Chronique Retour

Album

14 décembre 2017 - Rodolphe

Giants In The Trees

Giants in the Trees

LabelAutoproduction
styleGrunge
formatAlbum
paysEtats-Unis
sortienovembre 2017
La note de
Rodolphe
9/10


Rodolphe

La caution grunge du webzine.

Ce serait extrapoler que de parler de reformation de Nirvana pour un nouveau titre, Cut Me Some Slack, interprété en 2012 lors d'un concert caritatif destiné aux victimes de l'ouragan Sandy. Néanmoins, étaient réunis sur la scène Dave GrohlPat SmearKrist Novoselic ainsi que Paul McCartney (rappelons que Kurt Cobain n'a jamais caché être un fan des Beatles). Et tandis que l'ex-bassiste de Nirvana qui se qualifiait en partie "d'anarcho-capitaliste" (ce qui nous renvoie au morceau Ode to Pacific Anarchism qui fait sans doute référence à son engagement) jonglait entre activités politiques et quelques collaborations discrètes avec les Foo Fighters, Peter Buck ou encore les Melvins, en 2015 - soit un an avant l'intronisation du célèbre trio de Seattle au Rock and Roll Hall of Fame, on a inventé à Kurt Cobain une carrière solo qu'il n'a jamais eue en faisant émerger de vieux morceaux enregistrés vingt ans auparavant. Ceci pour les besoins du documentaire Montage of Heck, entre autres co-produit par HBO et Universal... Et voilà qu'en 2017, quatre musiciens parmi lesquels Krist Novoselic enfantent Giants In The Trees dans l'état de Washington à un moment charnière où Soundgarden, l'un des deux derniers groupes actifs du Big Four des années '90, tombe à son tour, du fait du suicide de l'illustre Chris Cornell.

A l'inverse de groupes tels qu'Alice In Chains, Live ou même Truly (notamment le Wheels On Fire/No One Remembers the Game sorti en toute discrétion) qui ont pris la décision d'alourdir leurs compositions ou d'assombrir l'ambiance de leurs derniers morceaux, Giants In The Trees semble être l'un des derniers représentants de ce grunge à la fois brut et très simple, situé quelque part entre revival de la culture hippie et pychédélisme hérité des Screaming Trees. Ce qui n'est pas très étonnant puisque Jack Endino de Sub Pop a réalisé le mixage et le mastering de cet album-éponyme autoproduit, qui paraît très authentique (le "one, two, three" ambiance studio d'enregistrement d'Ode to Pacific Anarchism, les premières notes de Pretend et l'outro de One of a Kind comparable à un concert qui se termine en apothéose). Pour en revenir à Jack Endino, celui-ci n'est autre que le co-fondateur de Skin Yard et est une vieille connaissance de Krist de l'époque Bleach (1989) de Nirvana.

On a devant nous un grunge positif dans le sens où l'on a l'impression que Giants in the Trees est une suite d'hymnes à la simplicité et résulte d'un émerveillement collectif du groupe pour les éléments de la nature (les titres parlent d'eux-mêmes), plus qu'une réelle prise de tête des musiciens qui auraient décidé de nous servir quelque chose de très "premier degré". Ils se permettent une sorte de lâcher-prise et un degré de folie que l'on ne retrouvait que dans les productions du milieu des années '80, en témoigne l'orgasme que simule la pétillante Jillian Raye sur la dernière minute du single Sasquatch. A bien des égards, la production de l'album se rapproche de celle du premier EP ultra-psychédélique de Screaming Trees délivré en 1986, à savoir Other Worlds. En effet, on nage en plein dans le cliché hippie, des "love, love, love" d'Ode to Pacific Anarchism (qui contient finalement plus d'interjections et de choeurs que de paroles) aux "dream, dream, dream" de The In-Between. De plus, de nombreuses pièces sont truffées de petits solos de banjo inspirés de la country-blues et qui, dans notre imaginaire, seraient susceptibles de nous évoquer la ruée vers l'or du XIXème siècle aux Etats-Unis, comme c'est le cas sur Center of the Earth.

On perçoit également une volonté du quatuor de théâtraliser sa musique. Là aussi c'est une direction artistique qui s'est vite perdue dans le grunge. Et à ce titre, Sap d'Alice In Chains reste le meilleur exemple pour illustrer ce qui se faisait de mieux en la matière. Cela tient beaucoup au timbre vocal de la chanteuse qui lui permet de passer des aigus aux graves d'une seconde à l'autre (Seed Song et son "let it flow") et donc de mettre en avant ce côté "surjoué", mais pas seulement. L'accordéon de Krist participe à orienter l'album vers l'esprit rural qui est recherché, à l'instar de Dark Cloud et de Center of the Earth notamment, et à contribuer à cette ambiance de champignons hallucinogènes si chère à Giants In The Trees. Le plus curieux, c'est qu'avec un style très porté sur la happy-song et une chanteuse qui peut difficilement se défaire du sourire qu'elle a dans la voix, nos consommateurs d'ecstasy réussissent l'exploit d'être tout aussi à l'aise dans les morceaux chargés de frivolité (Seed Song, Paper Life) que dans des titres plus noirs et plus lents tels que System Slave et Pretend où l'ambiance y est à la fois mélancolique et brumeuse, portée par une basse typiquement stoner.

En fin de compte, Giants In The Trees est un album qui sent bon les champs de maïs, les fleurs dans les cheveux et... l'autodérision. Les auditeurs ne seront pas en reste car cet éponyme compte plusieurs tubes à son actif dont Sasquatch, Seed Song et System Slave, ainsi que quelques instruments originaux qui font toute la différence (accordéon, banjo, harmonica). On ne tarira pas d'éloges sur Jillian Raye tant tous les éléments sont réunis pour faire d'elle une icône du grunge en devenir. 

 

Tracklist :

  1. Sasquatch (4:26)
  2. Center of the Earth (4:01)
  3. Seed Song (4:50)
  4. Ode to Pacific Anarchism (3:50)
  5. The In-Between (4:10)
  6. System Slave (3:35)
  7. Pretend (5:05)
  8. Paper Life (2:57)
  9. Dark Cloud (4:03)
  10. Something for Everyone (5:22)
  11. Moving Targets (2:59)
  12. One of a Kind (5:02)