"On est tous le boomer de quelqu'un d'autre."
La terreur, la désolation, le cauchemar, le chaos, et tout ce que vous voulez dans le même registre, sont des mots qui ont servi à définir, et depuis ses débuts, la musique d’un groupe ténébreux et mystique comme Ævangelist. A une heure où le Black-Metal ou même plus généralement le Metal extrême a été poussé dans ses retranchements par bon nombre de formations très chaotiques et souvent innovantes, Ævangelist était arrivé à point nommé. Des formations comme Portal, Impetuous Ritual ou Mitochondrion avaient commencé à ouvrir le portail vers une dimension maléfique et Ævangelist s’était engouffré en plein dedans, ou plutôt, en était sorti… Le début des années 2010 fut donc marqué au fer rouge par les deux premiers manifestes du duo implanté aux USA, De Masticatione Mortuorum In Tumulis (2012) et surtout Omen Ex Simulacra (2013), véritable offrande au Malin et porte ouverte vers les Enfers. Ayant atteint un niveau de violence et d’apocalypse rarement égalé dans le Metal extrême et même pour la « scène », Ævangelist semblait alors être déjà arrivé au bout de ce qu’il pouvait faire, avait fait trop peur pour répandre son message, et devait se tenir à carreau et devenir plus pernicieux pour continuer à exister sans repousser son auditoire. Après l’explosif Omen Ex Simulacra, le combo s’est donc bien assagi. S’en sont alors suivis trois sorties plus « sages », où Ævangelist a réorienté son propos, choisissant la lourdeur plutôt que l’agression, la dissonance plutôt que l’ambiance infernale. Writhes In The Murk (2014), Enthrall To The Void Of Bliss (2015) et Codex Obscura Nomina (split avec Blut Aus Nord, 2016) ont donc présenté un Ævangelist qui est hélas un peu rentré dans le rang, continuant d’innover et surtout de triturer un chaos en musique, mais l’intensité des débuts s’était envolée. Qu’on s’en contente ou pas, force est de remarquer qu’Ævangelist a changé.
Quitte à virer dans un certain b0rdel vu qu’avec le côté stakhanoviste de Matron Thorn, instrumentiste et tête pensante du projet, la discographie d’Ævangelist va se complexifier en 2018, alors que le précédent full-length du groupe remontait à 3 ans, et concluait lui aussi une période productive - 4 albums en 4 ans et sans compter les EPs divers. Ainsi, Matricide In The Temple Of Omega, 5ème album sorti en novembre et marquant le retour du duo sur son premier label I, Voidhanger Records, sera précédé à la surprise générale du… 6ème album d’Ævangelist, Heralds Of Nightmare Descending, sorti sans crier gare fin août en autoproduction. J’ai refait un léger historique, mais pour ceux qui sont hors de l’espace-temps à force d’écouter les musiques du Chaos, je vais maintenant aller à l’essentiel puisque dans la timeline qui nous concerne la chronique de Heralds Of Nightmare Descending a été publiée hier. Nous voici donc avec entre les esgourdes le 5ème album d’Ævangelist qui succède au 6ème album, et dans un total respect de la chronologie de sortie à défaut de celle de la « logique », abordons maintenant Matricide In The Temple Of Omega. Je vais donc avoir encore une fois du mal à cacher mon amour inconditionnel pour Omen Ex Simulacra, quasi chef-d’œuvre de Metal extrême chaotique tant il allait au bout des choses, et mon rejet relatif de la discographie d’Ævangelist depuis, qui ne produit plus de sensations fortes, par désensibilisation et prévisibilité. Cependant, le « mystérieux » Heralds Of Nightmare Descending est pour votre serviteur ce que l’ævangéliste a produit de mieux depuis cinq ans, retrouvant une partie de son potentiel terrifiant (le retour du chant d’Ascaris le plus glaireux et possédé, enfin) et de son efficacité, à défaut de remettre en branle l’atmosphère « hell on earth » d’antan. L’effort est louable, et en rendra finalement l’écoute de Matricide In The Temple Of Omega que plus décevante.
