"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
Les amateurs de fort bon goût - et je sais qu’ils sont nombreux à nous lire - ont probablement dans leurs favoris musicaux le nom du groupe japonais qu’est Blood Stain Child. Groupe qui depuis ses débuts a donné dans un mélange détonnant de Mélodeath énergique et d’Electro/Trance, quelque chose de très « japonais » finalement, génial pour les uns (les amateurs de bon goût), insupportable pour les autres (les amateurs de l’autre bon goût). Blood Stain Child qui pour son 5ème album, Epsilon (2011), avait poussé le vice ou le délire (ou les deux) à se doter d’une chanteuse. Chanteuse qui a la particularité d’être gréco-vénézuélienne, et ainsi d’une certaine manière japonaise d’adoption. Sophia Aslanidou ou Aslanides, ne restera tout de même que deux ans au micro de la formation japonaise, le temps donc d’enregistrer un Epsilon qui était à la fois le meilleur et le pire album de Blood Stain Child, celui ou le trip Metal pour animé ou pour jeu vidéo beat’em all avec des scores qui popent partout était le plus poussé, traînant entre Mélodeath sucré WTF qui était tout autant jouissif ("Stargazer", "Electricity") qu’horripilant. Sophia n’a pas pour autant arrêté toute activité musicale, loin s’en faut vu qu’elle a même formé en parallèle son propre projet, Season Of Ghosts. Un projet où elle se charge bien évidemment des vocaux mais aussi de la composition, laissant tout de même l’exécution à la charge d’un backing-band notamment mené par Zombie Sam, du groupe italien de Metal Indus du même nom. Désormais basé en Angleterre, Season Of Ghosts est donc un groupe résolument international, mais toujours fortement marqué par le Japon, par son univers si particulier, musical et culturel. Le projet donnera naissance à un premier album en 2014, The Human Paradox. Qui aura surpris à plus d’un titre car passé le trio de hits d’entrée fortement proche d’un Blood Stain Child, montrera un projet qui a une certaine vision et même de l’ambition, au sein d’un style plutôt inclassable.
Les tubes d’Electro-Metal qu’étaient "Genesis - The Phoenix Syndrome", "Time Travellers" et "Dream: Paralysis" avaient alors laissé place à de somptueux et recherchés morceaux de Metal futuriste comme "Beautiful Eternal Things", "Quantum - Through the Looking Glass" ou encore le fantastique et totalement électronique "[Ne]:Mesis - The Kiss of Justice". Evoluant entre Electro-Metal, Metal sympho/goth (avec à la clé de jolies ballades également) et même Metal progressif, Season Of Ghosts avait alors livré un The Human Paradox au minimum intéressant, au mieux carrément révolutionnaire, avec un univers très personnel qui découle logiquement d’une science-fiction sortie du débordant imaginaire japonais. On est donc bien loin du blip-blip Metal de Blood Stain Child ou d’autres groupes à chanteuse qui en font des tonnes de manière prétentieuse (oui Amaranthe, je parle de toi). Sur ces excellentes bases, voyons maintenant ce que Season Of Ghosts va nous concocter, quatre ans après, sous l’étiquette de « Cinematic Electro-Metal ». Avec un line-up qui n’a a priori pas bougé, voici A Leap Of Faith. Et là, patatras. Oh non, ce deuxième opus ne sera pas une catastrophe, loin de là. Mais le petit problème qui apparaît bien vite, c’est que bon nombre des particularités de The Human Paradox ont disparu. Plus de morceaux futuristico-progressifs, place à quelque chose de beaucoup plus direct, de plus facile, de plus « mainstream » en un sens, même si Season Of Ghosts va conserver son identité si particulière. Et alors qu’on aurait pu croire que le groupe allait copier un "Time Travellers" à l’infini, il va même s’éloigner encore de Blood Stain Child, pour aller classiquement vers du Metal moderne à chanteuse, avec bien sûr une très forte composante électronique. Mais le Season Of Ghosts de The Human Paradox, avec son trio hits du futur / morceaux travaillés / ballades mignonnes, il n’existe déjà plus. C’est dommage, mais ça n’est pas forcément une mauvaise nouvelle.
