Il est évident pour quiconque que notre façon d’appréhender et de consommer de la musique a été radicalement bouleversée par le besoin d’immédiateté qui régit notre temps. Alors que l’activiste Stéphen Kerckhove parle de « dictature de l’immédiateté », cette tendance à refuser à inscrire une pratique, un goût, entraîne logiquement un besoin de renouveau constant de la part du public. Des studios de répét' d’Hambourg aux plus grands festivals, Mantar a bénéficié de cette curiosité facilement satisfaite via Internet. Le bouche-à-oreille leur a permis, en 5 ans, de se professionnaliser, de jouer à peu près partout et de toucher un maximum de monde : un public rock psyché/stoner/doom/sludge (via des tournées avec Kadavar et des apparitions dans des festivals spécialisés), un public plus orienté metal extrême (apparition au Party San, tournée avec Implore) et même de bénéficier d’une visibilité dans des milieux plus mainstream (via Nuclear Blast et en se produisant au Wacken, au Hellfest, etc.).
C’est en 2018 que le revers du bâton se fait sentir. Alors que le duo issu des studios de répétition d’Hambourg et du catalogue Van Records a atteint sa maturité, qui a encore confiance dans la capacité de Mantar à proposer quelque chose de frais ? Personne, et c’est pour cela que The Modern Art of Setting Ablaze semble être sorti dans une relative indifférence.
Alors que la composition de l’album s’est faite de manière plus réfléchie et repose moins sur les jams qu’auparavant, la recette semble être similaire aux excellents Death by burning et Ode to the flame. Néanmoins, les Allemands ont beaucoup communiqué sur les efforts mis dans The Modern Art of Setting Ablaze et sur le fait que cet album est, pour eux, le plus abouti.
Au premier abord, il est difficile d’identifier ce qui distingue ce troisième opus de ses prédécesseurs : titre d’album avec une référence aux flammes et le retour des schémas de construction des titres de Mantar : riffs punkisants contrastés par la batterie qui ajoute un groove à l’ensemble, alternance entre riffs incisifs et moments mid-tempo avec un son plus heavy dû à l’utilisation de l’ampli basse et enfin, ces fameux vocaux si distinctifs qui m’ont toujours rappelé Van Drunen. Un changement de studio et d’ingé son a rendu la production plus lisse et massive que les deux précédents. De quoi ajouter de l’eau au moulin des détracteurs de Nuclear Blast qui accusent le label allemand d’aseptiser tout ce qu’il touche.
Alors qu’Ode to the Flames avait été pour Mantar synonyme d’élargissement de leur spectre musical, The Modern Art of Setting Ablaze se recentre sur deux fondamentaux : les titres directs à refrain fédérateur d’une part, et des mid-tempos de l’autre. D’ailleurs, il se peut que si l’album n’a pas été accueilli comme il se doit par les fans, c’est parce que justement, les « tubes » contenus dans The Modern Art of Setting Ablaze (Seek and Forget ou Age of the Absurd) sont, à mon sens, bien moins marquants que les Cross the Cross, les Era Borealis ou autres Astral Kannibal. En revanche, jamais les Allemands n’ont été aussi dévastateurs sur les mid-tempos.
The Modern Art of Setting Ablaze a pour fil rouge l’incapacité de l’être humain à apprendre de ses erreurs et de ne pas les reproduire. Cette rage de ne pouvoir s’extraire de ce cercle vicieux est parfaitement exprimée par l’introduction d’un nombre important de chœurs directement inspirés du hardcore couplé à des ralentissements qui soulignent la noirceur du propos.
Au bout de plusieurs écoutes, les éléments s’assemblent. On constate alors que l’artwork (Der Litchbriger par Hoetger, une œuvre à la gloire du régime nazie qui a perdu sa signification après la Seconde Guerre Mondiale et représente désormais pour la mémoire collective, un Saint Michel combattant le Dragon), la production lisse, le tempo ralenti (l’intro d’Obey the Obscene, Taurus, My Funeral, The Formation of Night) et les chœurs, tout est calibré pour que cette sorte de cri à l’intention de personne et de tout le monde, ait le plus d’impact possible.
Groupe devenu sûr de sa force, Mantar poursuit sa route, sans rompre avec son passé mais en proposant un album moins éparpillé et peut être plus cohérent que les précédents. C’est d’ailleurs un des paradoxes de The Modern Art of Setting Ablaze : tout est réuni pour que le contenu soit facile à appréhender, et pourtant, plusieurs écoutes sont nécessaires pour comprendre que cet album, très travaillé, n’est pas en dessous de ce qui a permis à Mantar de devenir un si grand groupe en si peu de temps.
Tracklist :
1. The Knowing
2. Age of the Absurd
3. Seek + Forget
4. Taurus
5. Midgard Serpent (Seasons of Failure)
6. Dynasty of Nails
7. Eternal Return
8. Obey the Obscene
9. Anti Eternia
10. The Formation of Night
11. Teeth of the Sea
12. The Funeral