In Theatrum Denonium - Acte III
Théâtre Municipal de Denain - Denain
L'autre belge de la rédac'. Passé par Spirit of Metal et Shoot Me Again.
Né sur les cendres des Métallurgicales de Denain, le In Theatrum Denonium s'est rapidement fait sa place au sein du paysage français grâce notamment à son cadre et son concept à part : le festival prend place au sein du magnifique théâtre de Denain, pour une soirée au cachet et à l'acoustique inimitables. Les trois coups de l'acte III sont frappés ...
Patrick Roy, le regretté maire de Denain, a grandement contribué à placer la petite bourgade minière du Nord sur la carte des fans de metal en France. Et si ses Métallurgicales ne lui ont survécu que quelques années, le In Theatrum Denonium (et non pas Demonium, le rapprochement étant évidemment volontaire) a pris la relève avec brio, proposant chaque année une belle brochette de groupes de metal extrême, généralement black, qui se produisent au sein du centenaire théâtre de Denain. Un théâtre qui fermera ses portes pour rénovation jusqu'en septembre prochain ; l'acte III du In Theatrum est donc le dernier événement programmé avant longtemps.
Forcément, de par son cadre, le In Theatrum comporte quelques particularités, comme l'interdiction d'entrer dans la salle de concert avec des boissons et de la nourriture, forçant beaucoup de gens à rester dans des couloirs déjà engorgés par le sold-out (600 personnes environ). Sortir est également interdit, plan Vigipirate oblige ... et l'absurdité de cette disposition est frappante quand on se rend compte qu'un fumoir extérieur est accessible, qui cause évidemment un grand attroupement sur le flanc du théâtre pour un résultat pas forcément plus « sécurisant » que si les gens pouvaient sortir normalement. Mais ça, l'orga n'y peut strictement rien.
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N.K.R.T et le Cabaret du Coeur Fendu
Petite surprise annoncée par le festival voilà quelques semaines : en ouverture de la soirée, c'est à un concert du projet solo ambiant N.K.R.T que nous avons droit. Mené par Fater Stéphanus, de Rouen, N.K.R.T sera accompagné pour l'occasion du duo d'effeuillage burlesque lillois Le Cabaret du Coeur Fendu. L'idée est excellente : la musique ambiante prenant de plus en plus d'ampleur sur la scène black et extrême en général, on se réjouit de voir que certains festivals prennent l'initiative d'en proposer.
Le souci est que le résultat ne sera pas forcément à la hauteur. N.K.R.T propose une musique ritualiste parfois prenante mais globalement un peu trop répétitive; le fait d'être assis confortablement dans un magnifique théâtre « à l'italienne » joue peut-être sur le peu de réceptivité du public, qui semble interloqué. A moins que le scepticisme ne soit lié à la prestation du duo d'effeuillage burlesque... car les deux demoiselles n'ont vraiment pas l'air à l'aise. Pas toujours synchronisée, leur chorégraphie minimaliste tombe un peu à plat et manque d'un petit quelque chose, même si mes connaissances en la matière sont proches du zéro. Bref, si l'idée de ce très court set ambiant (et composé pour l'occasion) est à creuser, peut-être en invitant lors des éditions suivantes un groupe pour un concert complet, on ne peut pas dire que N.K.R.T et ses danseuses ont soulevé les foules.
Odious
Venus d'Egypte, les gars d'Odious proposent sur leur deuxième opus Skin Age un death metal symphonique qui fait furieusement penser à la tête d'affiche du jour, Septicflesh – et pour cause : les deux groupes ont collaboré à l'occasion de cet album, notamment pour les orchestrations. Le résultat est du coup très accrocheur et si le groupe n'a jusqu'ici pas vraiment percé, cette tournée devrait lui faire prendre une autre dimension : celui qui apprécie le Septicflesh moderne ne peut qu'être sensible aux mélodies d'Odious.
