Sadique Master Festival 2019 - jour 1
Les 5 Caumartin - Paris
Compte groupé de la Team Horns Up, pour les écrits en commun.
Raton : Un an après notre première couverture du festival le plus ignoble de France et de Navarre, nous avons décidé de rempiler avec cette fois une équipe plus large : c’est donc avec Di Sab, Dolorès, Prout, SADE et moi-même que vous aurez l’occasion de vous plonger indirectement dans le cinéma underground extrême, antre du malsain et du dérangeant.
Retour donc au cinéma des 5 Caumartin dans le 9e arrondissement de Paris pour la soirée d’ouverture avec deux films à l’affiche : le film d’horreur espagnol « Framed » et le sadico-absurde « House of Flesh Mannequins ».
Premier constat, la salle me paraît plus remplie qu’en 2018 et la raison me semble très simple : notre report de l’année dernière fut si excellent qu’il a convaincu un grand nombre de curieux d’assister à la 5e édition du festival. J’en tiens pour preuve le public encore plus metal que l’année dernière, preuve ultime, s’il en fallait une, de la convergence entre les musiques extrêmes et le cinéma extrême. C’est donc entre des t-shirts Mortician et Anaal Nathrakh, des visages familiers et une ambiance bon enfant (les médisants préféreront beauf à bon enfant, mais on y reviendra), que le public s’engouffre dans la salle pour la première projection.
Avant que le premier film ne débute, nous avons le droit au magnifique trailer de l’édition, représentant notre Dolorès nationale sous ses plus glauques atours (voir ci-dessous) Tinam, l’organisateur du festival, s’avance et après une rapide ode à l’immonde et à l’infâme, nous présente le jury de cette édition : David Didelot, fondateur du fanzine Vidéotopsie ; Antony Hickling, réalisateur franco-britannique ; et Domiziano Cristopharo, artiste radical et habitué du festival. Les propos de ce dernier sont à nouveau traduits par le grand Prout, aussi approximatif que désinvolte.
VENDREDI 1er MARS
FRAMED
Raton : « Framed » nous est présenté comme immersif, brutal et parfait pour commencer « en douceur » le festival. On commence vite à comprendre que le si le film est « doux » pour le festival, il reste éminemment brutal pour le commun des mortels.
Reprenant les postulats du sous-genre de la « home invasion » (un groupe d’individus, bloqué dans une maison, subit les assauts d’un ou plusieurs attaquants sauvages) et saupoudré de torture porn, « Framed » présente une société où une nouvelle application obtient un succès massif. Du même nom que le film, l’appli propose, à l’instar d’un Periscope, de diffuser du contenu en live à des milliers de spectateurs avides d’images sordides. Pullulent alors, aux côtés des live à caractère sexuel, des retransmissions de violence et de sauvagerie pour satisfaire les pulsions morbides des utilisateurs. En Espagne, c’est un jeune excentrique qui propose à ses viewers le meurtre passionnel d’un mari adultérin au terme d’une scène complètement délirante où ledit mari passe plus de temps à parler de ses lunettes qu’à s’émouvoir de la situation.
Après cette scène introductive, générique sur fond d’électro-indus / synthwave musclée, et nous retrouvons dans une maison cossue un groupe de jeunes qui va tomber dans les pièges tendus par notre cyber-clown cynique. Très rapidement, l’étrange ambiance proposée par le prologue se confirme, rendant le film en même temps inquiétant et absurde, malsain et bourré d’humour noir. En témoigne la première victime du cyberharceleur qui, même avec un couteau dans le crâne, continue de se mouvoir et dont la lame coincée entre deux zones du cerveau la fait se comporter de manière ridicule (on pardonnera au réalisateur de ne pas être neurologue car le running gag fait son petit effet). À ce titre, les personnages ne vont jamais ignorer le surjeu et entretiennent ainsi le côté comique grotesque.
Toute la mise en situation reste assez bancale avec une mise en scène aussi subtile que mon genou. Jumpscares faciles pour faire monter la tension, musique beaucoup trop didactique et effets sonores ridicules alourdissent l’entrée dans le vif du sujet. Heureusement c’est le manque de sérieux et les situations à la limite du burlesque qui vont alléger le film et excuser les (très) nombreuses approximations.
