Zeal & Ardor + Hangman's Chair @ Lille
L'Aeronef - Lille
Le Max de l'ombre. 29 ans. Rédacteur en chef de Horns Up (2015-2020) / Fondateur de Heavy / Thrash Nostalmania (2013)
Dimanche pluvieux à Lille. Les concerts s’enchaînent en cette fin d’année, mais voilà une soirée immanquable à l’Aéronef. Zeal & Ardor permet même à la salle d’afficher complet quelques jours à l’avance ! Il faut dire que le programme est de haute volée avec Hangman’s Chair en première partie de luxe.
Première fois dans le Nord pour ce qu'il est difficile de ne pas qualifier de phénomène ; Zeal & Ardor, dont la popularité a carrément explosé en quelques années seulement dépassant la sphère metal, comme l’atteste un public bigarré. Hangman’s Chair a aussi plus que jamais le vent en poupe depuis la sortie de « Banlieue triste » en mars dernier. Un succès mérité, en plus d’un peu plus de reconnaissance médiatique grand-public, qui couronne en quelque sorte une belle carrière débutée au sein de la scène francilienne il y a maintenant treize ans.
Si le concert est complet, je découvre un peu surpris que la configuration laisse en fait place ce soir à une deuxième scène plus petite face à la grande scène habituelle et que la salle est coupée en deux. C'est donc un demi-Aéronef qui est complet, ce qui explique le sold-out annoncé, mais qui rend la soirée plus… intimiste et ça ne me déplaît pas...
Hangman's Chair
Le timing de la soirée est un peu différent aussi. Hangman’s Chair démarre son set assez tôt (sur les coups de 18h30) devant un public déjà très compact.
Quelques semaines après leur prestation au Tyrant Fest qui m’avait vraiment bluffé (autant que mon collègue S.A.DE. qui avait écrit quelques lignes dans notre report), j’étais terriblement curieux de revoir le combo parisien en sachant un peu plus à quoi m’attendre. Il faut dire que « Banlieue triste » ne squatte pas vraiment mon lecteur audio en dépit de ses qualités indéniables. C’est juste que je suis beaucoup plus séduit par le rendu live, plus intense encore. Le meilleur exemple, c’est leur son de batterie, qui est bien sûr déjà lourd et massif sur l'album, mais l’absorber en live, c’est encore mieux. Cette caisse claire qui résonne tellement fort et bien… Un atout parmi de nombreux atouts, comme le chant clair de Cédric Toufouti, à la fois planant et plein d’émotion. Une sorte de spleen urbain qui prend aux tripes à l’image de leurs derniers clips vidéos, tellement soignés. Le titre 04/09/16 en est un terrible exemple mêlant des passages dissonants, aériens et une lourdeur accablante. On sent le groupe rodé à la scène, mais sans le côté pilote automatique que je déplore souvent. Clément Hanvic (arborant un t-shirt du groupe belge Arkangel, dans lequel il officie) est de l’autre coté (droit) de la scène démonstratif comme à son habitude en contraste avec les autres membres plus effacés et discrets, mais concentrés. Le show est encore une fois parfaitement équilibré au niveau du son, tellement puissant, et bien ficelé côté setlist faisant logiquement la part belle au dernier album à travers ses titres les plus marquants. Des titres qui s’enchaînent sans interventions inutiles et je trouve que ça ajoute à la dynamique du show. Leur son m’écrase de morceau en morceau et je vis de plus en plus intensément chaque coup de caisse claire et de cymbale jusqu’à la délivrance. Une délivrance incarnée par la voix de Toufouti qui ne semble se parer d’aucun artifice sonore autre que la reverb. Son chant clair est très touchant, jamais faux. Pas besoin non plus d’artifices visuels, leur son est tout simplement leur meilleur argument sur scène. Hangman’s Chair sait, par ce biais comment faire entrer dans son univers prenant et maussade puis fermer la porte pour ne pas en sortir et s’en imprégner. Mis à part la lourdeur, chaque morceau construit des paysages sonores fascinants, de la désolation souvent, de l'obscurité mais quelques touches de lumière aussi. Il y a comme un côté contenu dans la musique d’Hangman’s Chair, quelque chose de très intérieur qui n’explose jamais par hasard ou à outrance. L'émotion à son paroxysme ! Le set se referme, comme l'album, sur un texte de l'écrivain français Georges Bataille, tiré du film Acéphale, de 1968...
Force est de constater que la réputation live d’Hangman’s Chair n’est absolument pas surfaite et on ne peut qu’être content qu’il participe à la renommée du metal français à l’étranger, avec sa propre identité et un vrai sens de l’intégrité. Je le pensais déjà, mais ce set est le coup d’assommoir.
Zeal & Ardor
Place donc à la tête d’affiche du soir : Zeal & Ardor. Comme je le disais en préambule, la formation menée par Manuel Gagneux a vu sa popularité exploser et s’invite sur des festivals de plus en plus importants. La hype s’est bel et bien emparée du projet qui peut désormais tourner avec son seul nom en grand. De mash-up qu’on s’est tous partagé, parfois, il faut bien l’admettre sans savoir s’il fallait prendre la chose au sérieux, Gagneux en a fait un projet à part entière qu’il serait bien dommage de ne pas prendre au sérieux, ou avec mépris. Un mépris parfois innocent, quand on peut lire certains magazines résumer la chose : « c’est du black metal avec du gospel ». Moins innocent quand certains pensent que Zeal & Ardor est le nouveau groupe de Black Metal pour hipsters et que ça ne mérite donc pas de s'y intéresser. Ce n’est ni l’un, ni l’autre et « Stranger Fruit », son premier vrai album, prouve avec brio qu’il est capable de bien plus qu’un mash-up inattendu et osé. J’avoue que quand j’ai écouté pour la première fois « Devil Is Fine », j’aimais bien l’idée, mais l’aspect patchwork me dérangeait trop. Qu’il puisse maintenant compter sur d’autres musiciens fait vraiment avancer le projet à un autre échelon de création. L’album démontre toute la pertinence de cette direction et une véritable vision artistique. Plus accessible, c’est vrai, mais moins stérotypé et plus riche. Il y développe bien sûr des éléments blues, negro spiritual et plus largement de musiques afro-américaines mais son spectre musical est devenu un peu plus étendu, avant-gardiste par certains aspects.