Sur scène, on sent un certain manque de planches, à moins que ce ne soit la configuration bien particulière et le public au début majoritairement assis qui perturbe les Egyptiens ; c'est même une possibilité car au fil du set et alors que les gens se décideront à aller garnir la fosse, le groupe se décoincera. Les orchestrations orientales d'Odious prennent une belle ampleur au sein du théâtre de Denain ; si un titre comme New Mystery aurait réellement pu sortir d'un des derniers opus de Septicflesh avec ses cordes typiques et son refrain en chant clair, on pense également assez souvent aux moins connus Narjahanam, combo bahreïni que j'estime incontournable pour tout amateur de metal oriental. On mesure difficilement à quel point il est compliqué en Egypte de jouer du metal, a fortiori extrême ; souhaitons donc à Odious que cette tournée européenne soit le point de départ d'un beau parcours.
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En attendant le set de Furia, c'est lunchtime ... et il y a matière à amélioration sur ce point. Si le service est aussi souriant que sympathique, une constante (l'hospitalité nordiste, pas une légende), grosse faute de goût : celle de proposer des sandwichs ... conservés au frigo. Ce qui réussit la belle performance de les rendre à la fois durs comme la pierre et humides au point d'en être difficilement mangeables. Il y a probablement une solution pour mettre ça au frais sans passer par la case frigo, non ? Bien sûr, le plan vigipirate rend difficile l'installation de food-trucks devant la salle, mais la solution devrait tout de même être envisagée, peut-être en collaboration avec la mairie. Côté points positifs, notons tout de même qu'une bière « du festival » est servie pour l'occasion, des bouteilles de 75cl étant même en vente pour un prix très démocratique. Le temps de la mauvaise pils plate en festival semble de plus en plus révolu et c'est tant mieux.
Furia
Si on excepte le set particulier de N.K.R.T, Furia est le seul groupe à l'affiche à ne pas faire partie de la tournée européenne Septicflesh / Inquisition / Odious et est donc au final un des arguments majeurs du In Theatrum Denonium cette année. Les Polonais sont plutôt rares par chez nous, même s'ils étaient en 2017 à l'affiche du Throne Fest, à Courtrai (donc pas très loin), où j'avais eu l'occasion de les voir.
Furia trouve évidemment ses bases dans la scène black polonaise mais a avec le temps réussi à se construire une identité très forte qui en fait bien plus qu'un énième Mgla-like. La transformation est totale sur le dernier opus Kziecyc Milczy Luty, aux relents psyché très prononcés et dont les longs titres aux ambiances à tailler au couteau forment le gros de la setlist. C'est sur Zabieraj Iaspka que le concert s'ouvre et si le choix de ce morceau, lent au démarrage avec sa rythmique de basse pesante, peut surprendre, il s'avère au final excellent. La montée en puissance est imparable, permet au leader Nihil, complètement barge, d'imposer sa présence et son charisme jusqu'à un final qui détruit tout. Les bases sont posées : on va avoir droit à un concert dantesque.
Oscillant entre atmosphères planantes et menaçantes (Za cma, w dym), envolées pouvant rappeler le reste de la scène polonaise (Grzej, avec son accélération de mi-parcours, est un des rares moments « Mgla » du set) et même parfois passages plutôt punk-garage qui font remuer le public et lancent quelques pogos côté droit de la scène, Furia déroule, même si je suis clairement plus touché par le dernier opus du groupe, très personnel, que par les quelques titres plus classiques issus de leur back-catalogue. Reste que le groupe a un petit quelque chose qui en fait à mes yeux une des figures majeures de la scène ...
Inquisition
Inquiétude lors de la semaine précédent le In Theatrum : le duo culte Inquisition avait été forcé d'annuler une date de concert à Bologne, Incubus (batterie) ayant été transporté à l'hôpital suite à un accident survenu durant le soundcheck. Un timing beaucoup trop court pour que le festival puisse trouver une solution en cas d'annulation, ce qui aurait fait tache sur une affiche de quatre groupes. Heureusement, Incubus est rétabli et le concert aura bien lieu – et sans qu'à un seul moment on ne puisse se dire que le gaillard a fait un passage aux urgences quelques jours avant.
