Non.
Ça fait plusieurs mois que je bloque sur cet album. Il s'agit à la fois un coup de cœur imminent dès les premiers titres de l'album, et d'un ensemble difficile à digérer, analyser et présenter. Batushka, c'est ce groupe présenté par Witching Hour fin 2015, plus ou moins Polonais et Russe, présenté comme une confrontation entre Black/Doom (peut-être à tort) et chants religieux, au line-up inconnu, à l'aura plus que mystique et au premier album déroutant. Certains crieront « hipsters », d'autres ne sauront même pas quoi répondre tant ils sont déjà conquis par l'entité mystérieuse.
Ça ne vous aura pas échappé que le thème religieux est omniprésent. Si on part du plus évident, le titre de l'album « Litourgiya » désigne la liturgie et par extension, sa démonstration concrète, la messe. On peut préciser que « Batiuzska » signifie le prêtre, le père (ainsi que le père dans la famille, un peu comme en français). « Yekteniya » correspond aux litanies, l'album emprunte donc au vocabulaire religieux pour s'articuler. Huit titres, huit litanies, comme repris du déroulement d'une messe.
La pochette représente une icône, une forme d'art sacré, une image religieuse typique de l'Eglise orthodoxe byzantine, entre autres. Ici, on y voit une vierge à l'enfant, aux traits brusques et confus, qui sont en réalité volontairement modifiés à partir d'une véritable icône qui existait déjà auparavant.
Comme il fallait s'y attendre, les rumeurs sont allées vite concernant Batushka. Certains ont cherché à trouver les membres du line-up (en vrac dans les propositions : le boss de Witching Hour, des mecs de Mgła...). En sachant que Metal-Archives a inscrit depuis un bon moment sur la page du groupe que les membres venaient de formations renommées et qu'ils ont récemment ajouté des noms plutôt anecdotiques. Ce qui est sûr, c'est que ces musiciens ne sortent pas de nulle part pour proposer quelque chose d'aussi propre, maîtrisé, signer chez Witching Hour dès le premier album, etc... D'autres ont voulu retranscrire leurs textes, on trouve alors des titres disponibles en cyrillique sur Internet, chose que je ne peux confirmer ni infirmer, bien qu'on m'ait assuré que les chants n'étaient déclamés ni en russe, ni en polonais, mais bien en vieux slave. Il s'agit, pour parler grossièrement, de l'équivalent du latin pour l'Eglise orthodoxe russe, un langage utilisé pour les textes religieux.
Cela rend tout de suite la chose plus difficile à faire circuler sur Internet, n'est-ce pas ? Est-ce chercher loin pour pas grand chose ? Batushka a le mérite d'aller jusqu'au bout dans ses idées. Au-delà du simple concept de l'album, cela crée une impression très particulière, celle d'à la fois totalement comprendre les sentiments de l'individu qui chante, et de créer une barrière, une crainte liée à l'inconnu.
J'ai souvent lu que « Litourgiya » présentait un Black plus pur, sacré, sans émotion, que tout ce qui a été créé antérieurement. A-t-on réellement écouté le même album ? Batushka, avec ce premier jet, c'est la foi dans toute sa démesure, c'est l'expression excessive de la souffrance et de l'espérance. On est loin de ce que beaucoup de groupes de Black proposent aujourd'hui, de chants écorchés et de compositions glaciales et mélancoliques. Ce premier album, c'est ce qui ressort des sentiments humains en train de bouillir dans l'espace sacré et lumineux d'une église, dans les effluves de l'encens.
Ces « Yekteniya », sans parler de ce qui se passe réellement dans une messe mais bien de ce qu'on ressent à l'écoute de l'album, sont les différentes étapes d'une cérémonie d'appel. C'est pourquoi cette voix nous paraît sans doute si perçante et si intense, elle vient directement apostropher l'auditeur pour lui faire assister à sa relation avec le divin. Ces chants ne sont pas exagérés, il s'agit de ce qu'on peut réellement entendre dans une église orthodoxe, et ils sont ici autant de louanges que de supplications de détresse.
Musicalement, ça se manifeste par des intros aux airs de cérémonie, un chant Black parfois discret, qui laisse les prières du chant clair masculin prendre le premier plan, ainsi que des titres où s'enchaînent et se superposent riffs infernaux et mélodies solennelles. Le mix est juste incroyable, laissant se mêler distinctement les guitares inquiétantes, les envolées chantées ou les chœurs.
Certes, pour l'aura cérémonielle générale incorporée à un Black puissant et mélodieux, ainsi que pour le côté « groupe de l'Est qui explose soudainement dans les médias », difficile de ne pas immédiatement penser à Cult Of Fire et son petit frère Death Karma. Pour le côté plus hypnotique, puisant dans la foi et les teintes dorées de l'icône, on est nombreux à avoir fait le lien avec « Advaitic Songs » du groupe Om, bien que la comparaison strictement musicale soit inappropriée.
Est-ce que c'est la touche polonaise ou mon imagination qui s'emballe, je ne saurais pas vous dire, mais j'ai tendance à entendre un peu de Mgła là-dedans. En tout cas, si l'une des rumeurs comme quoi certains membres seraient communs venait à se confirmer, cela ne m'étonnerait pas. Le huitième titre, et la puissance de ses riffs de fin notamment, parleront pour moi en ce sens.
Difficile de parler de Batushka en essayant de se limiter à une description concrète de ce qu'on écoute. Ce groupe, c'est bien plus que ça, c'est un univers à prendre en entier, et en cela, on est absorbé ou on ne l'est pas. Certes, si les riffs n'avaient pas été aussi monstrueux, la production si claire, l'effet souhaité ne serait sans doute pas aussi réussi. Reste qu'on a là un ensemble cohérent, original, pro, et prenant. Je suppose que les auditeurs non-croyants ne ressentiront pas forcément la même chose que ceux pour qui, ce qui est véhiculé par la musique, est plus fort et frappant. Mais si, comme moi, vous avez une fascination pour la foi, les églises, les chants religieux et un fort attrait pour les groupes de Black aux atmosphères très marquées, foncez.
1. Yekteniya I
2. Yekteniya II
3. Yekteniya III
4. Yekteniya IV
5. Yekteniya V
6. Yekteniya VI
7. Yekteniya VII
8. Yekteniya VIII