Roadburn 2016 : Jour 3
Poppodium 013, Het Patronaat, Cul de Sac, Extase - Tilburg
Matthieu, 24 ans, basé à Nantes. Ancien membre d'U-Zine et de Spirit of Metal. Vous me retrouverez pour les chroniques et live reports de divers styles musicaux.
Samedi 16 avril
SKEPTICISM (Mainstage)
Balin : Etrange choix de la part du festival de placer le groupe le plus difficile d’accès du festival dès 15h sur la Mainstage. Enfin moi ça me convient parfaitement mais il y a de quoi plomber la journée de plus d’un festivalier avec un show de Skepticism en ouverture ! Fan du groupe depuis longtemps, j’avais déjà vu le quintet finlandais au Brutal Assault l’an passé et il faut avouer que j’avais pris une sacrée claque avec une setlist pourtant très axée sur le dernier album et des conditions live bien moins adéquates que ce week-end. Il faut ajouter à cela que la setlist d’aujourd’hui avait été votée par les fans avant le festival. Cependant les résultats n’avaient pas été révélés et il fallut attendre les premières notes du concert pour avoir la surprise… Et de quoi aurais-je pu rêver de mieux que d’entendre Sign of a Storm (Stromcroflweet – 1995), mon titre favori, ouvrir le bal ? Le groupe, fidèle à son imagerie romantique mais surtout triste et funéraire, joue toujours en costume d’enterrement et dépose des fleurs sur les retours. Roadburn oblige, une petite vidéo sobre et sombre tourne alors que les musiciens enchainent leurs meilleurs titres les uns après les autres : The Everdarkgreen et By Silent Wings de Stormcrowfleet également, Farmakon Process, The Raven and the Backward Funeral et Shred of Light, Pinch of Endless de Farmakon (2003) ainsi The March and the Stream tiré de Lead and Lether (1998). Quelle setlist ! Quel son ! Une véritable cérémonie entrecoupée de quelques applaudissements entre les morceaux que rien ne viendra déranger. La salle est très loin d’être remplie, le Funeral Doom étant un style qui n’intéresse que peu de gens, mais je peux vous assurer que les personnes ayant assisté à ce show s’en souviendront longtemps.
Ëmgalaï : Il s'agit cette fois (encore) d'un set spécial où les fans pouvaient voter les morceaux qu'ils voulaient entendre durant ce concert. Pour ceux qui ont vu la vidéo de l'ami Maxwell : 100 styles de metal en 5 minutes, l'étiquette funeral doom est illustrée par les autres pionniers du genre, Thergothon. Une musique plus lente que lente, et une voix death caverneuse. Chose qui en live est assez surprenante, et Skeptisicm fait partie des représentants les plus emblématiques du genre.
2ème fois pour moi que j'ai la chance d'assister à un tel show, et toujours cette sensation de glaciation. Bon par contre, c'est quitte ou double. C'est très facile de trouver ça chiant. Public averti oblige ! Le pire étant que j'ai toujours l'impression que ces mecs sont vraiment lents dans la vie de tous les jours. Même quand le chanteur va chercher sa bouteille d'eau posée à côté d'un ampli, il met une plombe. Tous ces mouvements sont au ralenti. Il faut reconnaître que ça colle avec la scénographie, en plus des roses blanches déposées sur les retours, le miroir brisé devant le claviériste, et les costumes des musiciens.
Pour revenir à la musique, on a le droit à un set qui débute par Sign of a Storm, premier morceau du premier album, Farmakon Process, The Raven and the Backward Funeral et Shred of Light, Pinch of Endless de l'excellent Farmakon... Un set très old school finalement, excepté The March and the Stream, dernier morceau du dernier très bon album, Ordeal.
À croire que tout comme leur musique lente, les fans mettent des années à ingurgiter leurs albums... Ou alors que les premiers morceaux se jouent plus rarement.
TAU CROSS (Mainstage)
Balin : Déjà pas trop fan sur album, je m’étais tout de même juré d’aller y jeter un œil rien que pour le line-up : Rob (the Baron) Miller (Amebix) au chant et Michel Langevin (Voivod) à la batterie. Mais rien à faire, le mélange crust punk/rock/stoner ne me parle absolument pas et je file sous la Het Patronaat alors que Beastmaker s’apprête à en fouler les planches…
Ëmgalaï : Très chouette découverte pour moi, on m'avait dit beaucoup de bien de ce jeune groupe. Dans un premier temps, je m'attends à assister à un concert de doom. Erreur de ma part étant donné que même maintenant, je ne saurais pas vraiment décrire exactement leur musique. Un genre de heavy metal légèrement post ou progressif (si ça veut vraiment dire quelque chose). avec une voix punk voire limite crust. Une sacrée bûche en live en tout cas, que ce soit au niveau de la présence des membres du groupe, ou des riffs entrainants, tantôt agressifs et lourds, tantôt plus calmes ou atmosphériques.