Lorsque le rythme horrifique se met en place, le propos du film peut enfin pleinement s’exprimer. « Framed » se fait un énième film qui questionne l’aliénation et le voyeurisme des réseaux sociaux en soulignant toute l’intangibilité de la culture web et le fait que la réalité se confonde avec le virtuel. Rien de nouveau sous la webcam et je vous épargne le blabla habituel en me contentant de faire un bingo des mots et expressions à caser quand on parle du sujet : société du spectacle, abrutissement télévisuel, mort des médias traditionnels, télé-réalité, dépendance aux écrans, le virtuel est le nouveau réel, Black Mirror, dictature numérique, culture de l’égo.
Bien que le film s’étouffe rapidement avec les incohérences classiques du film d’horreur (les protagonistes se séparent sans aucune raison, leurs décisions sont irréalistes et leurs actions ridicules), la mise en scène tente de nouvelles choses et en réussit une bonne partie. La lumière et l’étalonnage notamment sont particulièrement bien maîtrisés avec un effet néon réussi sans être racoleur (et tomber dans la neonsploitation). Dommage cependant que le casting soit aussi inégal, entre le groupe de jeunes souvent faux et les antagonistes complètement hystériques – mention spéciale au grand méchant, sorte de Jim Carrey du mal. Un spectateur m’a fait remarquer que si le film naviguait toujours entre horreur et humour trash, c’était pour représenter l’inconstance des internets et que l’antagoniste incarnait de fait le troll du web, cruel, inconstant et sardonique.
Le final du film, alors que le live sadique atteint le record mondial de 30 millions de spectateurs, s’avère assez moyen et sage alors qu’il aurait légitimement pu pousser le délire un peu plus loin. « Framed » se conclut comme il s’est déroulé : avec des idées mais une mise en forme incomplète. Néanmoins, une sympathique mise en bouche.
Prout : Une appli de streaming live fait sensation aujourd’hui sur Internet : Framed permet de diffuser en live sans aucune censure et de manière totalement anonyme (si on le souhaite). Du porno à la recette de cuisine, du drama aux actes terroristes, des vidéos de chats à l’exécution publique, tout est bon pour happer du follower. Pas étonnant alors qu’un trouple de psychopathes s’en servent pour trouver la reconnaissance sur le net qu’ils n’auraient jamais eu dans la vraie vie. Framed officie dans le slasher gore et se porte critique de notre société hyper connectée où les réseaux sociaux et le "m’as-tu vu” ont pris le pas sur notre humanité. Une bande d’amis se voit une dernière fois avant le départ de l’un des leurs et très vite la soirée part en cacahuètes à la venue des dits psychopathes. Ils ne sont pas là pour simplement streamer : ils sont là pour tuer, torturer, massacrer mais surtout faire du like ! Framed m’a tout de suite intrigué par ses qualités artistiques. Belle photographie, belle mise en scène, bons effets sonores, mais mince, chuis pas venu au Sadique Master pour voir de vrais films ! Ayant gagné le prix du jury sans grand étonnement, Framed a ouvert le bal sur une touche légère et rafraîchissante.
HOUSE OF FLESH MANNEQUINS
Raton : Après une grosse demi-heure de pause où les fûts se vident à un rythme effréné, le public entre à nouveau dans la salle pour visionner le premier film du réalisateur et membre du jury Domiziano Cristopharo dans une version intégrale exclusive. Avant que le film ne commence, quelques « à poil » et autres braillages de chansons paillardes sont à déplorer, mais ce genre de beauferies regrettables resteront marginales durant la soirée.
Dès les premières secondes du film, son style extrêmement télévisuel m’interpelle et me fait lever un premier sourcil. Le second suivra peu après face à une interprétation calamiteuse (probablement dûe au fait que le casting, majoritairement italien, joue en anglais). Pendant les trois quarts du métrage, l’impression de voir un sitcom qui se veut film d’auteur ne me quitte pas.