Nous sommes donc en présence avec Matricide In The Temple Of Omega, classiquement, du Ævangelist post-Omen Ex Simulacra qui a troqué son field recording des Enfers contre des dissonances occultes. Une nouvelle fois, on notera que les guitares sont plus tranchantes et « compréhensibles » que par le passé, sonnant moins bouillie informe, ce qui plaira à ceux qui n’avaient pas compris ce que faisaient les riffs à l’époque du second album du duo. On se trouve donc dans la lignée de Writhes In The Murk et surtout Enthrall To The Void Of Bliss. Cependant, si ce dernier avait le mérite d’être relativement violent et mordant, ça ne va pas forcément être le cas de Matricide In The Temple Of Omega. Certes, le « chaos » est toujours là, et on n’accusera jamais Ævangelist de devenir trop gentillet, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais le groupe s’est définitivement transformé en une sorte de BM occulte qui aligne les dissonances bien noires, plutôt que le capharnaüm jouissif d’avant. Les ambiances hallucinées et hallucinantes, abstraites et mystiques des débuts ? Elles se sont complètement envolées. Le chant ultra-rauque et glauque d’Ascaris ? Il est toujours là mais bien au fond du mix, et demeure moins percutant que sur d’autres albums - Heralds Of Nightmare Descending compris. Les riffs ? Ils sont plus mis en valeur que par le passé mais se résument à des enchaînements et des variations convenues. Entre assauts thrashisants et incisifs ("Æon Death Knell", "Serpentine As Lustful Nightmare") et compos plus lourdes ("Omen of the Barren Womb", "The Sonance of Eternal Discord"), il n’y a rien de bien intéressant à se mettre sous la dent au niveau des guitares, d’autant qu’avec les longs morceaux au programme de cet album, redondances et répétitions apparaissent bien vite. Ævangelist n’est pas franchement inspiré, semble même se forcer par moments, et son côté lancinant ne fonctionne pas/plus vraiment. Matricide In The Temple Of Omega se résume surtout à une suite interminable de dissonances diverses, perçantes et aliénantes. On aimera ou pas la démarche mais l’ensemble en devient vite lassant. Surtout quand le groupe, sur fond de dissonances, place… des riffs dissonants ("The Sonance of Eternal Discord"). N’en jetez plus.
Tout comme Heralds Of Nightmare Descending, les originalités de Matricide In The Temple Of Omega sont plutôt rares. Le chant Death d’Ascaris est finalement parcimonieux, et malheureusement relégué souvent tout au fond du mix, à mon plus grand regret. Le bougre s’autorise ici et là quelques passages en chant clair plutôt théâtral, parfois plaintif même, ce qui est le cas sur tous les morceaux de l’album même s’il faut tendre l’oreille pour tout entendre. On a aussi le droit à quelques spoken words ("Omen of the Barren Womb"), des samples vocaux même (le départ un peu ambiant de "The Sonance of Eternal Discord"), ou des passages plus criés et tarés ("Æon Death Knell", "Serpentine As Lustful Nightmare"). Mais à nouveau, c’est bien maigre et on se perd vite au milieu de ces dissonances incessantes. Ævangelist parvient pourtant à garder à certains moments sa puissance chaotique quand il s’emballe un tantinet ("Æon Death Knell", "Omen of the Barren Womb", "Serpentine As Lustful Nightmare" qui est le morceau le plus court et le plus violent du disque - retrouvant même les bons vieux blasts terrassants), et comme toujours, s’en sort admirablement bien sur les compos très longues avec un "Ascending Into the Pantheon" de clôture très complet et un peu plus inspiré, même si là encore il n’y aura aucune surprise - si ce n’est un passage en chant féminin récité assez étonnant mais trop discret… Bref, Ævangelist ne fait plus vraiment peur, surtout si on avait déjà bien digéré le reste de sa discographie. Restant parfois maître d’une certaine forme de chaos en musique, le groupe s’enfonce malgré tout dans une certaine auto-limitation qui n’amène que redondances en pagaille et même bâillements. Si le Black particulièrement dissonant vous plaît, l’Ævangelist de Matricide In The Temple Of Omega peut vous convaincre mais si vous recherchiez de la violence inhumaine, extrême et apocalyptique, je pense qu’il faut tourner la page. Omen Ex Simulacra, c’était il y a 5 ans, ça risque d’être un one-shot à sa manière. Heureusement que pour ma part, Heralds Of Nightmare Descending a sauvé l’année 2018 d’Ævangelist, car ce « vrai » album qu’est Matricide In The Temple Of Omega m’apparaît bien vide, même si tout reste relatif.
Et enfin, le chaos s’en mêle encore car après que ces lignes aient été écrites, on apprendra que le futur d’Ævangelist est incertain car Ascaris et Matron Thorn se sont bien brouillés et le groupe est au statut « disputé ». Ascaris revendique le nom Ævangelist, tandis que Matron Thorn a remplacé sa vocaliste par Stéphane Gerbaud, le premier chanteur d'Anorexia Nervosa... Allez donc savoir ce qu'il va advenir de l'Ævangéliste désormais, physiquement comme musicalement. Il restera toujours les 354 autres projets de Matron Thorn pour la musique connexe (tenez, Benighted In Sodom a déjà sorti un album début 2019...), mais concernant Ævangelist, il semblerait possible que sur deux albums disparates, le portail de la dimension maléfique s’apprête à se refermer…
Tracklist de Matricide In The Temple Of Omega :
1. Divination (1:01)
2. Æon Death Knell (10:23)
3. Omen of the Barren Womb (13:52)
4. The Sonance of Eternal Discord (11:39)
5. Serpentine As Lustful Nightmare (8:11)
6. Ascending Into the Pantheon (19:14)