Je ne m'éterniserai pas sur leur cas étant donné que je n'ai honnêtement pas grand chose à dire de plus. Je vous laisse découvrir par vous-même et quant à moi, je vais faire de même et me farcir leur discographie !
BEASTMAKER (Het Patronaat)
Balin : Trio américain fondé en 2014 à Fresno (Californie), Beastmaker effectue sa première tournée européenne pour promouvoir la sortie de son premier album intitulé Lusus Naturae en première partie de With the Dead, rien que ça ! Et rien d’étonnant non plus, car l’influence principale de Beastmaker (peut-être trop présente) est… Cathedral ! Je savais très bien à quoi m’attendre en montant les marches de la Het Patronaat et je n’en fus pas déçu, probablement car je n’en attendais rien d’extraordinaire. J’étais venu pour voir et entendre du Cathedral, et c’est exactement ce qui s’est passé ! Le trio possède pourtant une très bonne énergie sur scène et dispose d’un son massif (vous me direz, comme toujours), ce qui semble plaire à l’ensemble de la foule présente pour leur concert. Un bon moment donc, perdu entre deux concerts d’exception.
CONVERGE « Blood Moon » (Mainstage)
Balin : Si le concert exclusif Jane Doe du jeudi s’imposait dès lors comme l’un des moments forts du festival, je dois avouer ne pas savoir à quoi m’attendre lorsque je m’installe au milieu d’une foule grandissant à vue d’œil dans la Mainstage alors que le second show spécial de Converge intitulé Blood Moon s’apprête à débuter. Et ce fut la surprise jusqu’à la dernière minute avant que les quatre américains, accompagnés par leurs amis Stephen Brodsky à la deuxième guitare et Ben Chisholm aux machines, investissent la scène. A l’antithèse du show épileptique et surpuissant de l’avant-veille, Blood Moon est l’occasion pour les musiciens de parcourir l’ensemble de leurs titres les plus émotifs et mélancoliques : Plagues, In Her Blood, Grim Heart/Black Rose reprise en cœur par la foule, Coral Blue ou encore une reprise de The Cure (Disintegration). Il n’y a pas à dire, Converge est à l’aise dans tous les domaines et prouve une nouvelle fois que la palette du groupe est sans limites. Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises puisque Steve Von Till et Chelsea Wolfe entrent à leur tour sur scène, introduits par un Jacob Bannon prenant visiblement beaucoup de plaisir à interpréter ces titres peu communs de leur discographie. Tout ce beau monde interprète un magnifique Cruel Blood avant que Monsieur Neurosis ne quitte la scène, mais pas Chelsea Wolfe qui restera avec le groupe jusqu’à la fin du set. Et je dois avouer que cette fin de concert fut particulièrement saisissante, la voix et la guitare sèche de Chelsea Wolfe se mariant à merveille avec les titres à tiroirs d’un Converge à cœur ouvert : Wretched World, In Her Shadow et le magnifique Last Light pour finir. Si certains curieux ou sceptiques pouvaient douter au préalable de cette performance, peu semblent avoir été déçu de ce nouveau voyage offert par le combo américain qui dispose décidément de bien plus d’une corde à son arc.
Ëmgalaï : Un second set de Converge, ça ne se refuse pas, surtout quand ces derniers décident de jouer leur nouveau projet "Blood Moon" avec Steve Von Till de Neurosis, Chelsea Wolfe, Ben Chisholm (un de ses musicien) et Steven Brodsky de Cave In et Mutoid Man. Un projet reprenant certains morceaux de la discographie de Converge, plus doux et mettant plus en avant la voix claire de Jacob, contrairement à ses beuglements frénétiques plus connus du grand public. Un show rare, donc, étant donné qu'il fut joué uniquement 4 fois en Europe.
C'est au bout du septième titre que les invités les plus attendus pointent le bout de leur nez, dont Steve Von Till, très décontracté et souriant (Tiens !), après une sublime reprise de Disintegration des Cure. N'étant pas très au fait de l'ensemble de la discographie du groupe, je ne reconnais pas tous les morceaux joués, mais je me laisse happé par les nappes ambiantes du claviériste, mélées à un show progressif et habilement ficelé.
