Un album tous les deux ans, c'est le rythme de travail de Primal Fear : après Unbreakable en janvier 2012 et Delivering the Black en janvier 2014, Rulebreaker vient nous réchauffer en ce mois de janvier 2016. Malgré l'accueil critique favorable qu'ont reçu les deux précédents efforts du groupe, ceux-ci n'étaient pas parvenus à remporter mon adhésion inconditionnelle, la faute à un manque général d'originalité et à une irrégularité dans la qualité des compositions problématiques.
Tout d'abord, on ne peut pas vraiment dire que Rulebreaker enfreigne les règles. Mais je doute sincèrement que ce constat pose problème. Cet album est en réalité basé sur un modèle on ne peut plus standard (pour peu que l'on fasse abstraction du morceau-fleuve « We Walk Without Fear ») qui a largement fait ses preuves par le passé. On n'a besoin que de quelques petites secondes pour retrouver ses marques et se sentir chez soi : la pochette en jette méchamment et la production a la délicatesse d'un défenseur de la Mannschaft un soir de finale de coupe du monde.
L'opening track faiblard « Angels of Mercy » attire immédiatement l'attention de l'auditeur sur un problème récurrent chez Primal Fear : les guitares sont accordées tellement bas (et j'ai l'impression que leur cas s'aggrave d'album en album) qu'elles donnent une texture artificielle assez désagréable à la musique du groupe en plus de la rendre difficilement lisible par moments. D'un autre côté, ce choix a nécessairement des répercussions positives sur la performance vocale de l'immense Ralf Scheepers qui peut ainsi explorer toute l'étendue de son timbre sans s'infliger de mal et dominer la musique de Primal Fear comme l'aigle sur les cimes domine l'horizon.
À partir de là, ça déroule. Une fois le bon single « The End Is Near » achevé arrive la doublette « Bullets & Tears »/« Rulebreaker », digne du Judas Priest du début des eighties. La première chanson rappelle dans sa mélodie et sa structure le classique « Breaking the Law », avec lequel elle partage une grande efficacité due à sa simplicité. La seconde rappelle plutôt quant à elle l'époque Point of Entry de la discographie du groupe anglais. Rock n' roll en diable, elle laisse pour notre plaisir auditif la voix unique de Scheepers occuper le premier plan de l'espace musical.
En s'achevant sur l'hymne « In Metal We Trust », cette première moitié d'album sehr starke s'avère sans surprise avant tout taillée pour distribuer des gifles bienveillantes en live. Vivement le Divan du Monde le mois prochain !
Au vu de ses dimensions inhabituelles, on ne peut s'empêcher de comparer « We Walk Without Fear » à « One Night in December ». Mais à la différence de sa prédécesseur, qui pâtissait de certaines longueurs, cette nouvelle pièce convainc sans réserve. On assiste avec joie au retour de l'ambiance apocalyptico-hollywoodienne qui caractérisait l'album Seven Seals. Scheepers profite de cette occasion pour poser sa voix et jouer avec talent sur la corde de l'émotion. « We Walk Without Fear » est très bien construit malgré ses onze minutes, et doté d'un pont d'anthologie (je vous garantis que les soli de guitare valent le détour !). C'est un sentiment de soulagement qui gagne l'auditeur à l'issue de l'écoute de ce morceau : cela faisait longtemps que Primal Fear n'avait pas réussi à mener à bien un projet musical aussi ambitieux.
Mais une fois passé ce pilier central, l'inquiétude vient nous hanter. La deuxième moitié de l'album va-t-elle être à la hauteur de la première ? Ce ne serait pas la première fois qu'un album s'écroule après une entrée en matière prometteuse.
Suite à un « At War with the World » insipide et au mid-tempo entraînant « The Devil in Me », très Holy Diver-esque dans sa dynamique, débaroule en détruisant tout sur son passage le meilleur morceau de l'album, j'ai nommé « Constant Heart ». Du Primal Fear dans toute sa splendeur, à la hauteur céleste d'un Judas Priest période Painkiller (comment ne pas penser à « Night Crawler » ou encore « One Shot At Glory » en écoutant cette bombe ?). Quand le spectacle commence, l'adrénaline se libère subitement et l'on se surprend à retenir son souffle tout au long du morceau afin de ne pas en louper une seule seconde. Des cris suraigus et des soli de guitare vertigineux nous assaillent les tympans. Le spectacle est grandiose et le contrat rempli.
Passons rapidement sur l'inévitable ballade « The Sky Is Burning », en notant tout de même qu'elle est (un tantinet) plus pêchue et moins ringarde que sa grande sœur « Born with a Broken Heart », et ce malgré, comme à l'accoutumée, des longueurs pénibles à supporter. Je ne comprends pas pourquoi certains groupes actuels de Metal ressentent l'obligation d'en faire figurer une sur chacun de leurs albums. Ils ont pourtant pu constater à maintes reprises que ce format de morceau se prête très mal à ce style musical. Le tempo s'emballe une dernière fois pour venir clore l'album avec un « Raving Mad » sympathique, sans plus. Mais bon, quand le commandant de bord Scheepers est aux manettes, l'atterrissage se fait toujours en douceur. Heureusement que sa voix d'exception est là pour donner de la consistance à ce morceau peu inspiré, à mille miles de « Constant Heart ». Une deuxième moitié d'album médiocre qui a donc beaucoup de mal à convaincre l'auditeur exigeant.
Album satisfaisant dans l'ensemble sans être transcendant pour autant, Rulebreaker est très similaire à Delivering the Black. Cependant, cela fait maintenant dix ans que l'on s'estime en droit d'attendre de la part de Primal Fear la réalisation d'une œuvre plus remarquable (souvenez-vous de Seven Seals, sorti en 2005...). Je reste convaincu que c'est le manque d'originalité de ses compositions qui empêche la formation d'accéder au rang de groupe de référence, qu'elle pourrait légitimement revendiquer si seulement elle osait se mettre en danger au niveau artistique en remettant en question ses automatismes d'écriture.
En attendant ce sursaut bénéfique dans la carrière de Primal Fear, Rulebreaker a de quoi contenter les fans ainsi que retenir l'attention de ceux qui ne connaissent pas encore ce groupe injustement sous-estimé. La valeur sûre Heavy Metal de ce début d'année.
Morceaux-phares : « Constant Heart », « We Walk Without Fear », « Rulebreaker »
Tracklist :
1. Angels of Mercy
2. The End Is Near
3. Bullets & Tears
4. Rulebreaker
5. In Metal We Trust
6. We Walk Without Fear
7. At War with the World
8. The Devil in Me
9. Constant Heart
10. The Sky Is Burning
11. Raving Mad