Inquisition me fascine. Je confesse être à peu près incapable de distinguer les titres, volontairement longs et absurdes, du duo américano-colombien, me contentant de me prendre mandale sur mandale à l'écoute de leurs opus avec une petite préférence pour Obscure Verses for the Multiverse. Mais que deux individus réussissent à produire un tel mur de son, impénétrable, cosmique, puis de le reproduire en live avec une telle puissance me sidère. Le tout est monolithique, mais l'ampleur du son, extraordinaire tout au long de la soirée dans ce théâtre (rarement entendu telle qualité), évite l'ennui. Quelques titres plus mid-tempo émaillent également le set, notamment le génial Desolate Funeral Chant et ses cris chamaniques. Dagon, avec sa voix bien particulière, alterne entre deux micros, ce qui lui évite de rester trop statique – même si parler de show dynamique serait un peu excessif. Inquisition aura toutefois donné le concert qu'on attendait d'eux et avec un professionnalisme sans faille – car avant l'accident d'Incubus, un concert allemand avait déjà dû être annulé, le matériel n'étant pas arrivé à destination. De bon augure pour la suite de la tournée, qui passe notamment à Toulouse, Paris et au Biebob de Vosselaar (Belgique).
Septicflesh
Le plateau Septicflesh / Inquisition me laisse à vrai dire sceptique (sans mauvais jeu de mots). Le black cosmique des deuxièmes ne me paraît pas forcément s'accorder au mieux au death metal mélodique symphonique des premiers, devenu de plus en plus moderne avec les albums et n'ayant plus grand chose à voir avec les débuts sur Mystic Places of Dawn ou même Sumerian Daemons. Mais étant assez fan de ce que proposent les Grecs depuis leur retour et n'ayant pas encore eu l'occasion de les voir en live, je ne fais pas la fine bouche.
Une chose est sûre en tout cas, le metal plein d'emphase de Septicflesh s'accorde au mieux au cadre et le son lui fait magnifiquement honneur. Les orchestrations, notamment celles des titres issus de Titan (Prototype, le très contrasté Prometheus et ses choeurs) ressortent bien du mix, pour un résultat jamais brouillon même sur les passages les plus frontaux (Communion, The Vampire from Nazareth). Surprise, tout de même, pour ma part : j'avais entendu dire des Grecs qu'ils étaient particulièrement froids, distants, ne s'adressant pas au public entre les titres – ce qui me paraissait en fait coller à leur musique capable d'être plutôt solennelle. Eh bien, c'est raté : Spiros Antoniou (Seth) est un des frontmen le plus bavard que j'ai vu en concert, exhortant le public non seulement entre chaque morceau, mais plusieurs fois par morceau (« destroy with me ! »). Un public qui lui mange dans la main et qui ouvre un pit permanent dans une fosse pas forcément habituée à ça. Mais on se demande presque si une attitude plus distante ne serait pas au final préférable.
Car non, malheureusement, Septicflesh en live, ça n'a rien de solennel. On a un peu l'impression d'assister à un concert classique de metal « moderne » - irréprochablement exécuté cela dit, Seth ayant une voix très impressionnante – au rythme ruiné par les sorties de scène régulières des membres du groupe et dans lequel il est presque impossible de rentrer pour de bon ; chaque fois que je me pense lancé, voilà que l'autre lance un nouveau « I need your energy, my friends ! » qui me sort de la bulle dans laquelle des titres comme Prometheus ou Pyramid God devraient réussir à m'enfermer. Je finis même par quitter la salle un peu avant la fin du set, un énième extrait de Codex Omega, l'assez fade dernier album du groupe, finissant par m'achever.
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Rideau donc, après cette conclusion en demi-teinte, sans qu'on puisse vraiment parler de mauvais concert, loin de là. Place au bilan et il est très positif : à un tarif remarquablement honnête, le In Theatrum Denonium proposait encore cette année une affiche de grande qualité, une organisation souriante et un événement respectueux du cadre exceptionnel dans lequel il se déroule. Un festival qui, évidemment, ne peut pas prendre plus d'ampleur, le sold-out étant lié à la capacité du théâtre, mais qui peut aisément s'installer dans le paysage français et perfectionner tranquillement son concept. Bravo à Nord Forge, donc, pour cette troisième édition – pardon, ce troisième acte !