AMENRA « Afterlife acoustic » (Mainstage)
Balin : Mais nos surprises ne s’arrêtèrent là car Converge n’était pas le seul groupe qui avait prévu un show spécial ce soir-là. Amenra, grand habitué du Roadburn et enfant chéri de Neurosis, avait en effet décidé de nous offrir un show acoustique dont la setlist était en partie tenue secrète étant donné la rareté de l’évènement. Fidèle à l’imagerie véhiculée par la Church of Ra depuis ses débuts, les musiciens sont assis en cercle (certains tournent donc le dos au public) tandis que photographies en noir et blanc défilent au-dessus d’eux. Si l’un des éléments principaux de la musique d’Amenra est sans aucun doute la puissance et la lourdeur de son son, l’aspect émotionnel est incontestablement l’âme de l’entité. Et c’est sur ce dernier point que ce show va s’axer avec des titres comme Aorte, Razoreater ou Nowena 9.10. Versions différentes mais non moins intéressantes de ces titres désormais cultes, elles font pénétrer l’assemblée dans une mélopée religieuse et quasi-mystique que chacun respectera comme il se doit. Telle une foule de fidèles dans une chapelle, le groupe belge est parvenu pendant une heure à entrer en communion avec une Mainstage dévouée à sa cause. La formation, menée par Colin H Van Eeckhout, s’autorisera même quelques reprises avec Parabol (Tool) et Het Dorp (Zjef Vanuytsel), titre d’un chanteur belge du XXème siècle. Ajoutons à cela quelques titres accompagnés par Femke de Beleyr au violon (The Dying of Light, Wear My Crown) et vous obtenez une excellente prestation, tout en douceur et en tristesse qui n’aurait pu avoir lieu qu’ici, au Roadburn.
Ëmagalaï : Enfin. Je l'avais attendu depuis un petit moment ce live acoustique d'Amenra, et encore une fois je sais que je ne reverrai peut être jamais ça de ma vie. On est dans la grande salle, le logo triple patte de corbeau rayonne au-dessus de la scène pendant que les Belges posent en cercle des chaises en bois ainsi que les instruments. Forcément à son habitude, c'est Colin le chanteur qui se tape la place devant et donc forcément, dos au public... Sans doute trop frustré de ne jamais avoir vu la face de Manyard de Tool pendant un concert, ou plutôt qu'il s'inspire de son geste.
En effet, Colin n'aime pas le fait que dans un groupe, l'attention soit trop souvent portée au chanteur. Amenra est un tout, et la musique est tellement déchue d'artifices qu'à mon sens, un aveugle pourrait prendre autant son pied à un tel concert que n'importe qui. Certes, ce cas est le même pur beaucoup de groupes. Mais je l'ai particulièrement remarqué lors de ce concert.
Plus globalement, l'état d'esprit spirituel et dégagé par Amenra n'est pas toujours compris du public. J'ai toujours peur d'entendre un crétin crier "A POIL" ou même lancer un pogo. Mais tout ça n'est que gratuité très mal venue, et même destructrice pour les autres qui vivent littéralement le live ; ou encore d'autres qui découvrent et qui restent bouche bée devant le spectacle.
J'ai mis un certain temps à me remettre de ce que j'ai vu, et à continuer la journée normalement. Heureusement que le prochain concert fut Neurosis... Je ne me serai pas imaginé voir grand chose d'autre après ça. Entre les morceaux originaux d'Amenra comme Aorte ou Razoreater, la majesteuse reprise de Parabol de Tool, ou celle du fameux chanteur belge Zjef Vanuytsel, chantée en flamand, le set fut épuré, intense, mélancolique à souhait et vrai. Le public réceptif et respectueux. Un des plus beaux moments live de ma vie.
NEUROSIS "30th anniversary" (Mainstage)
Balin : Nous y voilà… La véritable raison de ma venue, la consécration de la carrière sans pareille d’un groupe unique. Le quintet américain, amis de longue date avec Walter et l’équipe du Roadburn, a en effet décidé de faire l’honneur de venir fêter son trentième anniversaire lors de cette édition 2016 avec non pas un set Best Of, mais deux ! Les setlists du concert ayant été dévoilées lors de la triple prestation anniversaire du groupe à San Francisco au début du mois de mars dernier, tout un chacun savait donc que l’ensemble des albums du groupe serait passé en revue, y compris Pain of Mind et The Word as Law, les deux premiers albums punk/hardcore que le groupe a délaissé depuis bien longtemps en live (au même titre que Souls At Zero et Enemy of the Sun vous me direz…).