Season Of Ghosts se recentre donc sur un « Metal goth » plus classique dans la forme, du couplet/refrain, avec chaque morceau composé pour être un hit potentiel. Et va vraiment à l’essentiel car amputé de son intro de son outro et des deux bonus, A Leap Of Faith ne propose que 7 véritables morceaux pour une grosse demi-heure. C’est assez léger après quatre ans d’attente, mais on va devoir s’en contenter. Très immédiat, le Metal moderne de Season Of Ghosts est donc particulièrement facile, d’accès comme de digestion. Le riffing n’est pas très étoffé, de toute façon les guitares sont en général bien en retrait dans le mix, pour laisser forcément place à la voix de Sophia - plutôt belle sans être exceptionnelle malgré quelques moments forts et un ton personnel - ainsi qu’aux diverses incursions électroniques. A Leap Of Faith pèche d’ailleurs par sa production un peu limite pour le style, avec un son de batterie très clinique, il n’y a plus Ettore Rigotti alias M. Disarmonia Mundi et maître ès-Mélodeath moderne européen derrière et ça se sent… Cela ne brosse pas un portrait très reluisant de A Leap Of Faith et déjà, on peut regretter toutes les composantes de The Human Paradox qui ne trouve pas forcément un digne successeur ici. Mais pourtant, A Leap Of Faith a son charme, et va vite se révéler un album franchement plaisant du moment qu’on le prend en tant que tel. Si on peut toujours considérer grossièrement ça comme du Within Temptation post-The Silent Force en version futuriste, Season Of Ghosts a déjà pour lui le fait de rester très personnel et de ne pas sonner comme les centaines d’autres groupes du même genre, grâce à son univers toujours singulier. A Leap Of Faith évite donc largement le côté généralement trop sucré du style, même s’il faut avouer qu’avec ses quelques sonorités forcées (et son clip ultra-kitsch), c’est déjà mal barré avec "A Place to Call Home", premier single qui ouvre l’album, où les défauts de son sont déjà exposés au grand jour d’ailleurs. Il faut vraiment aimer, jusque dans les couplets concoctés par Sophia, même si les riffs de Zombie Sam sont plutôt accrocheurs et bien achalandés derrière. Bon…
A Leap Of Faith a de toute façon un faux départ, et d’ailleurs ça ne décolle toujours pas avec un "Astero[:id]" assez vain et où les effets électro repenchent d’ailleurs dangereusement vers les exagérations de Blood Stain Child, avec un chant assez sirupeux. Mine de rien, il faudrait passer la seconde, il ne reste déjà que cinq morceaux… Mais heureusement, Season Of Ghosts va trouver sa vitesse de croisière et enchaîner les vrais hits, mieux même A Leap Of Faith devient de plus en plus bon au fil des pistes. "Listen" est un morceau vraiment bien troussé et très inspiré, le morceau-titre est tout autant entraînant avec une Sophia très en voix, idem pour "How the Story Ends" où l’on se laisse facilement emporter par les riffs et le refrain, "Almost Human" est réussi de bout en bout et Sophia continue à montrer toutes ses capacités vocales, quant à "What A Time to Be Alive" c’est une réussite totale et assurément le meilleur morceau de l’album (avec des riffs mortels) doublé d’un final en fanfare. Il fallait donc attendre et prendre le temps, mais A Leap Of Faith finit par montrer ses qualités et se poser comme un album plutôt bonnard de Metal à chanteuse du futur. Cela se fait en contrepartie de quelques menus défauts et d’une hétérogénéité dans l’homogénéité de l’ensemble (qui est agrémenté d’un remix plus Electro de "Listen" et d’une deuxième version de "A Place to Call Home" avec les refrains chantés en japonais), qui fait de A Leap Of Faith un album plus sympatoche qu’autre chose, du moment qu’on aime le style et qu’on cherche quelque chose de moins putassier et plus sincère qu’Amaranthe et consorts. La sincérité et la personnalité de l’ensemble font d’ailleurs que Season Of Ghosts tire aisément son épingle du jeu, et on aura toujours envie de donner une chance à ce que fera la passionnée Sophia avec ses influences originales. Dommage, tout de même, que nous n’ayons pas le droit à quelque chose qui soit vraiment dans la lignée ambitieuse de The Human Paradox, c’est un regret manifeste mais ça ne fait pas de A Leap Of Faith une vraie déception, on aurait préféré autre chose que cet album un peu trop facile il est vrai, mais il se suffit à lui-même et se montre globalement plaisant dans son registre propre. Mon seul grand espoir, c’est que le prochain opus retrouve l’inventivité et les promesses du premier album, histoire que ça ne soit pas un one-shot gravé dans l'espace-temps…
Tracklist de A Leap Of Faith :
1. The Road So Far (2:46)
2. A Place to Call Home (4:40)
3. Astero[:id] (4:23)
4. Listen (4:33)
5. A Leap of Faith (4:28)
6. How the Story Ends (4:35)
7. Almost Human (4:58)
8. What A Time to Be Alive (4:51)
9. You Are Not Your Pain (1:27)
10. Listen (To This) (Fatal Fe Remix) (3:43)
11. A Place to Call Home (version japonaise) (4:41)