Note pour les étiquettes : Comme Obscura se revendique faire du Tech Death / Prog, le mot "progressif" sera fréquemment utilisé dans ce papier. Afin d’éviter d’écorner potentiellement ce genre riche et vaste qu’est le-dit "progressif", sera considéré comme Prog tout ce qui s’inscrit hors du sacro-saint Tech Death.
Cinq sur dix. Une note bien basse pour l’écurie Allemande. Avant d’aborder cette sanction, petit retour sur la dynamique du groupe. Depuis une dizaine d’années, Obscura n’a de cesse d’injecter des éléments progressifs dans ses albums, et ce à des doses toujours plus élevées. Dans les premiers temps, l’assimilation est bonne, permettant d’en extraire de bons résultats (Cosmogenesis, Omnivium). Mais le point de rupture est atteint avec Akroasis, où les entités Tech Death et Prog ne s’entendent plus : un rejet de greffe est contracté. Deux ans plus tard, retour au présent avec ce Diluvium, qui tente de réconcilier ces deux aspects, mais sombre le plus souvent dans la schizophrénie.
Souci dans le virage
Vue aérienne d’un désert Américain interminable. Au milieu, une route stoïque, qui tranche le plateau avec autorité. Une unique voiture avale le bitume. Au volant, c’est un pilote très typé… Tech Death. Il roule à fond la caisse en ligne droite. Devant lui, apparaissent des éléments extérieurs à son environnement habituel. De gros rochers dits "progressifs" émergent, de ça de là, sur l’ensemble de la chaussée. La voiture, roulant à vive allure, se doit de ralentir en conséquence, puis de tourner, afin de slalomer efficacement entre ces nouveaux obstacles. Le but est de maintenir le cap, malgré ces nouvelles trajectoires incidentes. Ainsi le véhicule trace un long serpentin, à la direction reconnaissable, agrémentée de multiples courbes élégantes.
C’est ce qu’a su faire Obscura par le passé. Seulement avec Akroasis, la route avait des rochers tellement gros que la voiture s’est enfoncée dès les premiers coups de volant. Ou alors elle s’est perdue dans des lacets sans fin, au choix. Sur ce Diluvium, les cailloux sont moins gros, par contre il y en a plus. Mais qu’importe la topologie, car le soucis semble provenir du pilote. Il ne souhaite tout simplement pas s’engager dans ce nouveau relief. En réalité, deux esprits sont dans la tête du conducteur : l’esprit Tech, et l’esprit Prog. Problème : Il semble que l’un ait besoin de l’approbation totale de l’autre pour valider une direction. En conséquence, personne ne veut clairement prendre le volant. La voiture avance par à-coups, sans réelle destination.
De nombreuses pistes de cet album transpirent le malaise entre ces deux univers. Ekpyrosis est lunatique avec ses différentes vitesses incompréhensibles, amenées par des transitions malpolies. The Conjuration est comme un soiffard poussé à bout, qui pleure et crie en alternance, de façon incohérente, avant de s’effondrer. Ce malaise est cruel, tant le skeud possède pléthores de bonnes idées, Ethereal Sky et An Epilogue To Infinity en tête. Mais, contrairement à Cynic qui a su négocier la tangente et n’en est ressorti que plus grand, transformé, Obscura reste à l’arrêt en plein milieu de ce virage décisif, les yeux rivés sur la carte.
Contrôle technique négligé
Comme chacun de ces deux aspects, l’un Tech, l’autre Prog, n’arrivent pas à se mettre d’accord, on s’occupe sur le bord de la route comme l’on peut. Quitte a rester bloqué, autant dégueuler tout ce que l’on sait faire, pour la postérité : les cascades de notes et les shreds qualitatifs sont toujours là, les intros à la guitare sèche également, le vocodeur est lui aussi de la partie, sans oublier la basse fretless qui se languit contre une barre de pole-dance, ainsi que les polyrythmies, disséminées ça et là sur la galette.
Néanmoins, comme chacun reste dans son coin, la composition des pistes ne peut qu’être mauvaise. La dynamique est en dents de scie, les variations n’ont pas de liant, car les transitions sont abruptes. La sortie d’une ambiance vire parfois à la douche froide (Ethereal Skies). Impossible alors, trempé, d’envisager la suite du morceau. La boîte de vitesse saccade, les attaques sont inefficaces. Cela vaut pour les variations de tempo, mais également pour les changements d’instruments et de techniques.
Quand on zoome dans la composition et qu’on arrive en détail sur le contenu des pistes, on est assez loin des étoiles prestigieuses du guide Michelin. Les riffs sont moins nombreux, et leur qualité est revue à la baisse (An Epilogue To Infinity). La plaisante surprise qui suit la découverte d’un motif se fait rare. Même si les Allemands possèdent ce talent d’artisan intact pour façonner de jolies lignes, ils les placent malheureusement, et de façon récurrente, soit au mauvais endroit soit au mauvais moment. Obscura semble négligé, et se permet même une re-pompe éhontée de ses propres riffs dans le plus grand des calmes, comme une peluche rassurante en plein doute existentiel (The Seventh Aeon 2’’ / Transcendental Serenade 1’’30’ en exemple).
Mais ! Malgré tout ces griefs, au loin, par delà toutes ces errances, de nouvelles étoiles naissent et se mettent à briller. Il serait malhonnête d’envoyer Diluvium au rayon des albums vides et ratés. Au plus haut du climax dramatique, les deux conducteurs trouvent enfin un terrain d’entente, et nous prouvent qu’Obscura est toujours capable de proposer de belles choses. Il y a ce Candestine Stars, criant de réalisme, et aussi ce Mortification of the Vulgaire Sun, qui maîtrise ses attaques et sait conserver une belle inertie et ce, en dépit de tempos très contrastés. Le titre éponyme, Diluvium, se distingue également ; cohérente pièce d’artisanat, où les différentes parties s’emboîtent correctement, tout en fournissant son lot de petites surprises à aller chercher en courant comme un gamin à la chasse aux oeufs.
Direction non assistée
Cet album est cassant et usant, comme cet énième paragraphe négatif. Usant de constater qu’à chaque bonne idée vient son lot de mauvaises surprises. Les sursauts de maîtrise sont malheureusement noyés dans une intention trop floue, où l’incompréhension reste prédominante. La production tente de soutenir toutes ces imprécisions : éclatante et polie, mettant parfaitement en lumière les parties progressives et les cavalcades endiablées, elle déchante dès qu’un semblant de pression ou de lourdeur arrive dans le morceau. En fermeture vient le chant, qui ne parvient toujours pas à émouvoir, et ce sur l’intégralité des variations et d’effets sonores que propose Steffen Kummerer.
A défaut de maîtrise, Akroasis proposait de nouvelles choses. Ce Diluvium laisse un goût amer. Un sentiment de gâchis pour celui qui a tracé le chemin à de nombreuses formations ; semblant aujourd’hui planté à un carrefour. La poignée de bonnes pistes est rangée bien au chaud, comme de précieuses noisettes à déguster en hiver, à défaut de pouvoir cautionner l’intégralité de l’album. En cette prometteuse année 2018, il nous reste à attendre de prochaines transmissions - qui va reprendre l’insigne de leader ? - car Obscura a définitivement mis un genou à terre. En espérant avec ardeur que le groupe, peu importe le circuit pratiqué, revienne en pôle position.
Clandestine Stars
Emergent Evolution
Diluvium
Mortification of the Vulgar Sun
Ethereal Skies
Convergence
Ekpyrosis
The Seventh Aeon
The Conjuration
An Epilogue to Infinity
A Last Farewell