Hors de question d’être mal placé pour ce qui s’apprête à devenir un des moments les plus inoubliables de ma vie de fan de Neurosis, on campe (comme beaucoup de monde visiblement) au second rang dès la fin du concert d’Amenra et c’est au terme de quarante longues minutes d’attente que les cinq américains entrent en scène. Vu le nombre de t-shirt Neurosis croisé tout au long du week-end et les ovations de la Mainstage pleine à craquer dès leur entrée, il ne fait nul doute que Neurosis est l’attente du week-end. Et les légendes créatrices de ce que l’on nomme désormais le Post Hardcore ne vont décevoir à aucun instant toutes ces attentes. Comment en aurait-il pu être autrement de toute façon avec une telle setlist et de telles conditions scéniques ? Pas de fioritures, pas d’images diffusées comme depuis longtemps sur scène (le groupe préférant que le public n’ait pas d’échappatoire à leur musique), un jeu de lumière simple mais beau et totalement en adéquation avec le style pratiqué, Neurosis est sur scène le même qu’il est en studio : inspiré, massif, authentique et sincère.
"Are you lost ?"
C’est avec Lost, titre d’ouverture du mythique Enemy of the Sun, que Neurosis entre en scène. L’intensité est d’ores et déjà à son comble et ne redescendra à aucun moment durant les deux heures de ce premier set. Le groupe a opté pour une setlist piochant ici ou là sans ordre logique et non par ordre chronologique. On passe donc d’un écrasant Water is not Enough (les titres de Given to the Rising sont vraiment ceux qui imposent le plus en live) à un Pain of Mind sauvage et primitif. On sent d’ailleurs que le groupe (hormis Noah Landis qui reste sur le côté de la scène) prend vraiment du plaisir à interpréter ces vieux titres (To What End ?, Self-Taught Infection). Ces quelques titres déclenchent d’ailleurs des réactions très diverses dans l’assemblée, entre les fans de la dernière heure qui ne comprennent pas vraiment ce qui se passe et d’autres qui en profitent pour déclencher quelques pits (!). Le groupe, emmené par les deux colosses Steve Von Till et Scott Kelly (quel charisme, vraiment !) pioche également dans le souvent boudé EP Sovereign (An Offering) et s’autorise même une étonnante reprise de Joy Division (Day of the Lords). Mais ne nous le cachons pas, c’est sans aucun doute les Times of Grace, Left to Wander, Takeahnase, At the Well (meilleur titre du dernier opus en live selon votre serviteur) qui régale le plus et surtout la doublette finale absolument transcendante : Through Silver in Blood au terme duquel Steve et Scott prennent les tambours pour créer un orgasme tribal indescriptible et Stones From the Sky (possiblement mon titre favori du groupe, s’il fallait n’en retenir qu’un…) et son final apocalyptique.
Il est extrêmement difficile de retranscrire l’ensemble des émotions par lesquelles nous sommes passés au cours de ce concert mais j’espère que ces quelques mots ont au moins laissé entrevoir la puissance émotionnelle d’un Neurosis au sommet de son art, parcourant l’ensemble de sa discographie d’une main de maitre. Nous avons pris de nombreuses claques ce week-end, mais Neurosis se revendique immédiatement d’un niveau bien supérieur... Et dire que l’on remet ça demain !
Ëmgalaï : Joyeux anni..... Et non pas de gâteau, pas de bougies... Même pas un bonjour, au revoir ou merci d'ailleurs. Neurosis toujours aussi froid sur scène, ce qui ajoute évidemment du solennel à leur show. Même les projections présentes pour chaque concert jusqu'à maintenant sont inexistantes et un grand drap noir cache le fond de la scène. Mais merde ! 35 ans les mecs. Souriez au moins une fois, ou au moins un petit geste a la fin. Non. Rien si ce n'est deux heures de concert intense avec une setliste complète retraçant l'intégralité de leur discographie. On a quasiment le droit à un morceau de chaque disque. Étant autant fan du début de la carrière du groupe, que de leurs plus fameux opus, je me réjouis donc de voir des chansons de Pain Of Mind par exemple, où le claviériste qui n'était pas encore au sein du groupe à l'époque se retire de la scène.
Les transitions, de ce fait me semblent un peu froides. Je ne m'étonne guère de voir des gens à côté de moi se regarder d'un air étonné... "Mais ils font quoi là, pourquoi ça bourrine ?" Et oui, il ne faut pas oublier que Neurosis vient du punk hardcore à la base, même si leur virage musical fut assez brutal.
Déjà bien épuisé du festival, et surtout après ma claque à Amenra, je ne pensais pas voir quelque chose à la hauteur, mais ce fut une belle erreur. Et dire que le même show mais avec une setlist encore différente à lieu le lendemain soir...