Pour le live, j’avais peur que ça sonne trop artificiel et je suis vite rassuré dès le début du concert. Sacrilegium I en guise d'intro techno-rock pour faire monter la température mais surtout In Ashes ouvre le show dans une ambiance tellurique et une grande effervescence. Gagneux, rien que par sa présence et son aura, crée le contact immédiatement et ses deux choristes qui le suivent depuis les débuts live du projet sont impressionnants, ne restant pas figés sur scène, mais participent vraiment au show de manière énergique et avec énormément de conviction. La petite scène de l’Aéronef se veut propice ce soir à une atmosphère de communion entre le public et le groupe. Ce qui aurait été peut-être un peu plus compliqué avec la grande scène.
Ce qui m’a terriblement soufflé avec ce live, c’est qu’il a remis en perspective le disque d’une manière encore plus puissante. J’ai aimé l’album mais non sans passer certains morceaux alors qu’ici j’ai l’impression que tous les morceaux sont des tubes. On le savait pour Devil Is Fine ou Blood in The River, issus du premier effort de 2016 bien sûr, mais je m’y attendais moins pour You Ain't Coming Back, Fire of Motion ou Stranger Fruit. Ce qui participe beaucoup au show c'est les voix, terriblement expressives, donnant de la force aux titres. La façon dont Gagneux alterne plusieurs voix est bluffante. Il est aidé pour ça d'un double micro avec lesquels il peut jouer sur les effets mais sa technique vocale n'est pas en reste. Au contraire ! Ça n'empêche pas quelques fausses notes car l'air de rien il enchaîne les dates mais sa présence sur scène et les choristes qui l'épaulent font tout oublier. On a l'impression qu'il vit chaque mot qu'il prononce, que chaque respiration est sa dernière. J'ai rarement vu un frontman donner autant de sa personne. Si on entend toujours évidemment des plans Black Metal dans certains morceaux (Don't You Dare, Waste) ou des riffs dissonants, j'entends beaucoup de metal alternatif et même indus. Ce qui ne me choque jamais tellement il arrive à mettre toutes ces influences à sa sauce et avec énormément de maîtrise. Le bon équilibre !
La setlist est énorme (en avoir pour son argent prend tout son sens) et laisse même place à des bonus, comme le single Baphomet, hyper fédérateur en apothéose ("Right hand up, left hand down. Flame on the top and a moon around. Hey man he got horns to show"). Je ne fais qu'esquisser le déroulé, mais c'est volontaire, car ça se vit plus que ça se raconte. Ce que je peux dire en revanche sur mon ressenti, c'est que je ne m'attendais pas à une telle claque. Le show n'est jamais trop millimétré, il y a une frénésie et une intensité palpable du début à la fin qui donne envie de bouger. J'ai le souvent le sentiment d'une ferveur communicative renforcée par une vraie sincérité qui émane aussi. Gagneux ne manquera pas de remercier le public lillois d'être aussi chaud un dimanche soir. Cette énergie déployée par tous les membres fait plaisir à voir, même si visuellement on remarque surtout Gagneux entouré de ses choristes. Zeal & Ardor sait redevenir plus solennel quand il faut et bouter le feu musicalement quand il faut aussi. En live ça prend toute son ampleur. Je réécoutais l'album en tapant ce report mais n'y retrouve pas la même puissance et les mêmes sensations, comme pour Hangman's Chair. Les trois morceaux joués en rappel ne seront pas de trop, surtout l'inévitable Devil Is Fine et ses bruits de chaîne.
Après plus d'une heure de concert sans grand répit, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir assisté à quelque chose d'unique même si je sais que le groupe refera le même show dans quelques jours ici ou ailleurs. Peut-être aussi, car il est fort à parier malgré la configuration du soir, que le projet pourra rapidement viser des salles de plus en plus grandes. Son public ne cesse de s'élargir et je comprends la hype qui entoure le projet. La preuve qu'une hype n'est pas toujours mauvaise et qu'il faut faire la part des choses. Elle est mauvaise quand elle sert à justifier du vide. Or ici, le groupe a démontré qu'il est plus qu'un projet studio mais une vraie entité live qui peut conquérir des foules avec un show captivant. Et je parle bien de groupe car le show ne pourrait pas reposer seulement sur Gagneux, pourtant quasi irréprochable. Zeal & Ardor est devenu un groupe à part entière. Gageons que le groupe apprécie de jouer dans ces conditions, proche du public et sans trop de chichis. Un public fasciné et enchanté... Quelle soirée !
Setlist
Sacrilegium I
In Ashes
Servants
Come On Down
Blood in the River
Row Row
You Ain't Coming Back
We Never Fall
Waste
Fire of Motion
Ship on Fire
Stranger Fruit
Cut Me
Gravedigger's Chant
Children's Summon
Built on Ashes
We Can't Be Found
Rappel :
Don't You Dare
Devil Is Fine
Baphomet
Merci à l'Aeronef