Lethvm + Every Stranger Looks Like You @ Bruxelles
Botanique - Bruxelles
Punkach' renégat hellénophile.
La scène belge n'est pas gigantesque, mais le Plat Pays n'a vraiment pas à rougir de ce qu'il propose dans les styles extrêmes. Pour qui prend la peine de les découvrir, sur album et surtout sur scène, quelques groupes locaux, composés de passionnés, livrent des performances hallucinantes.
Mais cette scène belge reste quand même surtout flamande, même si le bilinguisme est parfois de rigueur, et que Bruxelles bénéficie comme toujours d'un statut particulier. Si je devais lister les groupes francophones qui bénéficient d'une certaine visibilité, seul Lethvm me viendrait directement à l'esprit. Les Namurois officient dans un registre Sludge/Doom, pour lequel j'ai peu de repères mais que j'ai toujours trouvé efficace et inspiré. Le 9 octobre dernier, Lethvm investissait justement le Botanique, à Bruxelles, pour la présentation de son nouvel album, Acedia. Les Namurois étaient accompagnés de Every Stranger Looks Like You, qui ouvrait la soirée.
Every Stranger Looks Like You
Une fois sur place, j'apprends que les deux concerts se déroulent dans la Rotonde. Je déchante un peu car je n'ai pas que des bons souvenirs de cette toute petite scène, située sous la coupole qui surplombe les jardins botaniques de la capitale. Cela reste une opinion personnelle, mais je ne suis pas franchement à l'aise dans une petite pièce circulaire disposée en gradins, comme je ne suis pas convaincu que les musiciens apprécient de pouvoir détailler tous les visages d'un public qui se trouve presque à portée de bras. Mais je m'égare. Car au fil des discussions, j'en apprends aussi un peu plus sur Every Stranger Looks Like You. Cette formation, originaire de Brakel en Flandre orientale, est l'œuvre de Tim De Gieter. Un nom qui revient souvent dans les polders et les mornes plaines : producteur possédant son propre studio, De Gieter collabore avec de nombreux projets à l'avant-garde musicale, de Brutus à Throane. Il officie également comme guitariste de la formation de dark electro Fär, qui ouvre régulièrement pour Amenra. De quoi susciter une curiosité certaine.
Le trio attaque d'emblée une succession de morceaux courts portés par la voix ultra revendicatrice de Tim, qui officie ici tant au chant qu'à la guitare. "Synnecrosis" et "Love Bites" s'enchaînent sans que la moindre transition soit perceptible, en une furieuse décharge de haine. D'autres morceaux laissent entendre une distante voix claire, tandis que l'instrumentation ose le retrait pour paraître encore plus menaçante. "Self Portrait" ose l'introspection dans ce qu'elle a de plus révélatrice des pensées sombres qui parsèment un épisode de spleen avant le déchainement cathartique tant attendu sur "Tying the Knot".
Every Stranger Looks Like You se définit comme un projet Grunge/Post-Hardcore, mais tout qualificatif musical reste hautement subjectif ; on évoque la Noise à ma gauche, tandis que je parlerais plus d'une sorte de Stoner/Punk, si je devais vraiment leur coller une étiquette. Mais fi de ces obscures classifications ! Le groupe enchaîne le malaise et la hargne dans un va-et-vient constant entre son premier EP de 2014, ESLLY, et l'album Bluest Shade Of Black sorti en 2016, qui porte terriblement bien son nom. Le concert est extrêmement court, 35 minutes peut-être, mais Every Stranger Looks Like You prouve qu'en Belgique, le terme avant-garde n'est pas encore galvaudé, loin s'en faut ! Je reverrai ce groupe avec un plaisir pré-apocalyptique et nullement coupable !
Setlist
Styx
Synnecrosis
Love bites
Aderlating
Bliss
Death Crown
Self Portrait
Tying the Knot
Bob
Chapel
Lethvm
Vient donc Lethvm, groupe que j'ai souvent eu le plaisir de croiser au gré des affiches, avec une setlist forcément inédite pour ce soir. Dès "Fatigue", le groupe déploie son alchimie typique de riffs lourds et pesants en retrait du chant torturé de Vincent. La formation namuroise est devenue une machine particulièrement bien rodée, et Acedia semble pensé pour que l'ordre des morceaux installe une ambiance pesante comme un ciel d'orage dès les premières notes, avec de rares éclaircies pour avaler une goulée d'air frais. "Ananké" et "Grey" prennent le temps d'instaurer une atmosphère plus mystérieuse, presque douce, avant de nous rappeler à l'horreur qui se trouve derrière la porte. Ces deux morceaux me semblent correspondre très bien au visuel de l'album, au demeurant très réussi.
Vincent reste toujours aussi charismatique, à hurler son mal-être dans son micro, le diaphragme au bord des lèvres. Le chanteur garde toutefois une certaine retenue dans son jeu de scène, peut-être car celle-ci demeure bien étroite. Pour l'avoir vu plusieurs fois sauter dans le public pour y marteler un tambour de toute sa hargne, je me demande si ce changement n'est pas volontaire. Si c'est un choix, je le trouve compréhensible et courageux : Lethvm n'est pas groupe à se reposer sur un gimmick, fut-il efficace.
La fin du concert voit arriver un autre évolution intéressante pour le groupe : la claviériste Laila Alev, impliquée dans plusieurs projets musicaux pas forcément proches du Metal extrême, installe son instrument sur scène. Un renfort inattendu qui offre au morceau-titre de l'album une dimension véritablement inédite. Durant quasiment 9 minutes, "Acedia", nous fait traverser une dernière phase d'un sommeil enfiévré, à l'onirisme toujours à deux doigts de basculer dans le cauchemardesque. Lethvm nous offre donc une très belle prestation, mais surtout un album qui comptera quand sera venu le temps de faire le bilan annuel des sorties belges.
Setlist :
Fatigue
Ananké
Grey
Podavlienast
Oratio
Schisme
The Last Grave
Acedia
Merci à Greg Van Onacker pour les photos.