Une ouverture. Un gouffre. Une brêche. C'est ce que "A Twist in the Myth", 8ème album studio de Blind Guardian, va provoquer chez la formation allemande. Cette brêche, dans laquelle le groupe va par la suite s'enfoncer, c'est celle de l'orchestration au sein de la musique du quatuor. Et si "A Twist in the Myth" aura divisé les fans, certains le trouvant inégal, à côté de la plaque, voire rondement raté, on ne peut nier l'importance que cet opus aura sur l'univers musical du groupe. Bien que la bande à Hansi usait alors régulièrement d'arrangements – notamment folkloriques – depuis "Somewhere Far Beyond" (la cornemuse, toussa), "A Twist in the Myth" apportait avec lui son lot d'orchestrations ambitieuses et autres symphonies grandiloquentes. Son successeur, "At the Edge of Time", paru en 2010, ne fera que confirmer la tendance en mettant la barre encore plus haut avec des titres tel que "Sacred Worlds", pièce orchestrale ambitieuse d'une dizaine de minutes, témoignant d'un groupe en constante évolution.
C'est donc à son successeur que nous allons nous intéresser, le bien-nommé "Beyond the Red Mirror", dixième (!) opus du quatuor allemand. Pour cette galette, ces derniers ont mis les petits plats dans les grands : des dizaines de choeurs venu des quatres coins du monde, ainsi que deux orchestres symphoniques pour plus d'une heure de durée. Rien que ça ! Et à l'écoute de la pièce d'ouverture, "The Ninth Wave", on peut dire que tout ce beau monde n'est pas venu pour rien : l'ouverture du titre se fait à grand renfort de choeurs grandiloquents, suivis de la puissante voix d'Hansi Kursch. Va s'en suivre une véritable orgie d'orchestrations : instruments à cordes frottées, des cuivres, le tout avec une précision et une minutie impressionnante, et un Hansi au top de sa forme malgré les années, survolant sans peine ces choeurs pourtant nombreux, avec ses capacités vocales et son grain si particulier. "The Ninth Wave" est un véritable torrent d'ambiances et de mélodies, on est soufflés par la densité musicale du tout, et ça ne fait que commencer.
Si je mets un tel point d'honneur à parler de cette pièce d'ouverture, c'est parce qu'elle résume, à mon sens, parfaitement l'album : puissant, varié, complexe et majestueux. L'album alterne en effet entre morceaux entêtants et épiques, je pense notamment à "Prophecies" avec ses nombreux soli de guitare, montrant un Olbrich en grande forme, et des morceaux plus doux et apaisés, tel que "Distant Memories" avec une utilisation plus discrète mais très efficace des choeurs. Chaque titre composant "Beyond the Red Mirror" possède une foultitude d'ambiances, passant de baroque à hiératique, d'épique à tragique, le tout avec une maîtrise impressionnante.
Mais avec "Beyond the Red Mirror", le groupe renoue également avec une certaine agressivité perdue dans les deux précédents albums, en atteste "Ashes of Eternity", avec son riffing mordant, se faisant presque Thrash à certains instants, à l'instar de morceaux cultes du groupe tel que "I'm Alive" issu du génial "Imaginations From The Other Side".
Cette comparaison va d'ailleurs me permettre d'aborder la partie lyrique de l'album. En effet, "Beyond The Red Mirror" reprend l'histoire là ou "Imaginations From The Other Side" , plus particulièrement son dernier morceau "And The Story Ends" l'avait laissé, vingt ans auparavant. Hansi Kursch décrit l'album comme une sorte de quête du Graal modernisé, avec ce fameux mirroir rouge, portail entre un monde de science-fiction et de fantasy. Si le propos n'est donc pas vraiment original, on retrouve toujours l'efficacité de l'écriture de Kursch : son sens du dramatique, ses paroles fédératrices...
Ces 5 ans d'attente n'auront donc pas été vaines, tant le groupe brille ici de son ingéniosité et de ses années d'expérience, avec une inspiration qui semble sans borne. Si l'on peut reprocher à l'album un côté surchargé : trop d'orchestrations, une overdose de choeurs et même une durée qui peut paraître trop longue, une écoute répétée et attentive de "Beyond the Red Mirror" vous fera dire que chez Blind Guardian, rien n'est gratuit, tout y est minutieusement affiné et poli, du solo le plus audible jusqu'au choeur le plus lointain.
Si cet album ne réconciliera pas les fans de la première heure déçus de l'orientation que prend le groupe depuis "A Twist in the Myth" pour ses orchestrations, ou même "A Night At The Opera" pour son côté plus alambiqué, moins direct, que je n'hésiterais pas à qualifier de progressif, les fans (que je suis) appréciant le groupe pour sa perpétuelle mutation, seront, eux plus que comblés. Et si certains crieront au blasphème, je place sans problème "Beyond the Red Mirror" comme l'un des meilleurs albums du groupe, devant même "Imaginations From the Other Side", mais derrière "Nightfall in Middle-Earth" : mon impunité s'arrêtera là.
Tracklist de Beyond the Red Mirror:
1. The Ninth Wave
2. Twilight of the Gods
3. Prophecies
4. At the Edge of Time
5. Ashes of Eternity
6. The Holy Grail
7. The Throne
8. Sacred Mind
9. Miracle Machine
10. Grand Parade