aimantent sur le sol, tu deviens aussi lourd que le son qu’ils proposent (ce qui n’est pas peu dire). Tu es pris dans le roulis de la basse de l’intro de Descent, tu es écorché par le break-cavalcade d’Endless ou tu t’envoles avec les leads de Worship, pièce maîtresse et centrale du show. Bongripper propose donc un espace sonore vierge où chacun, sur ces grosses notes projette ses pensées et ses images et c’est ce qui fait toute la force de ce moment. Personne ne s’y trompe, les yeux sont au sol, il n’y a rien à voir sur scène de toute façon, et les têtes dodelinent en rythme.
Néanmoins, il serait faux de dire que ce show de Bongripper ne serait qu’une sorte d’expérience spirituelle où la communion entre l’auditeur et le groupe se ferait à un niveau transcendant. A la manière d’un Sunn O))), il y a une dimension purement physique qui intervient également, chez les spectateurs comme chez le groupe. Les sons qui sortent des toms sous accordés font du squash dans ta cage thoracique pendant que les cymbales (élément ô combien important chez Bongripper) grêlent sur ton crâne. En ce qui concerne le groupe, et bien que les métaphores liées à l’industrie forestière soient devenues un topos dans le monde de la chronique metal (d’ « envoyer du bois » à « bûche »), il est impossible de ne pas penser à un bûcheron lorsqu’on voit le bassiste prendre son instrument à bras le corps et le magner comme une scie à bois.
En sortant du Glazart, les visages étaient moins hagards qu’à l’entrée. De manière un peu paradoxale, Bongripper et son doom ont illuminé la capitale. Il est temps de rentrer, la pluie dégouline toujours dans le dos, mais tout le monde semble y faire un peu moins attention.
Bongripper m’a tuer.
Setlist :
Hail
Descent
Worship
Endless