Petit à petit, je décèle ici et là des idées intéressantes ou des ébauches pertinentes, mais elles sont toujours occultées par une mise en scène nanardesque (je pense notamment à une scène où, pour montrer le traumatisme du personnage principal, violé par son père, les flash-backs sont intercalés avec des plans surréalistes du protagoniste touillant une tasse vide). La grande majorité du film se déroule ainsi, les expérimentations poétiques noyées sous une réalisation affreuse et des dialogues consternants. On notera également un mixage sonore approximatif où la musique (sympathique au demeurant) ne s’arrête jamais et couvre trop souvent les dialogues.
Malheureusement, en milieu de séance, le processeur son de la salle brûle et occasionne une pause d’une vingtaine de minutes. Puis le film reprend et continue sur sa lancée. De rares fulgurances viennent percer la monotonie du film, mais elles sont si rares et impromptues qu’on croirait des heureux hasards. Beaucoup d’ambition mais peu d’inspiration : comme si le réalisateur avait voulu y caser toutes les idées qui cheminaient dans sa tête mais sans aucun sens ni cohérence. À tel point que certains dialogues finissent par ressembler à « Vice et versa » des Inconnus.
Mais alors que tout semblait perdu, une fin viscérale et apportant enfin du propos au film vient illuminer les 20 dernières minutes. Alors ne vous y trompez pas, le film ne devient pas un chef d’œuvre, mais le nouvel éclairage qui lui est donné est bien plus flatteur et permet de mieux comprendre la démarche de l’artiste. La séquence de 10 minutes de tortures insoutenables devient même pertinente. « House of Flesh Mannequins » s’impose alors comme une œuvre très maladroite et peu aboutie mais pas inintéressante.
Di Sab : Présenté pour la première fois en version intégrale, House of Flesh Mannequins portait en lui quelque chose de paradoxal. A la fois extrême visuellement, il n'en demeure pas moins très facile à regarder. En effet, le propos navigant entre plusieurs univers extrêmement marqués (Cronenberg pour le rapport à la chair, Lynch pour le rapport à la réalité et pour les personnages mi humains mi spectres oniriques, Maniac pour l’ouverture avec peut être un soupçon de De Palma), il est facile de se prendre au jeu et de se laisser guider d’autant plus qu’à aucun moment, l’on tombe dans le worshipping boiteux. Alors certes, le jeu d’acteur est parfois un peu rêche (cet accent italien à couper au couteau) et la partie centrale un peu longue, mais le propos est plutôt bien amené et les pistes sont brouillées intelligemment. Par ailleurs, le film s’inspire d’une histoire vraie de laquelle il est difficile d’avoir des informations. Malgré tout un protagoniste a écrit un livre qui était en vente au Sadique Master. Un vrai plus pour un film fait par un fan, pour les fans.
Prout : On connaît depuis longtemps le thème du voyeur romantique et Domiziano Cristopharo nous en livre ici sa version, pour son premier film, totalement uncut, dont 30% avaient été perdus puis refilmés. Sebastian est un vidéaste raté (?) qui se fait du blé en filmant des snuffs ou prenant des clichés pédophiles et les revendant au marché noir. Intriguée par son voisin si discret, la belle, que dis-je, magnifique Sarah (Irena Hoffman) suit de très près cet étrange personnage qui la fascine. Très vite, le voyeur n’est plus celui que l’on croit. Très poétique, sombre et tragique, House of Flesh Mannequins semble puiser de manière étrange son influence chez les early Kubrick et De Palma. Tantôt grotesque, tantôt brutal, tantôt romantique, tantôt exaltant, Domiziano montre ici qu’il avait beaucoup de choses à dire, même de manière confuse pour un premier shot, mais dont l’ambiance tranchante mais néanmoins érotique ne trompe pas.
Deux films et un problème de matériel (qui aura marqué le public) plus tard, la première soirée du Sadique Master Festival 2019 est déjà terminée. Prout et Dolorès se retrouveront le lendemain à 22h pour la suite...
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