Voilà treize années que je suis avec une attention toute particulière cette entité qu’est Peste Noire, depuis sa démo Macabre Transcendance sortie en 2002 chez Drakkar Productions. Bien qu’underground à l’époque, il s’en dégageait quelque chose d’assez phénoménal et unique. Depuis tout ce temps, il s’en est passé des choses ! Famine, maître-à-penser, a repris les choses en mains en créant son propre label (la Mesnie Herlequin), conduisant son projet de A à Z, des compositions à la distribution, en passant par l’enregistrement, pour ne plus dépendre de qui que ce soit.
Après cinq albums studio et une réputation allant crescendo, Peste Noire sort cette année son sixième opus, successeur de l’éponyme paru deux ans auparavant. Gravitant à l’origine sur des thèmes plutôt médiévaux, depuis l’Ordure à l’état pur (2011), Peste Noire aborde des sujets beaucoup plus personnels de la vie de son géniteur et ce nouveau-né en est la plus parfaite incarnation. Déjà, le choix du titre met la puce à l’oreille. La Chaise-Dyable est en réalité un jeu de mots sur son nouveau camp de base, le village de la Chaise-Dieu en Haute-Loire qu’il a rejoint il y a quelques années. La couverture enfonce le clou puisque l’individu nous plonge au beau milieu de sa (bordélique) cuisine, ayant la même allure que celle de nos octogénaires, comme si le temps s’était arrêté dans les années soixante, le goût authentique de cette vieille France que l’on qualifie de profonde. D’ailleurs, l’artwork dépliant à l’intérieur du digipack présente, outre les paroles, une série de photos de son quotidien, sa maison, ses chats, ses paysages, ses camarades, l’abbatiale du village…
Lui, l’avignonnais d’origine, exilé dans la campagne auvergnate pour retrouver cette flamme d’une France véritable, va nous plonger durant trois quarts d’heure dans son univers pour un album qui va laisser une grande part à l’introspection de sa tête-pensante, sans omettre son combat politique, même si ce dernier reste assez secondaire ici.
L’opus s’introduit avec « Avant le putsch », les oies caquettent, ça sent le terroir, puis s’ensuit une mélodie débonnaire où l’on reconnaît immédiatement la griffe du combo avec sa sonorité et son jeu de guitare, mais également ses textes d’abord décalés avant que le tableau ne se noircisse, opérant la transition avec « Le dernier putsch », dont les couplets avaient à l’origine été écrits pour le québécois d’Akitsa il y a une paire d’années. Le ton est déjà plus conquérant et menaçant ; en guest-vocal, on a le droit à Björn de la Misanthropic Division ukrainienne, même si j’avoue avoir du mal à saisir la pertinence d’afficher ouvertement le soutien à ce mouvement ; au pire, ça ne fera que surenchérir le jacassement des moralisateurs ambulants et entretenir le côté « poil à gratter de la scène metal française » de Peste Noire ! Les premières notes de « Payés sur la bête » affichent quant à elles une influence nettement plus heavy dans les accords, comme pouvait l’être « A la mortaille ! » sur Ballade cuntre lo Anemi Francor, un titre qui sent la suie même s’il demeure sans doute un cran en-dessous des autres, trop ‘classique’ pour du P.N. dira-t-on. La suite redevient nettement plus intéressante avec « Le Diable existe » où Famine nous expose sa vision de l’Enfer, qui s’avère être en réalité sa vie ; les riffs sont plus claustrophobiques, avec quelques envolées nostalgiques dont lui seul à le secret. Morceau-titre, « A la Chaise-Dyable » est probablement le meilleur de cette nouvelle cuvée, les mélodies sont profondément mélancoliques et les textes… un vibrant hommage à ces terres, doublé d’une sinistre réalité où malgré le côté bucolique de ces contrées chargées d’histoire, se trame de façon sous-jacente la misère de ceux qui y vivent, et cette solitude, notamment celle de l’auteur, ruminant sa vie, surpris d’une conversation avec un crucifix trouvé dans son grenier :
« Voilà que cette statue
Me crie à tête-tue :
Allez t’as tué personne
Attends qu’ta fin sonne
Cette vie c’était ton châtiment
Et gentiment
T’as purgé ta peine »
D’ailleurs, les paroles (souvent qualifiée à tort de ‘débiles’) prouvent que l’étiquette « rurale » collée au Black Metal de Peste Noire n’est pas uniquement due aux instruments folkloriques qui sentent bon le saucisson et le vin blanc, mais également dans les thématiques abordées. Soit dit en passant, contrairement aux précédentes réalisations où plusieurs instru traditionnels étaient utilisés, ils ne se limitent ici qu’au simple accordéon, interprété par Ardraos et toujours intégré avec parcimonie et justesse pour que ça hume bien les foins et la vieille pierre. Après cette neurasthénie passagère, « Quand je bois du vin » vient apporter un souffle plus enjoué et sautillant, où Audrey S. se joint au chant avec sa voix fraiche et lyrique ; il s’agit en fait d’une adaptation d’une vieille chanson à boire du XVIème siècle, rappelant en cela les affinités du bonhomme avec le Passé, comme c’était surtout le cas sur les premiers albums. Enfin, on retombe dans les travers avec « Dans ma nuit » qui avait été utilisée pour le split avec Diapsiquir, puis réenregistrée ici, bien meilleure, collant mieux avec l’esprit des couplets, sombres, troublants et démentiels.
Qu’il soit adulé ou détesté, Peste Noire ne laisse pas indifférent. Avec la Chaise-Dyable, Famine opère un certain retour aux sources d’un point de vue musical, avec une empreinte davantage mélancolique et une approche beaucoup plus personnelle dans son concept, le tout soutenu par une production et un mixage impeccables.
Un style unique, loin des sentiers battus, des morceaux inspirés, cohérents et travaillés que l’on se surprend à siffloter, voilà ce qui fait la force et la popularité de ce projet. Seule l’épreuve du temps permettra de juger, mais nous tenons sans doute là l’un de ses meilleurs travaux post-démos.
Tracklist :
1. Avant le putsch
2. Le dernier putsch
3. Payés sur la bête
4. Le Diable existe
5. A La Chaise-Dyable
6. Quand je bois du vin
7. Dans ma nuit (2nd version)