Chroniqueur doom, black, postcore, stoner, death, indus, expérimental et avant-garde. Podcast : Apocalypse
Déjà remarqué avec son premier album, Des Deux l'Une Est l'Autre, HYPNO5E avait franchi une étape importante en 2012 avec Acid Mist Tomorrow, album immédiatement encensé de toutes parts et ouvrant des horizons nouveaux pour le groupe, que l'on a vu depuis un peu partout en France, jusqu'au Hellfest 2015. Avec son metal expérimental qualifié de cinématographique, les Montpelliérains ont creusé leur trou et reviennent cette année avec ce Shores Of The Abstract Line, attendu par pas mal de monde, y compris votre dévoué serviteur. Et qui dit attente, dit possibilité de déception. Alors entrons dans la bête et voyons ce qu'elle nous reserve.
Comme sur les précédents albums, la tracklist indique que nous avons à faire à un concept album, avec des parties distinctes, des morceaux en plusieurs mouvements et surtout d'une longueur toute progressive qui laisse présager que HYPNO5E est encore allé explorer l'inédit. Le voyage débute sur la rive est, Eastern Shore, en deux parties, une première introductive avec des voix samplées distantes comme le groupe les affectionne. Vient ensuite In Our Deaf Lands et, immédiatement, la patte HYPNO5E est reconnaissable : riffing saccadé et imprévisible, chant écorché, ambiance sonore en arrière fond, tout est là. Le premier riff du morceau est à lui seul un concentré de la virtuosité du groupe : avec un pattern déroulé sur plusieurs mesures, on subit la déconstruction rythmique infernale imposée par Emmanuel Jessua et sa bande. Que se soit rythmiquement ou mélodiquement, ce premier riff est hallucinant de maîtrise et de précision. Puis vient ensuite tout ce qui fait la richesse d'un album d'HYPNO5E : l'enrobage philosophique, esthétique et théorique qui vient derrière. Comme sur Acid Mist Tomorrow où l'on retrouvait des citations de Camus, d'autres récits et paroles sont samplés pour habiller la musique si conceptuelle proposée par le groupe. Des voix vont et viennent tout au long de l'album, bribes de discours déconstruits et réassemblés, cut up d'où émerge un sens différent à chaque écoute.
Ce qui fait toute la force de cet album, comme des précédents, c'est sa capacité à se renouveler à chaque écoute. Shores Of The Abstract Line est un récit discontinu et parcellaire où chacun vient piocher ce qui résonne en lui pour construire son propre récit de l'album. HYPNO5E n'impose aucune lecture et laisse l'auditeur libre de déambluler dans son univers. Libre, mais néanmoins guidé le long de ses rivages mystérieux. En effet, la construction précise et méticuleuse de l'album n'autorise pratiquement qu'une écoute continue et dans l'ordre. Pourtant, le voyage est à chaque fois nouveau : même si les étapes sont imposées, on les découvre différement à chaque passage. Certains mouvements retiennent plus l'attention que d'autres sur une écoute, et de nouveaux émergent avec plus d'intensité à la suivante. Ce sont tantôt les séquences d'obédience post-rock-core-truc qui s'impriment plus facilement, tantôt les moments plus hargneux et rentre-dedans qui priment, parfois les deux, ou parfois les interventions narratives, ou parfois même une langue plus qu'une autre qui résonne, bref, chaque écoute est une première écoute.
Il est clairement impossible de décrire simplement et sans tomber dans la bête linéarité pour faire comprendre comment avance l'album. Shores Of The Abstract Line se développe sur de longues pistes où s'imbriquent une multitude d'éléments disparates mais cohérents. Chaque morceau passe d'un extrême à l'autre, de la violence caractérisée à la mélancolie triste, avec toutes les nuances qui existent entre les deux. A noter l'exception de Central Shore : Tio qui reste sur le même registre tout du long : une sorte de ballade hispanisante où la souffrance le dispute à la peine et qui offre une séquence de stabilité dans les mouvements impétueux du reste de l'album.
Ce qui également extraordinaire chez HYPNO5E, c'est la richesse des sonorités. Que ce soit le chant, qui varie du hurlement parfois quasi-screamo à la voix claire d'une fragilité douce, ou les instruments, on retrouve une diversité dans les guitares mais aussi du piano et même quelque chose qui ressemble à du glockenspiel sur Central Shore : Tio, tout est travaillé au millimètre. Et avec une telle richesse et une telle cohérence, il est complètement illusoire d'essayer de choisir un morceau phare ou un titre qui sortirait du lot : tout est à sa place et tout s'enchaîne avec fluidité. Des premières notes de piano de East Shore à la dernière phrase de South Shore, aucune sensation de coup de mou ou de faiblesse ponctuelle, non, un émerveillement constant, tout simplement.
Inutile de continuer plus loin cette chronique. Il y aurait encore matière à disserter sur cet album mais ce serait bien vain en comparaison du seul conseil valable pour un tel objet : écoutez-le. D'une traite, à de multiples reprises et sans activités parasites pour vous distraire. HYPNO5E continue ses recherches dans la narration musicale et parvient avec Shores Of The Abstract Line à prolonger avec logique et assurance son expérimentation qui échappe à tous les canons du moment. Richesse dans la composition, dans la construction, dans la production, dans la forme, dans le fond, dans tout ce qui fait la musique et même au-delà : HYPNO5E produit une nouvelle fois une sorte d'absolu musical.
Tracklist de Shores Of The Abtract Line :
1. East Shore - Landscape in the Mist
2. East Shore - In Our Deaf Lands
3. West Shore - Where We Lost the Ones
4. West Shore - Memories
5. Central Shore - Tio
6. North Shore - The Abstract Line
7. North Shore - Sea Made of Crosses
8. South Shore - Blind Man's Eyes